L’actualité ouest-africaine reste dominée par la crise au Niger consécutive au coup d’État du 26 juillet dernier contre le président Mohamed Bazoum. Pourtant, des évènements majeurs sont survenus au Mali voisin où la mission onusienne doit plier bagage au plus tard le 31 décembre 2023. Dans cette optique, la Minusma a rétrocédé dans la sérénité deux bases. Mais des ex-groupes séparatistes ont disputé celle de Ber, dans le Nord du pays, à l’armée malienne. Alors y a-t-il aujourd’hui un risque de reprise des affrontements entre l’armée et les ex-rebelles au Mali ? Explications.
Le 30 juin 2023, le Conseil de sécurité des Nations Unies a acté, à l’unanimité, la fin de sa Mission multidimensionnelle intégrée pour la stabilisation au Mali (Minusma). D’ici le 31 décembre prochain, tous les Casques bleus déployés dans ce pays doivent rentrer chez eux. Ce processus de retrait concerne aussi les installations de la Minusma censées revenir au pays d’accueil.
Des réunions dans les locaux du ministère malien des Affaires étrangères, dont la dernière en date remonte au jeudi 10 août, ont ainsi lieu entre les membres du Comité technique conjoint chargé de la mise en œuvre de la Résolution 2690 du Conseil de sécurité. C’est dans ce cadre que le Secrétaire Général adjoint aux opérations de paix de Nations Unies, Jean-Pierre Lacroix, a entamé le 17 août une visite de travail de deux jours au Mali. Objectif : peaufiner le plan de retrait des troupes.
La Minusma, dans un document de presse publié sur son site, a annoncé que les « camps (…) de Ber et Goundam, dans la région de Tombouctou, ont été fermés et formellement transférés à l’État malien, à travers ses représentants civils désignés, portant ainsi à trois le nombre de sites que la Mission a évacués ».
Sollicité par Tama Média, Mohamed Maïga, directeur du cabinet Aliber Conseil, ingénieur des politiques sociales, pense que « les choses sont assez claires à ce niveau. Que ce soit pour le cas spécifique de Ber ou d’un autre camp, dans la mesure où le départ de la Minusma a déjà été entériné au niveau du Conseil de sécurité, il faut reprendre les camps. Et c’est l’armée régulière en premier lieu qui doit les récupérer. »
Pour M. Maïga, « le Mali reste un État souverain disposant d’un territoire et d’une armée régulière ». De ce fait, « même s’il y a un accord très important, issu du processus de paix d’Alger, dès lors qu’une force comme la Minusma part, vu le contexte sécuritaire global au Sahel et les enjeux stratégiques de la transition, il n’est guère surprenant que l’armée malienne opte pour récupérer les camps. »
La base de Ber abritait, jusqu’à sa rétrocession, « une compagnie d’environ 200 militaires du Burkina Faso ». Quant au camp de Goundam, c’était « une compagnie fournie par la Côte d’Ivoire et une unité de police constituée de 140 personnels de police du Bangladesh ».
La rétrocession de ces deux bases, dans ces deux localités de la région administrative de Tombouctou, était précédée par la fermeture de « la base opérationnelle temporaire d’Ogossagou, dans la région de Bandiagara, le 4 août dernier », qui abritait un bataillon des Casques bleus sénégalais.
La base de Ber rétrocédée sur fond de tensions
Sur les réseaux sociaux, des rumeurs faisant état de confrontations entre l’armée malienne et d’anciens mouvements séparatistes ont circulé. Tard dans la soirée du vendredi 11 août, date à laquelle le camp de Ber a été rétrocédé à la partie malienne, l’état-major de l’armée a indiqué, sur ses canaux officiels de communication, que ses soldats, « en mouvement vers la localité de Ber, région de Tombouctou, ont riposté vigoureusement, (le même jour) vers 15 h50, à une tentative d’incursion dans leur dispositif ».
De son côté, la Coordination des Mouvements de l’Azawad (CMA), signataire de l’Accord d’Alger, a balayé d’un revers de main la thèse avancée par les forces armées maliennes. La CMA a dénoncé, dans un communiqué, une attaque contre « une de [ses] positions située à proximité de la localité de Ber » et dit tenir « le gouvernement de transition responsable des graves conséquences qui découleront de sa décision de rompre le cessez-le-feu ».
Contrairement aux Casques bleus de la base de Goundam, ayant pu rallier Tombouctou, le 16 août, « sans incident », selon un document de la Minusma consulté par Tama Média, le convoi de ceux de Ber, « qui a mis un peu plus de deux jours pour couvrir les 57 kilomètres séparant Ber de Tombouctou, a été la cible d’attaques à deux reprises, le 13 août. Quatre Casques bleus ont été blessés. ».
La Mission de maintien de paix des Nations Unies au Mali a justifié l’avancement de la date de son retrait de cette localité du Nord par « la dégradation rapide et très marquée de la situation sur le terrain et des risques élevés que cela faisait peser sur la sécurité des Casques bleus qui y étaient déployés ». Ces « incidents malheureux survenus à Ber » ont été déplorés notamment par le Conseil de l’Adagh, « composé des tribus, fractions, cadres et jeunes de la région de Kidal », dans un document de presse daté du 18 août 2023 et signé par le président Mohamed Ag Intallah.
« La friction avec les ex-rebelles était prévisible et les acteurs ont eu le temps de se jauger. Ces dernières semaines, certains hauts gradés de l’armée malienne ont clairement invité la CMA à combattre aux côtés de l’armée contre les jihadistes. Il faut analyser cela comme une déclinaison de la stratégie post-Minusma de l’armée malienne », soutient Mohamed Maïga, auteur de plusieurs publications dont « Sahel : la carence prospective de la décennie verte 2000-2010 ».
Avant même la fin annoncée de la Minusma, l’état-major de l’armée malienne avait invité, dans un document daté du 24 avril, « les mouvements signataires à coordonner leurs mouvements avec » les militaires maliens pour « éviter toute confusion pouvant entraîner des tensions sur le terrain, conformément aux directives des autorités politiques de la transition, et dans l’esprit de l’Accord pour la Paix et la Réconciliation issu du Processus d’Alger ».
Départ des membres du Cadre stratégique permanent
Lors de la réunion du Conseil de sécurité des Nations Unies, à l’occasion de laquelle le départ de la Minusma a été entériné, les diplomates des pays membres, ayant pris la parole, ont demandé la poursuite de la mise en application de l’Accord d’Alger. Le Mali, par la voix de son Représentant auprès des Nations Unies, le diplomate Issa Konfourou, les avait rassurés.
Mais sur le terrain, la tension continue de monter d’un cran entre les différentes parties. D’autant plus que le pouvoir de Bamako, dirigé par le colonel Assimi Goïta, par l’intermédiaire de son Premier ministre Choguel Maïga, avait évoqué l’éventualité d’une « relecture intelligente » de cet accord qui continue d’alimenter le débat public depuis sa signature en 2015. En décembre 2022, les autorités maliennes de transition avaient décidé de suspendre des indemnités des représentants des mouvements armés au sein du Comité de suivi de l’Accord (CSA).
Le Cadre stratégique permanent (CSP), une des parties garantes de la mise en œuvre de l’Accord d’Alger, a commencé à se vider de ses membres bien avant la demande officielle de départ de la Minusma. La Coordination des Mouvements de l’Azawad et la Plateforme des mouvements y siégeaient.
La Coordination des Mouvements et Forces patriotiques de résistance (CM-FPR) avait annoncé, 12 juin 2023, son départ du CSP en invoquant des prises de position de cette structure contraires à sa ligne de conduite. Aussi signataire de l’Accord, le mouvement d’auto-défense Gatia est scindé depuis quelques semaines en deux entités. Une tendance, celle de Fahad Ag Almahmoud, reste à ce jour membre du CSP. Mais l’autre mouvance nouvellement créée, conduite par Youssouf Ag Mohamed, a annoncé son départ le 25 juillet 2023.
Une semaine plus tard, plus précisément le mardi 1er août 2023, le Mouvement Arabe de l’Azawad (MAA), faisant partie de la Plateforme, via un communiqué, a porté à la connaissance du public son retrait du Cadre stratégique permanent à cause de divergences.
« Le CSP a, pour ses membres, été une instance de circonstance qui n’a pas réussi à jouer son rôle fédérateur en interne et diplomatique en externe. Il aurait pu être une instance réellement inclusive, rassembleuse et porteuse de sens pour les populations de cette partie du territoire malien. Malheureusement, il a plutôt été une instance avec des rapports de forces très soutenus, des tensions internes et des jeux d’alliance creux et contre-nature. Le CSP n’a pas eu d’impacts », fait observer le directeur du cabinet Aliber Conseil.
L’Accord d’Alger définitivement enterré ?
Pour nombre d’observateurs, la fin de vie de la Minusma porte « un coup dur » à la poursuite de la mise en œuvre de l’Accord d’Alger. Dans un grand entretien accordé à Tama Média, mis en ligne le 25 juillet dernier, Yvan Guichaoua, spécialiste du Sahel et des questions de sécurité, enseignant-chercheur en analyse des conflits internationaux à la Brussels School of International Studies (Université de Kent), a affirmé que « le délitement de l’Accord pour la paix et la réconciliation d’Alger (APR) est une autre conséquence possible du retrait de la Mission des Nations Unies du Mali ». Car, a-t-il souligné, la Minusma, « qui faisait partie de ces moyens de pression, ne pourra plus remplir son rôle ». Cependant, avait nuancé M. Guichaoua, « il reste encore des verrous parce que l’Algérie ne veut certainement pas que l’accord disparaisse. Il y a encore quelques moyens de pression pour empêcher les plus va-t-en-guerre dans les deux camps de reprendre les hostilités ».
De son côté, le directeur de la Coordination des Mouvements de l’Azawad « a estimé qu’il n’y a pas de raisons pour que sa délégation reste à Bamako en raison de l’absence de dialogue, d’interlocuteur sur les questions de fond et de la persistance des évènements sur le terrain ». Ces propos ont été rapportés par Attaye Ag Mohamed, le chef de cette délégation de la CMA, sur les ondes de Radio France Internationale (RFI), interdite de diffusion au Mali depuis mars 2022. L’autre raison évoquée par Attaye Ag Mohamed, c’est le défaut de dialogue pour une gestion « consensuelle » des « anciennes emprises de la Minusma au Mali ». À l’en croire, « la Minusma particulièrement et les Nations Unies de manière globale sont interpellées afin de faire en sorte que le retrait ne fasse pas partie du problème, mais de la solution ».
Pour sa part, le Conseil d’Adagh, réunissant « des tribus, fractions, cadres et jeunes de la région de Kidal », a rappelé « son attachement à la paix et à la mise en œuvre consensuelle de l’Accord pour la Paix et la Réconciliation au Mali issu du processus d’Alger ». Il a également exhorté l’armée malienne et « les mouvements signataires de l’Accord à convenir des modalités pratiques pour l’occupation des emprises laissées par la Minusma ».
Reconnaissant envers « l’Algérie et la communauté internationale pour les efforts qu’(elles) ne cessent de déployer pour parvenir à une paix juste et durable entre les fils du Mali », le Conseil d’Adagh a appelé « les parties (concernées) à mettre en place, dans les meilleurs délais, les conditions propices à la reprise du dialogue inter-malien afin d’accélérer la mise en œuvre de l’Accord ».
« Dans l’intérêt de toutes les parties prenantes » ?
Le 14 août 2023, le Bureau du porte-parole du Secrétaire Général des Nations Unies a animé un point de presse quotidien sur les situations au Mali, au Niger, au Soudan, en Ukraine, en Bosnie-Herzégovine, etc. Concernant Bamako, les Nations Unies, tout en condamnant les attaques sans les préciser, ont prié « toutes les parties à assurer la sécurité des déplacements des Casques bleus tout au long de la période de retrait, alors que la Mission s’efforce de transférer les bases et les responsabilités aux autorités maliennes, à l’équipe de pays des Nations Unies et au Bureau des Nations Unies pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel (UNOWAS) ».
Sur leur portail d’informations, les Nations Unies ont tenu à préciser ceci : « Comme le veut la règle, la Mission ne peut transférer ses installations qu’à l’État malien. Dans ce contexte, l’Organisation des nations unies (Onu) négocie avec les autorités maliennes un projet d’accord qui régira le transfert de ses camps de maintien de la paix. En parallèle, chaque fois que la Minusma quitte un camp, le représentant désigné par les autorités maliennes est prié d’attester de l’état du camp, des installations et de confirmer que l’Onu a rempli ses obligations environnementales ».
Au regard de ce qui précède, on peut se demander si l’Accord d’Alger pourrait être définitivement enterré avec le processus de retrait de la Minusma dont la fin est prévue le 31 décembre prochain. « Je ne le pense pas. Je considère tout de même qu’il a reçu un sérieux coup avec le départ de la Minusma ainsi que les tensions de la semaine dernière autour de Ber. Il est dans l’intérêt de toutes les parties prenantes, directes et indirectes, de maintenir un espace de dialogue car cet accord contient beaucoup plus d’implications qu’on ne le soupçonne. Je crois que les acteurs en sont conscients. Il ne faudrait pas laisser les frictions atteindre un certain niveau pour ouvrir cet espace. L’Accord évoque un sujet crucial pour le Mali. C’est la question territoriale et la logique de développement dans ces régions. Et ce sujet n’est pas négligeable. Il est même hautement important », argumente Mohamed Maïga, ingénieur des politiques sociales.