Après une journée émaillée de tirs dans le quartier de la présidence à Ouagadougou, une quinzaine de soldats en treillis et pour certains encagoulés ont pris la parole, peu avant 20H00 (GMT et locale) sur le plateau de la radiotélévision nationale.
“Le lieutenant-colonel Damiba est démis de ses fonctions de président du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration” (MPSR, organe dirigeant de la junte), ont déclaré les militaires dans un communiqué lu par un capitaine.
Le capitaine Ibrahim Traoré désigné président
Le nouvel homme fort du pays, désigné président du MPSR, est désormais le capitaine Ibrahim Traoré. Il est âgé de 34 ans, était jusqu’à présent le chef de l’unité des forces spéciales antijihadistes “Cobra” dans la région de Kaya (nord). Il y a peu d’images publiques du capitaine. Lors de la déclaration faite à la télévision nationale, on le voit assis derrière et à gauche du militaire qui lit le communiqué annonçant le putsch. Le sort de M. Damiba restait inconnu vendredi soir.
Les putschistes ont également annoncé la fermeture des frontières terrestres et aériennes du pays à partir de minuit, ainsi que la suspension de la Constitution et la dissolution du gouvernement et de l’Assemblée législative de transition. Un couvre-feu de 21H00 à 05H00 est aussi mis en place.
“Idéal trahi”
Les militaires invoquent “la dégradation continue de la situation sécuritaire” dans le pays.
“Nous avons décidé de prendre nos responsabilités, animés d’un seul idéal, la restauration de la sécurité et de l’intégrité de notre territoire”, ont-ils poursuivi.
“Notre idéal commun de départ a été trahi par notre leader en qui nous avions placé toute notre confiance. Loin de libérer les territoires occupés, les zones jadis paisibles sont passées sous contrôle terroriste”, ont-ils encore affirmé.
A son arrivée au pouvoir le 24 janvier, lui aussi par un communiqué lu par des hommes en armes à la télévision, M. Damiba avait promis de faire de la sécurité sa priorité, dans ce pays miné depuis des années par de sanglantes attaques jihadistes. Mais celles-ci se sont multipliées ces derniers mois, notamment dans le Nord.
Les putschistes ont promis de convoquer “incessamment les forces vives de la Nation” afin de désigner un “nouveau président du Faso, civil ou militaire”.
Condamnation de la Cédéao
Dans un communiqué, la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) –dont le Burkina est suspendu des instances depuis le coup d’Etat de janvier– a “condamné avec la plus grande fermeté la prise de pouvoir par la force qui vient de s’opérer”.
La Cedeao trouve “inopportun ce nouveau coup de force au moment où des progrès ont été réalisés (…) pour un retour à l’ordre constitutionnel au plus tard le 1er juillet 2024”.
La journée de vendredi a été très tendue dans la capitale burkinabè, des tirs ayant été entendus avant l’aube dans le quartier abritant la présidence et le QG de la junte, selon plusieurs témoins, puis à nouveau en début d’après-midi.
Plusieurs axes de la ville ont été barrés toute la journée par des militaires postés sur les principaux carrefours de la ville, notamment devant le siège de la télévision nationale.
Vendredi soir, peu avant l’annonce télévisée, un important dispositif militaire s’est déployé dans certains quartiers de la capitale. Dans la journée, le porte-parole du gouvernement Lionel Bilgo avait évoqué “une crise militaire” sur des “revendications liées à des primes”.
Dégradation de la situation sécuritaire depuis le coup d’État de janvier 2022
Le coup d’Etat mené en janvier par le lieutenant-colonel Damiba avait renversé le président élu Roch Marc Christian Kaboré, déjà impopulaire face à la hausse des attaques jihadistes.
Mais ces derniers mois, des attaques meurtrières, touchant des dizaines de civils et de soldats, se sont multipliées dans le nord et l’est, où des villes sont désormais soumises à un blocus des jihadistes, qui font sauter des ponts à la dynamite et attaquent les convois de ravitaillement qui circulent dans la zone. Deux de ces convois ont notamment été attaqués en septembre, avec à chaque fois un bilan lourd. Trente-cinq civils, dont de nombreux enfants, sont morts dans l’explosion d’un engin improvisé le 5 septembre. Et lundi, onze soldats ont été tués et 50 civils portés disparus dans l’attaque de leur convoi. Le 13 septembre, le lieutenant-colonel Damiba avait limogé son ministre de la Défense pour assumer lui-même ce rôle. D’autres attaques ont particulièrement marqué l’opinion publique, comme le massacre de Seytenga (nord) en juin, au cours duquel 86 civils ont été tués. Depuis 2015, les attaques récurrentes de mouvements armés affiliés aux jihadistes d’Al-Qaïda et du groupe Etat islamique, principalement dans le nord et l’est du pays, ont fait des milliers de morts et provoqué le déplacement de quelque deux millions de personnes.