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Retrait de la Mission de l’ONU au Mali, « une parfaite illustration des tourments de la Communauté internationale contemporaine »

25 juillet 2023
21 min

[Les Grands entretiens de Tama Média]
Le contexte : le 16 juin 2023, les autorités maliennes de transition ont demandé le départ de la Minusma. Deux semaines plus tard, le Conseil de sécurité a voté une résolution qui entérine la fin de la Mission de l’ONU au Mali après un peu plus de dix ans de présence. Quels sont les enjeux principaux de ce départ pour le Mali, pays ouest-africain confronté depuis 2012 à une crise multidimensionnelle ? Quelles leçons tirer globalement de la fin de la Minusma ? Quel impact sur l’avenir des missions de paix de l’ONU dans le monde ?



L’invité du Grand entretien de Tama Média cette semaine est : Yvan Guichaoua, spécialiste du Sahel et des questions de sécurité,  enseignant-chercheur en analyse des conflits internationaux à la Brussels School of International Studies (Université de Kent).

Yvan Guichaoua
Yvan Guichaoua – la Mission de l’ONU au Mali, « une parfaite illustration des tourments de la Communauté internationale contemporaine

Biographie express : Yvan Guichaoua est titulaire d’un doctorat en économie de l’École des hautes études en sciences sociales (Paris), il est auteur de plusieurs publications scientifiques et rapports externes sur les questions de sécurité et de gouvernance dans des pays d’Afrique de l’Ouest [Mali, Niger, Nigéria, Côte d’Ivoire] depuis plus de deux décennies. Alors que l’avenir de la Mission de l’ONU au Mali se posait encore, surtout dans les cercles diplomatique et scientifique ou intellectuel, après le départ précipité de la force française Barkhane, l’enseignant – chercheur a publié, aux côtés d’autres chercheurs, une contribution dans un numéro spécial [Vol. 8, n° 1-2 JANVIER – FÉVRIER 2023] du Centre FrancoPaix en résolution des conflits et missions de paix.

Son article est intitulé « Maintenir la paix après Barkhane. La MINUSMA est-elle en voie de zombification ? ». Dans ce grand entretien accordé à Tama Média, il analyse les enjeux principaux, notamment d’ordre économique, sécuritaire et politique pour le Mali, liés à la fin actée de la Minusma. Pour le chercheur, le Mali est « une parfaite illustration des tourments de la Communauté internationale contemporaine au plan opérationnel mais aussi au plan idéologique (intellectuel) ».


Grand entretien – Tama Média

Vendredi 30 juin, comment vous avez suivi cette réunion du Conseil de sécurité qui entérine la fin de la Minusma ?

J’étais connecté sur le site des Nations Unies [UN Web TV] qui permettait de voir une retransmission en live. J’ai suivi les interventions de tous les pays qui avaient souhaité prendre la parole, les uns après les autres. Cette session n’avait pas énormément de suspense vu que la résolution avait été déjà diffusée plus ou moins officiellement sur les réseaux sociaux et dans la presse. Donc, on savait déjà ce qui allait être soumis au vote. La seule incertitude qui existait était sur le fait qu’il y ait unanimité ou non au moment du vote. Il y a eu finalement unanimité.

Ce qui m’a intéressé au sujet des interventions des différents pays, c’est qu’il y avait globalement deux sons de cloche principaux. La plupart des pays qui regrettait que les choses se terminent ainsi et qui rappelait au Mali ses obligations, notamment vis-à-vis de l’APR [Accord pour la paix et la réconciliation] ou la protection des civils. Il y avait un peu de variation d’un pays à l’autre, mais le cœur du discours était identique. Il y avait aussi des choses autour des hommages rendus aux Casques bleus tombés. Ensuite, il y avait deux exceptions : la Chine et la Russie qui ont dit qu’elles allaient poursuivre la coopération bilatérale parce qu’il était important de préserver les choix souverains du Mali.

Comment expliquer le fait surtout que les 15 membres du Conseil de sécurité aient voté cette résolution à l’unanimité ?

Comme je vous le disais tout à l’heure, il y avait effectivement une petite incertitude sur l’unanimité. Mais le suspense a été immédiatement levé parce que le vote a lieu en tout début de séance et à main levée. Ce qui a donné lieu à l’unanimité des pays membres du Conseil de sécurité. Ce qui veut dire que la résolution qui a été présentée en amont — par la France en tant que « plume » rédigeant les résolutions concernant le Mali — a tenu compte des différents protagonistes notamment des demandes du Mali. Pour rappel, le Mali avait renié la France dans son rôle de plume, en tant que pays qui rédige les brouillons des résolutions qu’il soumet aux autres membres du Conseil de sécurité.

Ce processus donne lieu à des va-et-vient, des révisions et des amendements. Cela veut dire que la France a finalement tenu compte des apports des uns et des autres ; et, surtout, de la volonté exprimée par le Mali de se débarrasser au plus vite de la Minusma. Les Français n’ont pas cherché une confrontation avec le Mali. De toutes les façons, cela aurait été une confrontation totalement contre-productive. Tout le monde s’est rendu à la raison. C’est-à-dire que si le pays hôte n’est pas d’accord, on ne peut rien faire contre sa volonté. Donc, ce qui restait à discuter, c’était les aspects techniques du retrait, son échéancier et ce que la Minusma est autorisée à faire dans les différentes phases du retrait [lire à ce sujet sur notre site “Fin de la Minusma : ce qui est désormais autorisé à la mission onusienne malgré la fin de son mandat“].

« Le plan tel qu’il est préparé est finalement à la fois précis dans le calendrier mais aussi relativement flexible dans les différentes étapes car il laisse des marges d’interprétation – ce qu’on appelle en diplomatie ‘l’ambiguïté constructive’ »


Je pense que le climat général dans lequel se retire la Minusma est un climat tendu puisqu’on a vu de l’activisme hostile à sa présence de la part des soutiens habituels des autorités maliennes (CDM [Collectif pour la défense des militaires], Yerewolo debout sur les remparts). On a vu que ces organisations étaient actives dans les jours qui ont précédé la réunion du Conseil de sécurité. On sait que le pouvoir malien peut mobiliser des acteurs pour mettre un peu la pression si jamais les choses ne se passent pas au goût des autorités.

Après, le plan tel qu’il est préparé est finalement à la fois précis dans le calendrier mais aussi relativement flexible dans les différentes étapes car il laisse des marges d’interprétation – ce qu’on appelle en diplomatie « l’ambiguïté constructive ». De façon plus précise, on a trois étapes : celle de la réduction des effectifs de la Minusma jusque fin août, celle du retrait qui commence dès maintenant [depuis le vote de la résolution] mais elle se poursuit au-delà de l’étape appelée réduction des effectifs ; et, enfin, l’étape de la liquidation après 31 décembre 2023. La liquidation n’est pas définie de manière très claire par la résolution. Ce qui veut dire, je pense, que s’il reste des choses encore, qui n’ont pas été déménagées début 2024, on va les mettre sur le chapeau « liquidation ». Cela permet de donner l’impression que le plan est respecté. Même s’il y a du retard qui a été pris dans le déménagement des installations.

Ces trois étapes relèvent, à mon avis, un peu de ce qu’on appelle l’ambiguïté constructive dans le sens où on laisse une certaine marge d’interprétation, un peu de flou dans la définition des termes pour justement permettre aux choses de se dérouler sans accroc et sans tension inutiles. Cela ne veut pas dire qu’il y a un plan caché pour que la Minusma reste plus longtemps que prévu. Je veux dire que les formulations de la résolution permettent une réinterprétation si jamais — pour des raisons techniques ou matérielles — les choses prennent un peu plus de temps que prévu.

Quelles pourraient être les conséquences d’un tel départ pour le Mali, surtout dans les localités où la mission de l’ONU est déployée ?

La question des conséquences est très vaste. Je pense qu’il y a des conséquences à plusieurs niveaux. On a la question économique : la Minusma, c’est quand même des milliers d’employés. Ce sont des gens qui injectent de l’argent dans l’économie malienne. Je parle notamment des sous-traitants et des projets même si ce sont des projets à ambition limitée. C’est-à-dire que ce ne sont pas des projets de développement en tant que tels. Ce sont des projets qui visent à améliorer temporairement le climat économique et politique local, les fameux « Quick impact projects [QIPs] ». Ces projets-là, même s’ils ont des ambitions limitées, permettent quand même de distribuer un petit peu d’argent. Toutes ces sources vont se tarir. Cela va mécaniquement impacter leurs bénéficiaires. Après, il est encore difficile de dire à quel point tout cela est mesurable. Ça, c’est une première série de conséquences, qui sont économiques.

On a aussi les conséquences sécuritaires. On observe déjà un regain de tension dans le centre du Mali, avec l’assassinat du chef de village d’Ogossagou Peulh [samedi 1er juillet 2023, date où le village Tianama a été aussi attaqué par des hommes armés non encore identifiés ; les deux localités sont situées dans le cercle de Bankass]. Je ne suis pas en train de dire que la Minusma remplissait un travail de verrou sécuritaire absolument parfait sur le terrain, mais, disons, qu’elle contribuait à une sorte d’équilibre des forces et avec peut-être une présence dissuasive.

« Sans ce regard extérieur de la Minusma, on pourrait avoir un sentiment d’impunité qui va se développer et encourager des actes de revanche et de répression. »


Depuis que la Minusma a démarré ses activités au Mali, j’ai observé comme tout le monde que cette mission n’est pas intervenue très souvent dans des opérations d’interposition avec usage de la force pour protéger les civils. Mais en amont de ce type d’intervention, on a quand même eu de la médiation par la Minusma [ses missions de bons offices] et un effet dissuasif. C’est-à-dire que certaines bourgades où la Minusma était déployée étaient protégées et, donc, n’étaient pas attaquées parce que la riposte risquait d’être coûteuse pour les assaillants.

Même si la Minusma n’est pas allée chasser des terroristes en tant que tels — et c’est le reproche que lui fait le Mali d’ailleurs —, même si ces activités n’ont pas eu lieu, elle remplissait quand même un rôle sécuritaire. Ce rôle sécuritaire disparaît désormais. Ça va peut-être exposer et rendre plus vulnérables certaines bourgades qui bénéficient d’une présence de la Minusma. Ça va aussi un peu modifier les équilibres des forces et provoquer de nouvelles tensions.

Il y a aussi un autre rôle que la Minusma remplit, qui est celui d’observation des atrocités commises par les différents groupes armés, commises aussi par les Forces armées maliennes [FAMa]. Sans ce regard extérieur de la Minusma, on pourrait avoir un sentiment d’impunité qui va se développer et encourager des actes de revanche et de répression. On peut imaginer une escalade de règlements des comptes du simple fait qu’elle n’est pas là désormais pour observer ces violences des droits de l’homme.

Qu’en est-il du sort ou du délitement de l’Accord pour la paix ? Une reprise d’éventuelles hostilités entre le gouvernement malien et les mouvements des ex-combattants est-elle possible ?

Le délitement de l’Accord pour la paix et la réconciliation d’Alger [APR] est une autre conséquence possible. On observe une sorte de grand flottement de la part de tous les acteurs de cet accord. Tous les protagonistes — que ce soient la Plateforme, la CMA [Coordination des mouvements de l’Azawad, ex-mouvements séparatistes], les autorités maliennes, ou encore les acteurs qui ont émergé ou qui se sont consolidés depuis. Les mouvements djihadistes — qui n’étaient pas là en force au moment de la signature de la paix — sont désormais incontournables dans les régions [administratives] de Ménaka, Kidal et Tombouctou. Évidemment, ils étaient déjà là en 2012 pendant l’occupation du nord du pays. Mais, au moment de la signature de l’Accord en 2015, la logique voulait que, pour avoir la stabilisation du Mali, il fallait commencer par faire la paix avec les mouvements dits « azawadiens ».

Si cet accord d’Alger disparaît, on a potentiellement une reprise d’hostilité entre Bamako et les mouvements anciennement séparatistes. Mais on n’en est pas encore là parce qu’il reste encore des verrous. L’Algérie n’est certainement pas d’accord que cet APR disparaisse. Il y a encore quelques moyens de pression pour empêcher les plus va-t-en-guerre dans les deux camps, de reprendre les hostilités.

Mais la Minusma, qui faisait partie de ces moyens de pression, ne pourra plus remplir en tout cas son rôle. D’ailleurs, à la réunion du Conseil de sécurité qui a entériné la fin de la Minusma, on a bien entendu dans chaque intervention des représentants des pays membres du Conseil de sécurité qui insistaient que cet APR soit maintenu à tout prix. On a eu aussi un discours du représentant malien [l’ambassadeur du Mali auprès des Nations Unies, Issa Konfourou] visant à rassurer la Communauté internationale sur son engagement à maintenir l’APR. On a des mots qui sont un peu rassurants. Néanmoins, sur le terrain, on a vu que l’ambiance était peut-être plus fébrile que dans le cercle diplomatique.

Comment la question du matériel de la Minusma sera-t-elle gérée ? Les Casques bleus partiront-t-ils avec tout ou une partie sera-t-elle laissée sur place ?

Je n’ai pas énormément d’éléments sur cette question du matériel. En demandant initialement le départ sans délai, puis dans trois mois, c’est sûr que le Mali raccourcissait énormément les possibilités d’un retrait ordonné. Plus le retrait était précipité, plus cela voulait dire que la mission laissait derrière elle du matériel. Il y a même eu des accusations vis-à-vis du Mali, laissant entendre que c’est un choix délibéré de mettre la pression pour pouvoir s’approprier une partie du matériel de la Minusma et de contingents. Ce sont les contingents qui sont propriétaires pour l’essentiel du matériel qu’ils utilisent. Finalement, la période de liquidation ouvre la possibilité d’un retrait relativement serein. Il permettra sans doute, quand tout sera terminé, qu’il ne restera plus grand-chose derrière.

La Minusma aidait au transport de troupes maliennes et du matériel électoral comme récemment aux élections référendaires du 18 juin. Le Mali pourra-t-il se passer de tout cela sachant que d’autres élections sont attendues début 2024 pour le retour à l’ordre constitutionnel interrompu depuis le coup d’État du 18 août 2020 ?

Il y a en fait deux aspects dans cette question des transports permis par la Minusma. On a le transport de troupes, mais aussi celui de notabilités. La Minusma contribuait à rapprocher les décideurs répartis sur l’ensemble du territoire, de la capitale Bamako. Malgré les accusations des autorités maliennes, on peut dire d’une certaine manière que la Minusma contribuait à l’intégrité territoriale du Mali. Car elle permettait de convoyer physiquement les représentants de l’État. Après, la question de l’unité nationale n’est pas juste une question de déploiement de l’administration. C’est aussi une question de légitimité de cette administration et de la reconnaissance des populations de l’autorité centrale. La Minusma n’était pas forcément très efficace sur ces aspects-là qui relèvent surtout de l’autorité nationale. Mais sur l’aspect de la présence étatique physique, de personnels de l’État, la Minusma remplissait un rôle. Et ce rôle va disparaître.

Pour ce qui est de l’organisation de l’élection, effectivement, pour le référendum, la Minusma a donné un coup de main. Avec les élections qui sont prévues normalement début 2024, elle devait aussi contribuer à ce que cette transition électorale se fasse de la manière la plus ordonnée et efficace possible. Ce rôle disparaît aussi. On ne peut demander à la Minusma de se prononcer sur des choses sur lesquelles elle n’a plus la main.

La Russie est décrite par les autorités maliennes comme « partenaire stratégique et fiable ». En l’absence d’un appui de la Minusma, à votre avis, la Russie pourrait-elle contribuer, sur les plans financier et logistique voire technique, dans l’organisation de ces élections auprès d’autres partenaires techniques et financiers traditionnels du Mali ?

C’est aux autorités maliennes de communiquer sur cette question. C’est à elles de rassurer leurs opinions sur le fait que les plans électoraux — tels qu’ils étaient formulés et promus — se dérouleront conformément à ce qui a été prévu. Je n’ai pas de réponse à ce sujet.

La fin de la Minusma ne signifie pas la fin de la présence de l’ONU au Mali. Vous avez un regard sur la coopération de l’État malien avec les autres organismes du système des Nations Unies après le départ de sa mission de paix du pays ?

Je ne peux pas prédire forcément ce que l’État malien va faire avec les organismes de l’ONU qui restent sur place — notamment le PAM [Programme alimentaire mondial] — qui remplissent quand même des activités importantes au plan humanitaire. Mais ce qu’on constate, c’est que depuis mai 2021 le Mali a pris beaucoup de décisions qu’on ne l’imaginait pas capable de prendre. Expulser en janvier 2022 un contingent des forces spéciales danoises au sein de la force Takuba, aussitôt venu à Bamako, faire partir Barkhane et Takuba sur fond de tensions diplomatiques, se retirer du G5 Sahel, prendre une décision sur les ONG dont certains projets étaient financés par la France, faire maintenant partir la Minusma, c’était à chaque fois une surprise. Ce sont des décisions d’ordre avant tout politique. Leur coût économique est important mais cet aspect a été laissé de côté par les autorités.

La Minusma ne déroge pas à cette règle. On ne peut pas expliquer la demande du Mali de faire partir la Minusma par des raisonnements économiques. Parce qu’au plan économique, c’est une perte nette pour le Mali. Le Mali prend vis-à-vis des acteurs extérieurs des décisions qui sont guidées essentiellement par des raisonnements politiques. Il se peut que d’autres organisations se retrouvent désormais dans le viseur. Peut-être aussi que les organisations des Nations Unies, qui restent sur place, qui ne dépendent pas de la Minusma, vont pâtir de ces décisions politiques. On peut imaginer également des décisions hostiles vis-à-vis de la Banque mondiale…

A partir de mai 2021 [depuis le second coup de force en moins d’un an], ce processus de reprise en main de la souveraineté nationale a démarré. On pouvait penser que cela s’arrêterait à un certain point et qu’il aurait finalement de la place pour plusieurs acteurs en même temps. En RCA [Centrafrique], par exemple, on a une mission des Nations Unies [Minusca], et en même temps la présence des auxiliaires russes de Wagner. Là-bas, il y a une sorte de cohabitation qui est possible. Au Mali, cette cohabitation n’a pas été possible. Il y a un effet de substitution plutôt que complémentarité à l’œuvre dans le choix des partenaires étrangers. Le Mali, dont on pouvait penser qu’il voulait initialement diversifier ses partenaires, ne les diversifie pas en réalité. Il se débarrasse de certains pour faire de la place à d’autres et se retrouve finalement dans une relation quasi exclusive avec la Russie. C’est une trajectoire assez particulière.

Vous tirez globalement des enseignements du départ acté de la Minusma, mais aussi des autres missions de maintien de la paix des Nations Unies, qui sont de plus en plus décriées… ?

C’est une question d’ordre géopolitique plus général et qui est une question très pertinente. Pertinente dans le sens où, avec notamment la fin de la présence américaine en Afghanistan [après 24 ans de présence], on a vu que les efforts internationaux de construction étatique à travers des interventions extérieures ne marchaient plus. Le cas de l’Afghanistan n’était pas une mission de Nations Unies. Mais il y avait une logique qui était celle de faciliter la stabilisation et la consolidation d’un État à travers des efforts pilotés pour partie de l’étranger. Les missions de paix rentrent dans cette famille de l’interventionnisme extérieur même si c’est dans un cadre multilatéral et consenti par le pays-hôte, c’est-à-dire un cadre un peu plus démocratique que les interventions de type strictement bilatéral ou articulées autour de coalitions ad hoc comme en Afghanistan ou en Libye… Bref, les missions de paix font partie d’un effort de construction étatique dans un cadre multilatéral sous couvert des Nations Unies.

« On est dans une phase d’incertitude générale à l’échelle mondiale sur ce qu’il convient de faire désormais lorsque certaines parties du monde sont en crise. »


Ces missions de paix s’essoufflent au Mali, mais aussi ailleurs comme au Congo (RDC, Monusco). On voit que ce modèle est en train de perdre de sa légitimité aux yeux des pays hôtes pour des raisons de manque d’efficacité, mais aussi politiques. Parce que les opinions publiques apprécient de moins en moins les interférences étrangères dans des affaires intérieures qu’elles estiment être du ressort de leur souveraineté. Donc, on est dans une phase d’incertitude générale à l’échelle mondiale sur ce qu’il convient de faire désormais lorsque certaines parties du monde sont en crise. Est-ce qu’à l’échelle internationale, il y a des initiatives qui peuvent marcher ? Des méthodes qui peuvent être réinventées pour mettre fin à ces sources de déstabilisation ? Le Mali est un cas emblématique de cette problématique, une parfaite illustration des tourments de la Communauté internationale contemporaine au plan opérationnel mais aussi au plan idéologique (intellectuel). Je ne sais pas quelle solution sera trouvée in fine.

On observe une sorte de repli de certains pays en crise sur de nouvelles alliances avec pour mot d’ordre la préservation de leur souveraineté. On se dirige peut-être vers des formes de coopération sécuritaire ad hoc, sur des opérations spécifiques. Même le président nigérien Mohamed Bazoum qui est censé être proche du bloc occidental admet lui-même qu’il préfère désormais les opérations bilatérales aux grands montages compliqués de type G5 Sahel. C’est vraiment une réflexion qui touche tout le monde en ce moment. L’accouchement de nouvelles solutions plus ou moins coopératives est difficile.