Le jugement de l’ancien ministre de la Défense est prévu en Suisse. Le général Khaled Nezzar est poursuivi par la justice helvétique pour « crimes de guerre et crimes contre l’humanité ». Les faits qui lui sont reprochés se seraient déroulés entre 1992 et 1994, c’est-à-dire pendant les premières années de la décennie de terrorisme qu’a vécue l’Algérie. Depuis son annonce fin août, le procès, initié par l’ONG Trial international, réveille des douleurs enfouies.
« La justice suisse a offert avec beaucoup de légèreté une tribune aux terroristes, à leurs alliés et soutiens pour tenter de discréditer le combat honorable de notre pays contre le terrorisme ». C’est avec cette phrase que le ministère algérien des Affaires étrangères a réagi à l’inculpation, trois jours auparavant, du général Khaled Nezzar.
Aujourd’hui âgé de 85 ans, l’ancien ministre de la Défense sera jugé par la justice suisse pour notamment « crimes de guerre sous forme de torture, traitements inhumains, détentions et condamnations arbitraires et crimes contre l’humanité sous forme d’assassinats ». Les faits visés auraient eu lieu entre janvier 1992 et janvier 1994, les premières années de la décennie d’actes terroristes commis en Algérie.
Les accusateurs sont d’anciens militants de la mouvance islamiste, des Algériens réfugiés en Suisse ou en France, qui disent avoir subi des tortures de la part des autorités de leur pays. Considéré comme un héros par les uns et un assassin par les autres, le général Nezzar a fait face à plusieurs procédures en Suisse et en France. Dans l’Hexagone, la justice a estimé en 2002 qu’elle n’avait pas à juger cette affaire.
La justice suisse, quant à elle, s’est fondée sur sa « compétence universelle », selon le communiqué du parquet fédéral, pour connaître des affaires comme celle-ci. Dans un premier temps, elle a lancé un mandat d’arrêt international contre l’ancien ministre de la Défense qui a été placé en garde à vue en 2011.
Il a ensuite été libéré avant que, « faute de preuves », l’affaire ne soit classée sans suite en 2017. Mais le dossier a été rouvert récemment. Actuellement, Khaled Nezzar vit en Algérie. Il ne s’exprime plus dans les médias. Toutefois, il a toujours nié en bloc les accusations portées à son encontre. Dans ses mémoires, il a affirmé avoir « fait son devoir » consistant à « défendre la République » contre « le terrorisme islamiste ».
Rappel historique
La réaction de l’État algérien par rapport au probable jugement de Khaled Nezzar est à la hauteur de la place qu’il y a occupée au début des années 1990. Dans cette période tumultueuse et sanglante, le général Nezzar a dirigé le stratégique ministère de la Défense nationale de 1990 à 1993. Personnage central dans l’appareil d’État, en janvier 1992, il a poussé à la démission le président Chadli Bendjedid qu’il jugeait « incapable de prendre des décisions fortes » face à la montée en puissance des islamistes.
Quelques semaines avant, le 26 décembre 1991 plus exactement, le Front islamique du salut (Fis, parti islamiste rigoriste) avait remporté les élections législatives avec une avance confortable au premier tour. Certains cadres du Fis étaient des promoteurs du jihad et menaçaient de déclencher une guerre s’ils n’étaient pas déclarés vainqueurs du scrutin. Peu avant le second tour prévu le 16 janvier 1992, les militaires avaient finalement annulé les élections, instauré l’État d’urgence et créé le Haut Comité d’État (HCE) conduit par Mohamed Boudiaf, figure de la guerre d’indépendance (1954-1962) et cofondateur du Front de Libération Nationale (FLN).
Dans cette présidence collégiale, Khaled Nezzar était très en vue. C’est d’ailleurs pour cela que les islamistes, a fait savoir à Tama Média le célèbre avocat Khaled Bourayou, « ne lui ont jamais pardonné » son action même s’il n’a pas connu le sort tragique du président Boudiaf assassiné à Annaba le 29 juin 1992 par un sous-officier affecté à sa protection.
Fin 1994, le général Nezzar a quitté définitivement ses fonctions de membre du HCE et a pris sa retraite au sein de l’armée l’année suivante pour créer une entreprise dans les télécommunications. Les attaques terroristes, sporadiques au début, sont devenues par la suite plus fréquentes. Militaires, journalistes et politiques sont alors abattus. Des attentats à la bombe et guets-apens, le lot quotidien des Algériens. Certains milieux ont accusé l’armée d’exactions face à la violence des islamistes. Car des massacres collectifs ont été commis durant la deuxième moitié des années 1990.
Quoique revendiqués par les jihadistes, les attentats ont suscité de vives polémiques quant à leurs auteurs véritables. Les violences, qui ont causé plus de 200.000 morts et des dégâts matériels chiffrés à des dizaines de milliards de dollars, ont cessé à l’entame des années 2000 grâce notamment à deux lois promulguées par l’ancien président Abdelaziz Bouteflika. Mais jusque-là ni exercice de vérité ni un grand procès n’ont été tenus en dehors de la condamnation à de lourdes peines d’emprisonnement des dirigeants du Front islamique du salut.
Controverse autour d’un procès
Des associations de disparus ont crié victoire à l’annonce du procès initié par l’ONG Trial International dont le principal objectif est « la lutte contre l’impunité des auteurs de génocide, crimes contre l’humanité, crimes de guerre, torture, disparitions forcées ». Elles accusent les autorités d’être derrière la disparition de leurs enfants, tandis que le gouvernement indique qu’il s’agit de personnes ayant rejoint les groupes terroristes et mortes au maquis.
« Après des années de recherche et de combat pour que ce cas (Nezzar) soit traduit en justice, le Collectif des familles de disparus félicite l’ONG Trial International et reconnaît l’extraordinaire investissement des parties plaignantes depuis près de vingt-trois ans », a-t-il indiqué dans un communiqué. Toutefois, ceux qui soutiennent que les islamistes étaient plutôt à l’origine des violences s’interrogent sur le sens de ce procès. Ces derniers pensent que l’ancien ministre de la Défense et d’autres généraux sont des héros puisqu’ils ont défendu la République contre des terroristes.
« Le général Khaled Nezzar s’est toujours opposé, en particulier, à la torture qu’il n’a pas hésitée à condamner publiquement dans les années 1990 », a souligné un communiqué signé par les avocats Caroline Schumacher et Magali Buser. « Tout comme toute l’institution militaire, Khaled Nezzar n’a fait que son devoir de combattre le terrorisme pour sauvegarder la République » contre les islamistes qui voulaient instaurer un califat en Algérie, a pour sa part indiqué Sofiane Djilali, leader du parti Jil Jadid (Nouvelle génération, opposition progressiste).
« La justice suisse procède à une lecture révisionniste de l’histoire de notre pays durant les années 1990. Elle procède par des accusations outrancières et infondées, par des comparaisons hasardeuses et inappropriées et par des falsifications si flagrantes qu’elles se discréditent elles-mêmes », a entre autres regretté le ministère des Affaires étrangères dans un communiqué où il a carrément menacé de rompre ses relations bilatérales avec la Suisse si elle ose lancer d’autres procès contre des dirigeants algériens.