Le gouvernement malien de transition a annoncé le vendredi 5 mai dernier que les élections référendaires pour adopter une nouvelle Constitution se tiendront le 18 juin prochain. Une décision saluée par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest [Cédéao], qui la qualifie d’une étape importante dans la mise en œuvre du chronogramme électoral convenu entre les deux parties, mais le projet de nouvelle constitution ne fait pas consensus au sein de la société malienne.
Une révision de la Constitution qui n’était pas prévue par la charte de la Transition
Au début de la transition au Mali, le projet de nouvelle Constitution ou de révision constitutionnelle n’était pas à l’ordre du jour. La charte adoptée au lendemain du coup de force du 18 août, fixant les modalités et les prérogatives de la transition, complétant la Constitution de février 1992, est restée et reste encore muette à l’épineuse question de l’adoption d’une nouvelle Constitution et de révision constitutionnelle. Les auteurs du coup de force contre le défunt président Ibrahim Boubacar Kéïta, conduit par le colonel Assimi Goïta, avaient alors exprimé — dans leur déclaration de baptême — juste leur intention d’assurer « une transition politique civile ». Celle-ci devait alors être sanctionnée par l’organisation d’élections générales dans un « délai raisonnable », qui n’avait pas été à l’époque précisé.
Au terme des travaux de la concertation nationale, une charte de transition est adoptée pour être plus tard révisée elle-même afin de supprimer notamment le poste de vice-président. Un poste resté vacant depuis le coup de force contre Bah N’Daw, alors président de la transition, et son premier ministre Moctar Ouane. La durée de la transition est initialement fixée à 18 mois. Celle-ci sera prorogée, à la suite de plusieurs mois de tensions entre les autorités maliennes et la Cédéao, à 24 mois à compter du 26 mars 2022, soit deux ans de plus que la durée initiale. Pour légitimer cette prolongation, les autorités ont soutenu que c’est une demande exprimée par des participants aux Assises nationales dites de la refondation, dont la phase finale a été tenue à Bamako au mois de décembre 2021.
Comment est venue l’idée d’adoption d’une nouvelle Constitution ?
Lors de ces Assises nationales, 534 résolutions fortes devant permettre au Mali de procéder à des réformes politiques et institutionnelles profondes ont été retenues. C’est à ce moment-là que le gouvernement de transition fait de la question de la révision constitutionnelle ou de l’adoption d’une nouvelle Constitution une priorité. Pour certains observateurs, pour que certaines recommandations des Assises nationales puissent être mises en œuvre, la Constitution devrait être révisée ou qu’on procède à l’adoption d’une nouvelle Constitution, avec toutes les conséquences juridiques que cela implique, ou l’on renonce tout simplement à la mise en œuvre de celles-ci. Sauf que les autorités entendent depuis inscrire toutes leurs actions dans le cadre des recommandations des Assises nationales de la refondation [ANR]. Le 20 avril 2022, Assimi Goïta, le président de la transition, a pris un décret autorisant la création du CINSERE-ANR [Comité indépendant de suivi-évaluation de la mise en œuvre des recommandations des assises nationales de la refondation]. Le Conseil national de transition [CNT], l’organe législatif de la transition, vote ensuite une nouvelle loi électorale par 115 voix pour, 3 contre et 0 abstention. Ce qui a suscité de vifs débats et a valu de nombreuses critiques d’une part au gouvernement dirigé par le Premier ministre Choguel Maïga (qui dit ne pas se reconnaître dans le texte voté) et d’autre part au Conseil national de transition (qui a révélé avoir reçu le projet de loi sur la table bien avant la tenue des ANRs). C’est finalement la version votée par le CNT qui a été promulguée le 24 juin 2022 par le colonel Assimi Goïta, président de la transition. Cette loi prévoit dans ses dispositions la création d’un nouvel organe indépendant en charge de la gestion des élections, qu’on appelle depuis l’AIGE, Autorité indépendante de gestion des élections.
Quelques jours plus tôt, le 10 juin 2022, il est annoncé la création d’une commission qui est chargée de la rédaction de l’avant-projet de nouvelle Constitution. Le décret présidentiel indique que cette commission est créée dans « le cadre de la refondation de l’État », donc conformément aux recommandations des Assises nationales de la refondation [ANR]. Composée de 24 membres dont un président, deux rapporteurs et 22 experts, cette commission a travaillé sous l’autorité du président de la transition, le colonel Assimi Goïta. Au terme de sa mission, qui a été prolongée, l’avant-projet de nouvelle Constitution est publié, lequel a été aussi remis au président de la transition. Ensuite une nouvelle commission sera créée, cette fois-ci, pour finaliser l’avant-projet de Constitution. Le 27 février 2023, lors d’une cérémonie solennelle à Koulouba (le palais présidentiel), la version finalisée du projet de Constitution a été remise au colonel Assimi Goïta. Président de ces commissions, le Pr. Fousseyni Samaké avait alors indiqué que certaines dispositions de l’avant-projet ont été reformulées, mais aussi qu’il y a eu des rajouts. Ce qui se constate d’ailleurs à la lecture des deux versions. Le document finalisé comporte 191 articles alors que l’avant-projet comportait 195 articles. Pour certains, la seconde version, qui sera soumise au référendum le 18 juin prochain, est taillée sur mesure.
Convocation du collège électoral
Initialement prévu le 19 mars dernier, selon le dernier chronogramme électoral convenu entre les autorités maliennes et la Cédéao, le gouvernement malien a reporté la date du référendum au 18 juin prochain. Il avait justifié dans son communiqué daté du 10 mars, qui n’avait pas fait mention à l’époque de la nouvelle date du référendum, par sa volonté “d’appliquer les recommandations des Assises Nationales de la Refondation (ANR)”. Pour être plus précis, les motifs qui ont été évoqués dans ce document officiel ont mis en avant “la pleine opérationnalisation de l‘Autorité Indépendante de Gestion des Elections (AIGE)”, c’est-à-dire l’installation de ses démembrements dans toutes les régions administratives (au total 19 selon le nouveau découpage territorial) et la capitale Bamako. L’autre motif du report du référendum évoqué porte sur la nécessité d’avoir du tempos pour “la vulgarisation du projet de Constitution”.
Le 18 juin prochain, les Maliens devraient donc se rendre aux urnes pour approuver ou non le nouveau projet de Constitution. C’est du moins l’annonce que le gouvernement a faite le vendredi 5 mai, à travers un décret lu à la télévision nationale par son porte-parole le colonel Abdoulaye Maïga, ministre d’État, ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation. La campagne électorale référendaire sera ouverte le 2 juin prochain, les militaires voteront par anticipation le 11 juin, le référendum se tiendra le 18 juin. De son côté, la Commission de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de Ouest (Cédéao) dit avoir appris avec satisfaction cette décision. Pour l’organisation ouest-africaine, « cette décision […] marque une étape importante dans la mise en œuvre du chronogramme de la transition en vue d’un retour à l’ordre constitutionnel ».
Dans une conférence de presse animée dans ses locaux à Bamako, le 9 mai, le président de l’Autorité Indépendante de Gestion des Elections [AIGE], Me. Moustapha Cissé a tenté de rassurer que son organisation est enfin « prête pour la tenue des élections du 18 juin prochain ». Devant un parterre de journalistes, il a déclaré que l’AIGE a aujourd’hui « les moyens matériels, financiers, pour pouvoir accomplir cette mission ». Mais le dernier rapport préélectoral de la Mission d’Observation des Elections du Mali [MODELE-Mali], un consortium d’organisations de la société civile, estime que « l’installation des coordinations de l’AIGE n’est effective dans aucune des localités observées ». Le consortium explique cette lenteur dans le processus de mise en place de l’AIGE comme étant liée aux désaccords entre l’administration, les partis politiques et la société civile en raison des modalités de désignation des membres. « Après cette étape, la question de l’installation, du siège des coordinations et de la formation des membres apparaissent comme les prochains défis à relever avant le Référendum du 18 juin 2023 », selon l’analyse de MODELE-Mali dans son rapport réalisé sur la période du 1er au 30 avril 2023, qui a été rendu public le 9 mai dernier.
Les Pour et Contre du référendum
Au Mali, certains regroupements des leaders religieux musulmans, minoritaires soient-ils, continuent de demander le retrait pur de la notion de laïcité dans le projet de Constitution pour la remplacer par ce qu’ils appellent un “État multiconfessionel”, comme on en a connu par exemple au Liban. Dans ce pays du Moyen-Orient, le confessionnalisme y a été par moment institutionnalisé, notamment après la première guerre mondiale. Mais on s’accorde à dire que l’institutionnalisation du confessionnalisme au Liban fut une mauvaise expérience pour le pays et la région. Pour cause, elle a donné lieu à des tensions qui ont conduit à la guerre civile dans le pays. « La laïcité ne s’oppose pas à la religion et aux croyances. Elle a pour objectif de promouvoir et conforter le vivre-ensemble fondé sur la tolérance, le dialogue et la compréhension mutuelle. L’Etat garantit le respect de toutes les religions, des croyances, la liberté de conscience et le libre exercice des cultes dans le respect de la loi », définit clairement le document de projet de Constitution. Au Mali, soutient le chercheur Gilles Holder lors d’un entretien accordé à Tama Média en décembre 2022, « l’État se trouve pris à son propre piège, car la laïcité n’a pas été débattue par une quelconque représentation nationale ». Ce qui explique en partie ce rejet de la laïcité sous le seul motif qu’elle est importée de l’Occident, mais aussi parce que les leaders religieux musulmans ont un énorme poids dans la sphère politique et publique au Mali.
D’autres voix qui s’élèvent contre l’adoption d’une nouvelle Constitution mettent en avant des arguments d’ordre juridiques. Pour ces voix discordantes, invoquant surtout les dispositions de la Constitution encore en vigueur et la charte de la transition, le président de la transition n’est habilité à procéder ni à une révision constitutionnelle ni à l’adoption d’une nouvelle Constitution. En d’autres termes, la transition n’a pas mandat à faire cela. C’est en tout cas la position que défend l’« Appel du 20 février pour sauver le Mali », un groupe hétéroclite composé de politiques, de magistrats et d’acteurs de la société civile. Cependant, il faut noter que d’autres mouvements dont des partis politiques sont favorables à ce projet de Constitution. C’est le cas par exemple du parti de l’homme d’affaires Boubacar Diallo, arrivé à la troisième position lors du premier tour des présidentielles de 2018. Son parti Alliance Démocratique pour la Paix (ADP-Maliba) a appelé, via un communiqué, ses militants et sympathisants à « une participation massive en faveur du “oui” » lors des élections référendaires du 18 juin prochain.
Pour rappel, la Constitution de février 1992, encore en vigueur, réputée être rigide, a fait l’objet de trois tentatives avortées de révision : c’était avec les anciens présidents Alpha Oumar Konaré (AOK), Amadou Toumani Touré (ATT) et Ibrahim Boubacar Kéïta (IBK). La dernière tentative avortée en date remonte à 2017 où, face aux contestations menées par le mouvement “Antè Abana, touche pas à ma Constitution”, le président d’alors IBK s’est vu contraint de surseoir à son projet de révision constitutionnelle pour apaiser le climat social et politique. La question ? Les autorités actuelles réussiront-elles là où leurs prédécesseurs n’ont pas réussi ? Quoi qu’il en soit, tout laisse à croire que l’actuel maître de Koulouba et son équipe sont déterminés à doter du Mali une nouvelle Constitution dont le document est déjà traduit dans les 13 langues nationales officielles. Si le document est approuvé au référendum du 18 juin prochain, on notera surtout que tous les référendums constitutionnels au Mali jusque-là ont été initiés par des militaires au pouvoir, à l’exception de la 1ère République.