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Algérie : Quatre ans après, le hirak a « lamentablement échoué »

09 avril 2023
6 min

Algérie : « Si le Hirak a lamentablement échoué, il a néanmoins réussi à faire connaître, au grand public, la différence entre un populiste et un politique ». Cette petite phrase, Abdelkrim Zeghileche l’a écrite en grandes lignes sur sa page Facebook. Cela fait plusieurs années que cet ancien détenu politique plaide pour la transformation du Hirak, le mouvement populaire qui a poussé l’ancien président Abdelaziz Bouteflika à la démission le 2 avril 2019, en mouvement politique qui donnera un candidat unique pour l’opposition à l’occasion des élections présidentielles de 2024.

hirak algreie tama media
Manifestation dans les rues d’Alger le 26 mars 2021

Ancien entrepreneur, dirigeant d’une web radio aujourd’hui fermée par les autorités, Abdelkrim Zeghileche, 48 ans, est une figure du Hirak, le mouvement populaire de grande ampleur entamé en février 2019 en signe de protestation contre la candidature de Abdelaziz Bouteflika, vieux et malade, pour un cinquième mandat. Arrivé tard dans le combat politique, ce natif de Constantine (Est de l’Algérie) a participé à toutes les manifestations dans sa ville natale avant de passer plusieurs séjours en prison. Il a comparu une dizaine de fois devant des juges différents. Quatre ans après la naissance de ce mouvement populaire, l’homme, qui a intégré entre-temps le parti politique UCP, l’Union pour le changement et la Prospérité de la célèbre avocate Zoubida Assoul, estime qu’à cause de la radicalisation de certains, le «hirak a échoué ».

Ce sévère constat ne vient pas ex nihilo. Depuis quatre ans en effet, les contestations politiques ont totalement disparu. Le président Abdelmadjid Tebboune, élu en décembre 2019 dans un climat de tension, a réussi à faire cesser la contestation. « Le Hirak, désormais, c’est moi », avait-il indiqué à une chaîne de télévision en 2021. Depuis plus de deux ans, les autorités ont en effet mis en place un arsenal juridique qui criminalise carrément toute action de protestation. Des associations sont carrément dissoutes et des partis politiques ont vu leurs agréments gelés. Pire, la presse a atteint un haut « niveau de propagande pour les politiques du pouvoir » dans un climat « de fermeture totale face à toute voix discordante », écrit le politologue Mohamed Hennad. Puis, nous assistons à « la marginalisation des partis politiques ainsi que la criminalisation de l’action politique et syndicale » qui « sont porteuses d’un grave danger de déstabilisation du pays », dénonçaient récemment le Parti des Travailleurs et l’UCP, deux partis politiques de l’opposition, dans un communiqué commun. « Nous avons perdu tous les acquis démocratiques », relève, dépité, Smaïn Lalmas, ancienne figure du hirak et économiste réputé. Il fait référence à la liberté de la presse et d’opinion dont jouissaient les Algériens avant 2019.

Pour sauvegarder l’esprit du Hirak, un changement de stratégie nécessaire ?

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La preuve de ce recul des libertés est la condamnation, début avril, du journaliste Ihasane El Kadi à une peine de 5 ans de prison pour, officiellement, « financement étranger » visant à « déstabiliser le pays ». Une accusation que les défenseurs des droits de l’Homme rejettent et mettent en avant le fait que le journaliste est condamné pour ses écrits et prises de positions contre le pouvoir. Sa web radio, Radio M, était la dernière à ouvrir des débats libres sur la situation politique du pays avant d’être mise sous scellés par la justice. « Devant cette répression assumée et revendiquée par les plus hautes autorités du pays, la dénonciation doit être unanime. Le silence dans ce cas vaut caution et abdication des acteurs civils et politiques. Ihsane El kadi étant condamné avant même d’être jugé », estime le Rassemblement pour la Culture et la démocratie (RCD, opposition laïque). 

« L’histoire retiendra la phrase “Non à l’organisation du Hirak”, comme la plus grande Arnaque politique de l’histoire contemporaine de l’Algérie, l’histoire post-indépendance »

Pour arriver à cette situation, il faut remonter à l’époque du Hirak. Après avoir obtenu la chute de Abdelaziz Bouteflika, les millions de manifestants sortaient chaque vendredi dans les rues du pays pour réclamer un changement radical du système politique. Aux offres du dialogue du pouvoir, les manifestants et certaines figures politiques ont opposé une fermeté sans faille réclamant le « départ de toutes les figures » du système politique. Les autorités ont alors commencé à arrêter des dizaines d’activistes, imposé un processus politique et fermé la porte à toute période de transition par crainte de créer un vide politique dans le pays. Des dizaines d’activistes sont toujours en prison. A cela, il faut ajouter l’avènement du Covid, en 2020 puis en 2021 qui a poussé les récalcitrants parmi les contestataires à rentrer chez eux. Cette trêve a été saisie par les autorités pour durcir leur attitude et procéder à des dizaines d’arrestations. Le hirak n’a plus jamais repris et certains se contentent de militer désormais sur les réseaux sociaux. « L’histoire retiendra la phrase “Non à l’organisation du Hirak”, comme la plus grande Arnaque politique de l’histoire contemporaine de l’Algérie, l’histoire post-indépendance », juge, sévère, Abdelkrim Zeghileche, en référence au fait que certaines figures politiques voulaient laisser la rue décider de l’avenir du pays.

Maintenant que le hirak n’existe presque plus, certains plaident pour un changement de stratégie face au pouvoir. Cela commence par des rencontres entre certains partis de l’opposition. Des rencontres ont déjà eu lieu et d’autres suivront lors des prochains jours. Pour l’instant, le point commun entre ces formations politiques est de créer un front contre la répression, comme l’a assuré un chef de parti politique. Mais dans un deuxième temps, certains, comme Abdelkrim Zeghileche, militent pour la présentation d’un candidat unique de l’opposition pour l’élection présidentielle qui aura lieu fin 2024. Mais d’ici là, tout reste possible.

Par Ali Boukhlef

Correspondant à Alger, Algérie