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Le Nord du Mali, un « labyrinthe d’insécurité » pour les civils dont l’attaque du bateau Tombouctou est le symbole

19 septembre 2023
13 min

Le septentrion malien subit les assauts répétés des mouvements terroristes qui y répandent le sang dans un contexte de retrait graduel des troupes de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) présente depuis 2013. Outre les soldats de l’armée nationale, les civils tombent régulièrement comme des mouches sous les balles de l’ennemi imprévisible. Le 7 septembre dernier, aux alentours de Gourma-Rharous, dans la région de Tombouctou, l’attaque d’un bateau éponyme, assurant la liaison entre Mopti et Gao, a causé la mort d’au moins 64 personnes.

Le « Tombouctou » en flammes sur le fleuve Niger, le 7 septembre 2023.
Le « Tombouctou » en flammes sur le fleuve Niger, le 7 septembre 2023.

Jusqu’où ira le carnage ? Au Mali, la folie meurtrière des groupes jihadistes hante le sommeil des populations du Nord. Au cours du seul mois d’août 2023, d’après l’International Rescue Committee (IRC), « 30.000 personnes (environ 6000 ménages) ont fui leurs maisons à Tombouctou et Taoudéni ». Dans cette partie du pays, les jihadistes sont plus que jamais actifs.

Dans la matinée du 7 septembre 2023, de retour de Gao, le navire civil « Tombouctou », l’un des trois grands bateaux de la Compagnie malienne de navigation (Comanav) ayant « pour mission principale le désenclavement intérieur et extérieur du pays par voie fluviale », a été attaqué entre les villages d’Abba-Koïra et de Zorhoy, sur le fleuve Niger. Bilan provisoire, selon le gouvernement malien de transition, « au moins 49 civils et 15 militaires tués, des blessés, ainsi que des dégâts matériels sur le bateau ».

« Ce matin-là, certains passagers étaient encore en train de prendre leur petit déjeuner lorsque nous avons entendu soudainement des crépitements de balles. C’était aux environs de 10 heures. On a vu des hommes armés tirer sur le bateau. À côté de nous, il y avait un véhicule stationné. Mon employé et moi, nous nous sommes mis sous cette voiture pour nous protéger », a relaté Aliou (prénom d’emprunt), un rescapé de l’attaque du « Tombouctou ».

Voilà 20 ans qu’il fait du commerce dans le bateau, de Koulikoro à Gao en passant par Ségou, Mopti et Tombouctou : « Je ne sais faire que ça. Au départ, nous embarquons avec des marchandises comme des légumes et fruits. Une fois arrivés à Gao, nous achetons d’autres produits comme le couscous, l’huile, le savon et la boisson que nous vendons aussi sur le trajet », a-t-il signifié.

La route principale reliant Mopti (Centre) aux régions du Nord est, depuis une décennie, un cauchemar pour les usagers. Pour nombre d’entre eux, pas en mesure de payer un billet d’avion, le bateau reste le moyen de transport le plus sûr. Dans la foulée de l’assaut du « Tombouctou », la position des Fama à Bamba, ville proche du lieu du fâcheux évènement, a également été visée.

Sur les réseaux sociaux, des leaders de la Coordination des Mouvements de l’Azawad (CMA) ont revendiqué l’offensive contre les forces de défense et de sécurité. Quelques heures plus tard, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (Gsim ou Jnim en arabe) a affirmé dans ses canaux de propagande être l’auteur de l’attaque de Bamba. Mais il n’a pas revendiqué, pour le moment, celle contre le « Tombouctou ». Ce qui « ajoute à la confusion » puisque le gouvernement malien a attribué cette double attaque au groupe jihadiste.

Aux yeux de certains Maliens, les groupes signataires de l’Accord de paix d’Alger en 2015 ne sont pas différents des mouvements jihadistes. « Ceux qu’on appelle jihadistes, terroristes, rebelles et autres sont tous des bandits. C’est bonnet blanc et blanc bonnet », avait dit sans détour un imam de Tombouctou dans une étude d’Aurélien Tobie et de Boukary Sangaré datée de 2019, et intitulée « Impacts des groupes armés sur les populations au Nord et au Centre du Mali. Adaptations souhaitables des stratégies de rétablissement de la paix ».

Un bilan humain en dessous du réel ?

Trois vidéos diffusées par le Gsim, lié à Al-Qaïda, montrent l’irruption de leurs combattants à Bamba. Des habitants joints par Tama Média ont soutenu que « les militaires maliens trouvés sur place étaient en nombre très limité. Ils auraient ainsi battu en retraite ». Pour cause, certains soldats étaient envoyés en renfort lors de l’intervention sur le navire « Tombouctou » dans lequel, à en croire plusieurs sources, des hommes en uniformes avaient pourtant embarqué.

« Alors que les échanges de tirs se poursuivaient, les assaillants ont lancé des roquettes vers le bateau qui a fini par prendre feu. Puis ils sont partis. On a demandé aux gens qui étaient encore dehors de s’atteler à éteindre les flammes. Mais le feu se propageait vite. J’ai dit alors à mon employé et ma voisine qu’on devait se sauver parce qu’il n’y avait pas de solution. Nous avons donc plongé dans l’eau. C’est Dieu qui nous a sauvés ce jour-là. Des renforts sont venus à bord d’un hélicoptère environ une heure après », a détaillé le commerçant Aliou, ajoutant que « les renforts qui seraient partis de Bamba à bord de véhicules n’ont pas pu atteindre le lieu du drame ».

Hawa (prénom d’emprunt) et son époux, militaire de son état à Gao, auraient pu perdre la vie dans l’attaque du bateau. Mais ils ont été épargnés par la faucheuse. « Mon mari et moi avons été sauvés parce qu’il n’y avait pas de places pour nous sur le bateau. Sinon on aurait été à son bord lorsqu’il a été attaqué », a-t-elle confié. Le 8 septembre, ont assuré des piroguiers de Gourma-Rharous, « des corps sans vie ont été repêchés ». Dans un message vocal, attribué à l’un d’eux, il y aurait au moins une centaine de personnes dont les corps sans vie ont été retrouvés. D’après ses explications, « les gens, entrés dans les chambres du bateau pour s’y cacher, ont été pour la plupart réduits en cendres. Et d’autres corps ont été emportés par les eaux ».

Contactés par Tama Média, des autochtones ont confirmé les propos du piroguier en question. « Plus de 100 corps ont été enterrés devant nous. Le lendemain de l’attaque, six pirogues sont venues de Rharous pour nous évacuer. Au moment où nous y embarquions, ils ont amené 7 à 8 corps. Les gens réduits en cendres, on ne peut pas les compter. Au moment de l’attaque, des passagers pensaient qu’ils pouvaient trouver refuge dans les chambres. Beaucoup de personnes se sont précipitées vers les cabines qui étaient déjà occupées. Malheureusement, il y avait de la fumée partout. Certaines de mes connaissances en font partie. Jusque-là, on n’a pas retrouvé leurs corps. Depuis cette attaque, les riverains repêchent chaque jour des corps », a pour sa part affirmé Aliou.

bateau tombouctou

Il est donc difficile de connaître le bilan exact de l’attaque contre le « Tombouctou ». Depuis le drame, des citoyens cherchent désespérément à entrer en contact avec leurs proches. Sur les forums, les uns font part de décès et les autres entretiennent l’espoir de retrouver sains et saufs leurs parents.

« J’ai perdu trois personnes. Ce sont mes enfants. Seul mon petit-fils a échappé à la mort », a regretté, dans une vidéo, un vieillard devant une foule de rescapés visiblement remontés. Ces derniers souhaitent quitter au plus vite le lieu du traumatisme. « Cela fait cinq jours que je suis ici (à Rharous, NDLR). Nous n’avons toujours pas vu les corps de quatre de mes proches décédés. Deux d’entre eux sont mes frères. Je n’ai reçu que la dépouille de ma mère », a fulminé une autre rescapée. Dans deux courtes séquences, partagées sur les réseaux sociaux, des survivants de l’attaque du bateau ont demandé aux autorités à être évacués.

En riposte à ce double assaut, « une action combinée aéroterrestre (…) des Fama a permis de neutraliser une cinquantaine de terroristes », a renseigné un document officiel. Un deuil national de trois jours, à compter du vendredi 8 septembre à minuit, a été décrété sur l’ensemble du territoire national en mémoire des victimes. Des rescapés ont été acheminés à Gourma-Rharous et Bamba grâce à des initiatives locales. Aux dernières nouvelles, ceux acheminés dans la seconde ville n’y sont plus. Ils ont continué leur voyage vers Gao après quelques jours.

Élan de solidarité aux victimes

« Nous avons été bien accueillis à Rharous. Le jeudi (14 septembre), le gouverneur de la région de Tombouctou (le commissaire
divisionnaire Bakoun Kanté) est venu nous rencontrer. Il nous a demandés de patienter parce qu’il n’y a pas d’aéroport dans la ville pouvant permettre aux avions commerciaux d’y atterrir. Il nous a aussi dit que nous allions prendre des véhicules pour aller à Tombouctou. De là, chacun irait vers sa destination finale », a rapporté Aliou.

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Vue aérienne de la ville de Rharous. CP : le Facebook du gouvernorat de la région de Tombouctou.

Mais tout ne s’est pas passé comme prévu pour des rescapés qui demandaient une assistance d’urgence. « Nous étions fatigués d’attendre. Nous n’avions pas d’argent. C’est vrai, qu’on nous donnait à manger et à boire, mais les gens avaient d’autres besoins. Les rescapés commençaient à prendre des pinasses. Au début, nous avions peur d’y monter. Quand on a entendu que ceux qui sont partis étaient bien arrivés, nous avons aussi pris hier (dimanche) une pirogue en payant chacun 10.000 F CFA (un peu plus de 15 euros). Nous sommes arrivés ce matin (lundi) à Tombouctou où nous sommes logés dans une école », a déclaré le vendeur du « Tombouctou ».

Des Maliens, en attendant que l’État prenne totalement en main la situation, ont lancé des collectes de fonds en ligne afin de venir en aide aux rescapés. L’une de ces initiatives est notamment menée par Fatouma Harber, journaliste et blogueuse basée à Tombouctou. « En cherchant des informations sur les survivants arrivés à Rharous, un individu m’a raconté le dénuement total dans lequel se trouvent des centaines de personnes dans cette ville démunie. J’ai aussi regardé le témoignage d’une dame. Elle n’avait qu’un boubou sur le dos, pas de chaussures, ni de pagne. L’idée d’aider est venue comme ça », a-t-elle expliqué à Tama Média.

À la date du 14 septembre, « la situation de (s)a collecte de fonds pour les rescapés du bateau “ Tombouctou ” était de 1.053.000 F CFA (environ 1600 euros) ». « Nous lançons plus que jamais un appel aux dons car nous voulons prendre des pinasses pour transporter les survivants qui veulent absolument regagner leurs localités d’origine », a indiqué sur X Fatouma Harber.

« Nous comptons 407 rescapés au niveau de Gourma-Rharous et 21 blessés pris en charge dans l’hôpital régional de Gao à la date du 11 septembre 2023. Pour les personnes décédées, les investigations sont toujours en cours pour faire le compte et donner un bilan définitif », a précisé la ministre de la Santé et du Développement local, le colonel Assa Badiallo Touré.

Vu la gravité de la situation, « le président de la transition a décidé de surseoir aux activités festives du 22 septembre 2023. L’indépendance (du Mali) sera célébrée dans la sobriété et l’esprit du sursaut national », a souligné le communiqué du Conseil des ministres du mercredi 13 septembre dernier. Ce document, consulté par Tama Média, a ajouté que le colonel Assimi Goïta « a instruit le gouvernement d’orienter les ressources financières prévues pour lesdites activités à l’assistance aux victimes des actes terroristes et au soutien des populations endeuillées ».

Avalanche d’attaques meurtrières

« Le bateau est escorté par des militaires. Il y en avait beaucoup dans le “ Tombouctou ”. À l’étape de Mopti, d’autres militaires et agents de sécurité sont montés. Ils devaient normalement aller en mission à Gao. Certains, devenus des amis au gré des voyages, m’ont dit qu’on allait rentrer ensemble puisqu’ils sont des renforts. À partir de Sévaré, localité située à environ 13 kilomètres de Mopti, des militaires qui étaient à bord du “ Tombouctou ” devaient rejoindre d’autres bateaux. Après l’attaque, j’ai vu les corps de certains d’entre eux parmi les victimes », a retracé Aliou.

Au lendemain des assauts du 7 septembre, le camp de l’armée malienne, près de l’aéroport de Gao, a été la cible d’« une attaque aux véhicules piégés qui a causé (…) une dizaine de morts et des blessés parmi les Forces armées maliennes (Fama) ». Le 9 septembre, un hélicoptère de l’armée de l’air s’est écrasé au Nord de la même ville. Si l’on en croit l’état-major malien, le crash de l’aéronef, de retour d’une mission, n’a pas fait de victimes car les pilotes ont eu le temps de se retirer de l’appareil.

Le 12 septembre, c’était au tour d’une autre ville. « Mon mari, arrivé à 19h15 à la maison, m’a demandé de me mettre à genoux avec lui pour rendre grâce à Dieu. Et dans la prière, j’ai appris que mon beau-frère faisait partie des victimes de l’attaque survenue à Bourem. Il aurait été enlevé, mais a pu s’échapper par chance avec quelques frères d’armes. Nous ne pouvons que dire merci au Seigneur », a narré à Tama Média un proche d’un soldat rescapé. Selon nos dernières informations, la localité est sous contrôle de l’armée malienne après une bataille livrée aux groupes armés qu’elle considère comme « terroristes ». Or, les ex-rebelles ont revendiqué cette attaque de Bourem et diffusé une vidéo d’un soldat fait prisonnier.

En outre, « trois obus sont tombés dans la zone aéroportuaire de Tombouctou sans faire de dégâts, le 14 septembre 2023 », a annoncé l’état-major malien. Cette ville est sous blocus des jihadistes depuis plusieurs semaines maintenant. Mais le chef d’état-major, le général de division Oumar Diarra, a qualifié cette situation, sur le plateau du 20 heures de la télévision nationale, le 8 septembre, de « simulacre de blocus ».

La tendance des attaques est donc haussière malgré les efforts de l’État. « Le Mali est en passe de subir plus de 1000 évènements violents impliquant des groupes islamistes militants en 2023. Ce qui éclipserait les niveaux de violence record de l’année dernière et représenterait une multiplication par presque trois par rapport au moment où (les militaires ont) pris le pouvoir en 2020 », a conclu le Centre d’études stratégiques de l’Afrique, un organisme du département de la Défense des États-Unis, dans une publication datée du 21 juillet 2023. Depuis les évènements de Ber (Nord) où se trouvait un camp de la Minusma, en août dernier, il ne se passe pas un jour sans que l’on ne parle d’une attaque dans cette partie du pays.

Lire aussi sur Tama « Minusma au Mali : Risques d’affrontements post-retrait ? ».