Jamais la scène politique algérienne n’a été aussi morne. Depuis plusieurs mois, les partis politiques, de l’opposition comme ceux du pouvoir, sont quasiment absents des actualités. Assommés par une fermeture des médias et les contrecoups de la fin chaotique du mouvement populaire du hirak en 2021, de nombreux acteurs de la classe politique algérienne sont aux abonnés absents. Mais à un an et demi de l’élection présidentielle, la donne commence à changer.
Nous ne sommes pas encore aux débats animés sur les plateaux des chaînes de télévisions, mais certains acteurs de la classe politique algérienne commencent à se positionner. C’est le cas de Abderrazak Makri. Ancien président du parti islamiste le Mouvement de la Société pour la paix –MSP- l’homme a quitté ses fonctions partisanes en mars dernier à l’occasion d’un congrès. Depuis, il multiplie les déclarations pour notamment afficher clairement sa volonté de postuler à la magistrature suprême en prévision de l’élection présidentielle qui aura lieu en principe en décembre 2024.
En plus de vouloir être le candidat de sa formation politique et probablement de la mouvance islamiste, Abderrazak Makri veut ratisser large. Ce médecin de 62 ans, sans aucune expérience gouvernementale, a déclaré récemment avoir eu des contacts avec d’autres tendances politiques, y compris avec des militants laïcs. « J’ai eu des contacts avec des cadres du parti, des personnalités de notre mouvement et même d’autres acteurs politiques, y compris du courant laïc », a-t-il confirmé. Pour lui, il ne s’agit pas d’être un candidat de son parti. Il ambitionne d’être carrément un candidat de consensus, à la tête d’une coalition. « Je l’ai toujours dit, insiste-t-il. Aucun homme, aucun parti ne peut gouverner seul dans cette conjoncture ». Il lance d’ailleurs un appel à toutes les tendances politiques afin de l’entourer. Pour cela, il promet, à demi-mot, qu’il n’appliquera pas que son projet mais s’attellera à faire « le consensus » pour gérer ce qui semble être une transition.
Mais il sait que le pari n’est pas gagné. Avant de se porter candidat, il doit d’abord recevoir l’assentiment des militants de son parti. « Oui, je suis capable d’être président de la République. J’ai les compétences et l’expérience pour cela. Mais il faut d’abord que les militants de mon parti soient d’accord », a en effet consenti l’ancien député de M’sila (Est). Sa candidature, comme candidat de consensus, doit également recevoir l’accord des autres partis politiques. Ce qui n’est pas évident surtout qu’étant d’obédience islamiste, il suscite la méfiance chez les autres courants idéologiques laïcs dont certains le soupçonnent d’avoir des accointances avec l’Internationale islamiste.
Vers une candidature unique de l’opposition ?
Pourtant, l’idée d’un candidat de consensus fait son chemin depuis quelques mois déjà chez certains acteurs politiques algériens. Certaines figures du Hirak, ce mouvement populaire qui a poussé au départ l’ancien président Abdelaziz Bouteflika en avril 2019, ont commencé même des conciliabules en vue de dégager un consensus autour d’un candidat unique de l’opposition en prévision de l’élection de 2024. « C’est la seule solution qui se présente à nous dans ce climat où tous les espaces d’expression sont fermés à l’opposition », estime Abdelkrim Zeghilche, une figure du mouvement populaire. Selon lui, l’idée n’est pas tant de gagner le scrutin, mais « au moins » de profiter de cette élection « pour faire passer des messages ». Car, jusqu’à présent, les partis et personnalités de l’opposition sont quasiment interdits dans tous les médias. Cette idée est aussi partagée par Rachid Hassani, chargé à la communication du Rassemblement pour la Culture et la démocratie (RCD, laïc de centre-gauche). Mais il estime qu’avant de parvenir à cette idée, les autorités « doivent ouvrir les espaces et rétablir l’action politique ».
En attendant la présidentielle de 2024, certains partis politiques, notamment de l’opposition, tentent d’abord de « briser » la Chappe de plomb imposée par les autorités et qui les réduit au silence. Le RCD, le Parti des Travailleurs (PT, parti de la gauche ouvrière) et l’Union pour le changement et le Progrès (UCP, parti de la mouvance progressiste), se réunissent régulièrement pour créer « un rapport de force » favorable à l’opposition, indique Atmane Mazouz président du RCD. Pour lui et ses autres alliés, il s’agit de « créer les conditions d’une pratique politique sereine » dans le pays. Avant d’aller vers une compétition basée sur des programmes, ce triumvirat réclame d’abord « la libération des détenus politiques » et « l’ouverture des espaces politiques et médiatiques » fermés par les autorités depuis plusieurs mois. Après cela, ils sont prêts à dialoguer avec les autorités en place. Mais ce scénario n’est pour l’instant qu’au stade des vœux. En attendant, les trois formations politiques, en contact avec d’autres partis, continuent de se réunir en dehors des caméras pour tenter de dégager une action commune.
Un peu à la marge, le pari du Front des forces socialistes (FFS, opposition socialiste, historique) tente un nouveau repositionnement. Ce parti, premier de l’opposition à être fondé par le leader historique Hocine Aït-Ahmed en 1963, lance régulièrement des appels « au dialogue » entre le pouvoir et la classe politique pour « faire face à la menace extérieure ». Mais comme à chacune de ses actions, ce parti n’explique pas en quoi consiste réellement son initiative. Ses dirigeants ont déjà répondu favorablement à chacune des invitations de la présidence de la République. Mais ces discussions n’ont pour l’instant abouti à aucun résultat.
Le président Abdelmadjid Tebboune déjà en campagne ?
En face, le chef de l’Etat, Abdelmadjid Tebboune, semble inscrire son action dans la durée. S’il refuse d’aborder publiquement ses intentions pour la présidentielle de 2024, ses proches valorisent toutes ses actions, en interne comme sur le plan diplomatique, à coup de campagnes médiatiques tous azimuts. La dernière a été celle de sa récente visite en Russie qui a fait l’objet d’un documentaire diffusé simultanément sur toutes les chaines de télévisions, publiques et privées, du pays à une heure de grande écoute. Ses faits et gestes, y compris les plus anodins, sont repris en cœur par tous les médias du pays. Ce qui pousse les observateurs à conclure que le chef de l’Etat prépare un deuxième mandat.