Face à un contexte sécuritaire dégradé, les journalistes dans les pays du Sahel sont confrontés à des conditions d’exercice de leur métier, de plus en plus difficiles, voire parfois impossibles. Ils font face à des enlèvements des bandes armées, mais aussi à des menaces, expulsions et censures de la part des pouvoirs publics.
Dans la région, l’espace de reportage est plus que jamais réduit. Dans un rapport publié le 3 avril dernier et intitulé “Dans la peau d’un journaliste au Sahel”, Reporters Sans Frontières alertait déjà sur les conditions difficiles de travail des journalistes dans la bande sahélo-sahélienne. Comment, dans ces conditions, les journalistes sur le terrain s’organisent-ils pour continuer à informer les populations sans mettre leur vie en danger ? Ibrahim (le nom a été changé pour des raisons de sécurité), chef éditorial dans la région du Sahel, a accepté de répondre aux questions de Tama Média et il lance un appel à l’aide à la communauté internationale.
Entretien – Tama Média
Sur quels types de sujets écrivez-vous ?
J’écris pour un média généraliste où je suis à la tête d’une équipe de huit (8) journalistes qui font des reportages de terrain en audio, vidéo, textes et fact-checking (vérification d’informations). Nous couvrons tous les sujets mais avec une orientation principale sur les sujets sécuritaires. Nous donnons la parole aux personnes qui se trouvent confrontées aux situations de crise, sécuritaire, alimentaire ou même environnementale. Nous avons également une appétence pour les questions d’accès aux droits. Nous couvrons tout le territoire national. Pour des raisons de sécurité, je préfère ne pas donner le nom du pays.
En tant que journaliste, quels sont les risques auxquels vous êtes exposé dans la région du Sahel ?
Nous avons peur de donner notre avis sur de nombreux sujets quand ils sont contraires à la tendance de la société. Sur les questions relatives aux conflits armés, nous nous efforçons d’appliquer une forme d’autocensure.
Nos correspondants dans les zones les plus dangereuses ont peur de s’exprimer car ils sont soumis à une double pression : celle d’un État qui ne veut pas qu’ils donnent des renseignements sur la situation sécuritaire et celle des djihadistes. Parfois quand nos journalistes détiennent des informations aussi importantes qu’une menace d’attaque sur un village ils n’osent pas nous la transmettre par peur pour leur sécurité.
Quand il y a une attaque par exemple, il est difficile de donner des chiffres réels tant que le gouvernement n’a pas diffusé l’information par voie officielle. Même les représentants de l’Etat que nous interrogeons ont peur de s’exprimer.
Il arrive régulièrement que des journalistes soient condamnés pour diffamation et souvent emprisonnés. Sous-couvert de contrôle des informations circulant sur internet, la loi contre la cybercriminalité limite la liberté d’expression dans la région.
Avez-vous, vous ou des membres de votre équipe, fait face à des situations où votre vie a été mise en danger ?
Mon équipe n’a heureusement jamais été directement touchée car nous veillons scrupuleusement à nous protéger. Mais nous redoutons tous les jours que quelque chose arrive à un confrère. C’est comme si nous étions en sursis. Nos correspondants implantés dans les zones d’affrontements directs entre l’armée et les groupes djihadistes sont en grande souffrance face aux pressions, menaces et à l’insécurité quotidienne. Aujourd’hui quand nous avons un sujet qui touche aux questions sécuritaires, nous faisons le choix de ne pas interroger ceux qui nous renseignent sur place pour ne pas mettre leur vie en danger. C’est terrible !
Quelles sont les mesures de protection mises en place pour les journalistes dans ces zones ?
Au niveau du gouvernement, la décision a été prise de mettre en place des couvre-feux et des restrictions de circulation dans certaines zones. Des autorisations sont nécessaires pour s’y rendre et le gouvernement doit en être informé pour apporter un minimum de protection. Ce ne sont pas des mesures qui protègent réellement.
Malheureusement en tant que média, nous n’avons pas les moyens de nous payer des équipes d’escorte pour nous protéger. Certains médias qui ont des accords avec des ONG sont plus chanceux. Lors de leurs sorties, les convois de ces organisations sont souvent escortées par des militaires auxquels les journalistes peuvent se greffer pour couvrir l’événement avec un minimum de risques.
Nous appliquons également les règles sécuritaires de base du journaliste : ne pas diffuser de photos personnelles sur les réseaux sociaux, s’habiller de la manière la plus neutre possible, ne pas exhiber son matériel de manière ostentatoire.
Existe-t-il des réseaux alternatifs de diffusion de l’information ?
Des canaux se sont officieusement mis en place pour diffuser de manière souterraine des informations. Ce sont parfois des radios communautaires. Mais, la source de communication alternative la plus utilisée au Sahel reste la messagerie instantanée WhatsApp.
De nombreux groupes se créent pour pouvoir diffuser rapidement les informations. Certaines doivent être vérifiées mais c’est un des moyens alternatifs les plus efficaces que les journalistes et le grand public ont trouvé pour diffuser les informations rapidement et sans censure.
Selon les régions, les journalistes ont un groupe dédié qui leur permet de communiquer des informations sensibles.
Quelle aide la communauté internationale peut-elle vous apporter ?
Des grands médias internationaux comme TV5MONDE ou France 24, qui ont l’habitude de venir couvrir ces sujets, ne viennent plus dans nos pays pour de multiples raisons, notamment l’interdiction d’exercer notifiée par certains gouvernements. Ces médias qui ont un véritable impact ont été mis sur « mute » (muet en anglais) et malheureusement les médias qui restent sur place n’ont pas les mêmes moyens techniques, humains et financiers nécessaires pour couvrir les différentes crises qui sont toujours d’actualité.
Nos médias sont tellement censurés, qu’il est, par exemple, impossible pour un journaliste local d’entrer dans un camp de réfugiés pour y prendre des images. Récemment un employé de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) a cassé la caméra d’un journaliste dans un camp.
Je demande aux Institutions qui appuient les médias de regarder avec plus d’attention ce qui se passe ici au Sahel, depuis plus d’une décennie. Qu’elles s’engagent à soutenir les journalistes locaux pour permettre la diffusion d’informations exactes, non soumises à pressions, et sans mise en danger de la vie des uns ou des autres.
La vérité doit être révélée. La bonne information éthique, utile, doit circuler et ceux qui sont dans des situations difficiles doivent pouvoir exercer leur métier et également être renseignés au moment nécessaire.
Malheureusement aujourd’hui ce combat peut difficilement être mené seul. Pour les journalistes locaux, il est presque perdu d’avance. Nous avons besoin d’un vrai soutien de la part de la communauté internationale.