Malheureusement l’Afrique a connu beaucoup plus de dirigeants forts et beaucoup moins de dirigeants éclairés. Je pencherais beaucoup plus du côté de Barack Obama qui, lors de son voyage au Ghana en 2009, a souligné dans son discours que « l’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts, mais de fortes institutions ».
Par Jean-Marie Ntahimpera
« Je vais courir ma chance, bien qu’elle soit très mince ». C’est la dernière phrase du livre « Une vie de boy » du célèbre écrivain camerounais Ferdinand Oyono. Celui qui veut courir sa chance, c’est le héros du livre, Toundi, le boy du commandant, qui décide de fuir le Cameroun pour échapper à la torture des autorités coloniales qui l’accusent à tort d’avoir participé au vol d’une importante somme d’argent. Cette phrase dénote, au-delà du livre, l’espoir qu’avaient les populations africaines d’échapper aux affres du colonialisme à la fin des années 1950, quand le livre a été publié.
Cet espoir de voir quelque chose de nouveau, de plus prometteur, je le vois aussi dans les yeux de ces jeunes hommes et femmes qui manifestent aujourd’hui dans les rues de Bamako, Ouagadougou, Niamey ou Libreville. Ce ne sont pas les militaires qu’ils applaudissent, ce n’est pas l’amour de l’uniforme, c’est l’espoir du changement de systèmes politiques qui n’ont pas pu répondre aux aspirations de leurs peuples.
Depuis le début des années 1990, la démocratie est le paradigme dominant en Afrique. Tous les quatre ou cinq ans, on organise de nouvelles élections, et les autorités en place pensent que ça y est, qu’ils sont légitimes, et que donc ils peuvent faire ce qu’ils veulent. La corruption, le népotisme, le tripatouillage de ces mêmes élections et des Constitutions, le musèlement des oppositions et des médias, tous les moyens semblent être bons pour garder le pouvoir. C’est ainsi qu’on trouve en Afrique des présidents qui ont passé 20 voire 30 ans au pouvoir. Dans ces conditions, devrions-nous être étonnés qu’il y ait recours aux coups d’État pour tenter une quelconque alternance ?
Une démocratie pour quoi faire ?
Ces coups d’État devraient donc interroger les Africains sur ce qu’ils ont fait du système démocratique. Dans une chronique du mois de janvier 2022, l’écrivain ivoirien Venance Konan dit que les pays dans lesquels on voit les coups d’État sont ceux où les élites ont échoué à vaincre les jihadistes et à assurer la sécurité à leurs populations. « La question fondamentale est de savoir ce qui compte vraiment pour nous : vivre simplement dans une démocratie ou vivre confortablement dans des pays en paix, dans la sécurité », se demande-t–il.
À cela j’ajouterai cette autre question : « Voulons-nous vivre simplement dans une démocratie ou vivre l’abondance, à l’abri de la pauvreté et de la misère ? » La pauvreté, le chômage, le manque d’opportunités, font partie de ces défis dont les élites africaines n’ont pas encore su trouver des réponses appropriées.
Tout en soulignant qu’il ne fait pas l’apologie de la dictature, Venance Konan termine sa chronique en se demandant « si dans certaines circonstances, des régimes forts, mais éclairés ne sont pas les meilleures réponses ». Malheureusement l’Afrique a connu beaucoup plus de dirigeants forts et beaucoup moins de dirigeants éclairés. Je pencherais beaucoup plus du côté de Barack Obama qui, lors de son voyage au Ghana en 2009, a souligné dans son discours que « l’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts, mais de fortes institutions ». Oui l’Afrique a besoin d’institutions capables de lutter efficacement contre la corruption, d’organiser des élections crédibles, des systèmes judiciaires indépendants, des parlements qui font leur travail et qui ne sont pas seulement des caisses de résonnance du pouvoir exécutif. L’Afrique a aussi besoin de fortes institutions de la société civile capables de défier les politiques quand ceux-ci n’assument pas convenablement leurs responsabilités.
La Charte africaine de la démocratie est-elle dépassée ?
L’Union Africaine (UA) condamne systématiquement les coups d’État en se basant sur la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance. Mais en lisant attentivement ce texte, entré en vigueur en 2012, on se rend compte qu’il est biaisé, qu’il reflète beaucoup plus la volonté des chefs d’État africains de garder le pouvoir plutôt qu’un vrai souci de « promouvoir les valeurs universelles et les principes de la démocratie » formulés dans le préambule. Par exemple, parmi les 13 objectifs énoncés dans le chapitre 2 et les 11 principes qu’on trouve dans le chapitre 3, on ne trouve nulle part la promotion d’une presse libre et indépendante. On n’y trouve pas non plus le rôle, le respect ou le renforcement des organisations de la société civile. Quelle démocratie peut-on promouvoir sans une presse digne de ce nom et sans une société civile forte ?
Par contre, « le rejet et la condamnation des changements anticonstitutionnels de gouvernement » sont mis en évidence, aussi bien dans les objectifs et les principes de la Charte africaine de la démocratie. Dans les objectifs, les chefs d’État et de gouvernement insistent sur la nécessité d’ « interdire, de rejeter et de condamner tout changement anticonstitutionnel de gouvernement dans tout État membre comme étant une menace grave à la stabilité, à la paix, à la sécurité et au développement ».
Cette assertion était peut-être vraie dans les années 1990, où les coups d’État étaient plus sanglants. Par exemple, dans mon pays, le Burundi, les auteurs du coup d’État de 1993 ont assassiné le président élu Melchior Ndadaye et tous ses principaux collaborateurs, sur fond de haine ethnique de longue date entre Hutu et Tutsi. Ce putsch a été suivi par une guerre civile qui a duré une dizaine d’années, faisant plus de 300.000 morts. Ce coup d’État a vraiment été une menace à la paix et au développement de ce petit pays d’Afrique centrale, aujourd’hui considéré comme le plus pauvre du monde.
Il y a coup d’État et coup d’État
Je ne vois pas les récents coups d’État au Mali, au Burkina, au Niger ou au Gabon comme des menaces à la paix. Au Sahel, les coups de force sont plutôt les conséquences de l’instabilité causée par les attaques des groupes jihadistes. Les militaires pensent qu’ils peuvent prendre les choses en main en prenant eux-mêmes le contrôle du pays, et les populations semblent être globalement d’accord avec cette approche. Pour le moment, il n’y a aucun signe montrant que les militaires font mieux que les civils pour ramener la paix et la sécurité, étant donné que la situation sécuritaire semble s’empirer de jour en jour, surtout au Mali et au Burkina Faso.
Mais je suis d’avis qu’il faut laisser les militaires faire leurs preuves pour qu’on les juge par leurs actes. Si les militaires prennent le pouvoir dans un pays en guerre, je proposerais qu’on leur laisse entre 3 et 5 ans pour qu’ils essaient de ramener la paix avant qu’ils organisent de nouvelles élections. Après tout, même en dehors de l’Afrique, les militaires ont toujours été les mieux placés pour gérer les pays en guerre ou qui en sortent. L’exemple le plus frappant est celui du général de Gaulle qui a remis la France sur les rails après la Seconde guerre mondiale. Peut-être que parmi les nouveaux putschistes émergera un de Gaulle malien, burkinabè ou nigérien.
Il va falloir que l’Union Africaine (UA) cesse de se focaliser sur les élections et les coups d’État, et s’engage à promouvoir une vraie culture démocratique sur le continent. La Charte africaine de la démocratie a aussi besoin d’une retouche pour qu’elle corresponde mieux aux préoccupations, non pas seulement des chefs d’État, mais aussi et surtout des jeunes d’aujourd’hui.
NB : les opinions exprimées dans cette tribune ne représentent aucunement celles de la rédaction de Tama Média.