Une tournée africaine de la Première dame Jill Biden, du secrétaire d’État, Antony Blinken et puis récemment celle de la vice-présidente, Kamala Harris. Depuis son installation à la Maison Blanche, l’administration Biden affiche une volonté de rompre avec les années Trump et ne cesse d’envoyer des signaux de séduction à l’endroit du continent africain au moment où ses concurrents en l’occurrence la Chine et la Russie cherchent plus que jamais, elles aussi, à occuper le terrain.
Les dessous de la politique américaine en Afrique avec le Docteur Christian Edmond Pout, Ministre Plénipotentiaire, Directeur du séminaire de géopolitique africaine, à l’Institut Catholique de Paris. Également Président – Délégué Général du Think Tank Ceides (Centre Africain d’Etudes Internationales Diplomatiques Économiques et Stratégiques).
Depuis 2022, l’Afrique est visitée par nombre d’officiels américains de premier plan. Quels peuvent être les dessous de cet important ballet diplomatique ?
L’intense déploiement des hauts responsables américains en Afrique prouve s’il en était encore besoin que les Etats-Unis s’attèlent à joindre les actes à la parole en menant des actions qui dé- montrent que l’Afrique est (re)devenue une priorité essentielle de la politique étrangère américaine. Au-delà du discours officiel qui justifie ces visites par un souci de « renforcer le partenariat avec l’Afrique et de faire progresser les efforts communs en matière de sécurité et de prospérité économique », il faut dire que c’est l’influence grandissante de l’Afrique sur la scène internationale, et aussi, le grand intérêt que lui portent des puissances concurrentes comme la Chine et la Russie, qui explique ce regain d’activités. De l’aveu même des autorités américaines, « l’Afrique (…) est une force géopolitique majeure, qui a façonné notre passé, façonne notre présent et façonnera notre avenir ». Il est donc tout à fait compréhensible qu’une grande puissance comme les Etats-Unis se positionne pour capter toutes les opportunités qui peuvent découler d’un partenariat privilégié avec des pays africains forts, riches et dont les voix comptent au sein des instances internationales. Les axes de ce positionnement américain ont été énoncés en août 2022 dans le « U.S. Strategy toward Sub-Saharan Africa », qui retenait quatre objectifs stratégiques entre autres : favoriser les sociétés ouvertes ; offrir des dividendes démocratiques et en matière de sécurité ; travailler au redressement après la pandémie et sur les opportunités économiques ; soutenir la préservation et l’adaptation au climat et une transition énergétique juste. Par ailleurs, avec la tenue du U.S.-Africa Leaders Summit du 13 au 15 décembre 2022 à Washington, l’offensive américaine est montée d’un cran.
L’hyperactivité américaine en Afrique ne s’éloigne pas des motivations traditionnelles d’accès aux ressources stratégiques. L’Afrique qui détient un peu plus de 30% des ressources minérales mondiales, selon le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), demeure un enjeu majeur pour soutenir grâce à ses ressources (lithium, cobalt, nickel etc.), le développement des technologies d’énergie propre.
Washington cible comme priorités, la lutte contre l’insécurité et le développement des investissements. Quels pourraient être les critères de déploiement de ces investissements à travers le continent ?
La paix est une condition préalable au développement, et donc aux investissements et à leur rentabilité. De mon point de vue, l’implication active des Etats-Unis aux côtés des Etats dans la lutte contre l’insécurité reste acceptable au regard de la multiplication des zones de conflit et réseaux criminels, ainsi que des impacts de ceux-ci sur les pays partenaires et l’Afrique toute entière. C’est d’ailleurs un objectif phare de la Stratégie américaine en Afrique. A cet effet, l’administration Biden, s’est engagée à fournir plus de 6,5 milliards de dollars pour soutenir la paix, la sécurité et la gouvernance en Afrique. Cela suppose vraisemblablement un appui pour développer les capacités militaires des partenaires africains, soutenir les opérations de maintien de la paix, les transitions démocratiques et les institutions.
« L’apport de l’Afrique sera plus visible dans ce partenariat au fur et à mesure que se consolidera la coopération avec les États-Unis sur des domaines stratégiques ».
Concernant les options d’investissement, la logique dualiste reste de rigueur dans les relations de coopération américaines. Le package offert comprend donc aussi bien l’allocation de financements dédiés à des secteurs et/ou thématiques spécifiques, et une mise en commun d’entreprises américano-africaines, le tout favorisé par la signature d’accords bilatéraux ou multilatéraux en matière de commerce et d’investissement. Le modèle de coopération ainsi adopté a été réitéré lors du sommet des affaires Etats- Unis – Afrique qui s’est tenu à Marrakech (Maroc) en juillet 2022, et en particulier durant le U.S.- Africa Leaders Summit de décembre 2022. A ce dernier événement, plusieurs engagements financiers ont été souscrits par l’administration Biden dont : 55 milliards de dollars d’investissements au cours des trois prochaines années « pour soutenir l’économie, la santé et la sécurité de l’Afrique », 350 millions de dollars pour l’initiative « Digital Transformation with Africa » (DTA) , 10 millions de dollars de financements pour la « Health Electrification and Télécommunication Alliance », ainsi que 2,5 milliards de dollars d’assistance humanitaire dont une bonne partie serait affectée à la lutte contre l’insécurité alimentaire. En tout état de cause, le gouvernement américain continuera à directement financer des projets en Afrique, tels que le partenariat pour les infrastructures et les investissements mondiaux (PGII), Prosper Africa, Power Africa, etc, ainsi qu’à encourager les entreprises américaines à nouer d’étroites relations avec des entreprises africaines innovantes. C’est dans cette logique que depuis 2021, il a facilité la conclusion de plus de 800 accords commerciaux et d’investissement bilatéraux dans 47 pays africains pour une valeur totale estimée à plus de 18 milliards de dollars, et que le secteur privé américain a conclu des accords d’investissement en Afrique d’une valeur de 8,6 milliards de dollars.
Quels pourront être les pays bénéficiaires de cet appui des Etats-Unis surtout quand on sait que le choix des pays visités ne s’est pas fait au hasard ?
Au cours du U.S.-Africa Leaders Summit, le président Biden a affirmé devant les chefs d’État et de gouvernement des 49 pays africains représentés que « nous allons tous aller vous voir et vous allez tous nous voir beaucoup ». Pour ma part, ces propos illustraient en réalité la projection globale qui est celle des Etats-Unis en Afrique. Il ne fait pas de doute que la stratégie retenue est celle d’une influence tous azimuts à travers un déploiement diplomatique et économique dans toutes les régions africaines. Cependant, si l’on s’en tient à la cartographie des visites des hauts responsables américains en terre africaine, on voit bien qu’il y a des constantes, un intérêt prononcé pour la Corne de l’Afrique et le Sahel. Cela est aussi visible à travers la participation de certains pays aux grands sommets sur le sol américain, à l’exemple du plus récent, le sommet pour la démocratie qui a eu lieu du 28 au 30 mars 2023. Le choix de ces régions est à mettre en relief avec les priorités américaines en Afrique. Pour la Corne de l’Afrique, il est surtout question pour les Etats-Unis de jouer un rôle décisif dans le règlement des conflits, et ensuite, de s’impliquer pour résoudre les graves problèmes liés à l’insécurité alimentaire qui fait des ravages. Dans le Sahel, les défis sécuritaires et démocratiques restent de taille dans la plupart des pays. L’extrémisme violent et le terrorisme se propagent rapidement, et les acquis démocratiques ont sérieusement été ébranlés. Les Etats-Unis tiennent à contribuer à l’émergence de solutions viables pour faire cesser le cycle infernal de la violence dans la durée. C’est à l’observation ce contexte qui a poussé les Etats-Unis à accélérer le rapprochement avec le Niger, l’un des rares pays stables de la région et aujourd’hui grand bénéficiaire de l’aide américaine. En dehors des pays de ces régions, les faveurs américaines devraient aussi prendre la direction des pays qui sont traditionnellement considérés comme des « points d’appui » des Etats- Unis en Afrique. Je pense ici à l’Afrique du Sud, au Nigéria, au Maroc, au Kenya, etc. On pourrait ajouter à cette liste des pays dans lesquels la Chine et la Russie ont réalisé des percées notables ces dernières années. Dans la mesure où l’objectif de la politique africaine des Etats-Unis est aussi de contenir à défaut de stopper la progression de ces concurrents déjà très bien installés sur le continent, l’aide prendra la route des pays qui désirent diversifier leurs partenaires pour limiter la dépendance à Pékin et à Moscou.
En retour, quel peut être l’apport de l’Afrique dans cette nouvelle relation avec les Etats- Unis en vue d’un partenariat équilibré ?
L’Afrique présente d’innombrables atouts qui peuvent peser dans son partenariat avec les Etats- Unis. Son intégration au sein des marchés mondiaux se renforce, le boom démographique (1,7 milliard d’habitants d’ici 2030) met à disposition un vaste marché de consommation, et autant de talents en termes de ressources humaines, de même l’esprit d’initiative et d’innovation qui anime ses entrepreneurs, notamment jeunes, permet de réaliser de belles prouesses. Il est vrai que le continent ne représente encore que 3% du commerce mondial et n’attire que 1,7% des flux mondiaux d’investissements directs étrangers, mais le dynamisme de son économie devrait permettre à moyen et long terme de créer de formidables opportunités susceptibles de rééquilibrer le partenariat Afrique -Etats-Unis. En guise de rappel, il faut souligner que le commerce entre les États-Unis et l’Afrique subsaharienne a atteint 44,9 milliards de dollars en 2021, soit une augmentation de 22% par rapport à 2019. Avec la mise en place de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF) composée de 54 pays, et qui a fait de l’Afrique le cinquième bloc économique du monde par la taille, il ne fait pas de doute qu’il y a de belles perspectives à capitaliser en termes d’emplois, de consommation, d’innovation et d’influence pour redessiner la carte des forces en présence au sein de l’économie mondiale. Le représentant américain au commerce (USTR), au nom du gouvernement des États-Unis, a signé un protocole d’accord avec le secrétariat de la ZLECAF. Cela augure aussi de nouvelles possibilités. Ces dernières sont également à entrevoir avec le soutien des Etats-Unis pour une entrée de l’Union africaine au G20 qui regroupe les principales puissances économiques du monde. L’apport de l’Afrique sera plus visible dans ce partenariat au fur et à mesure que se consolidera la coopération avec les États-Unis sur des domaines stratégiques. Le Botswana ayant été choisi pour accueillir, en juin 2023, le 15e sommet des affaires États-Unis-Afrique, il est attendu que soient abordés les sujets relatifs à ces domaines, notamment les infrastructures, les TIC, la santé, l’énergie, les industries extractives, la fabrication et les industries créatives.
Propos recueillis par Sainclair MEZING pour une première publication au Cameroon Tribune du 11 avril 2023.