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Mali : départ de la Minusma, les arguments des “pour” et des “contre”

24 juin 2023
15 min

Au Conseil de sécurité des Nations Unies, le vendredi 16 juin, le gouvernement malien de transition, par la voix de son ministre des Affaires étrangères Abdoulaye Diop, a demandé « le départ sans délai » de la mission onusienne présente au Mali depuis 2013. Comment cette nouvelle du départ de la Minusma est-elle accueillie dans le pays ? Nous avons recueilli les arguments des “pour” et des “contre”.

minusma
Des casques bleus de la Minusma discuttent avec un habitant du village de So près de Bandiagara

Les arguments de ceux qui réclament le départ de la Minusma

Vendredi 16 juin, le Conseil de sécurité de l’ONU s’était réuni pour examiner de nouveau la situation au Mali. Le rapport du Secrétaire Général de l’ONU était soumis en débat à la tribune de l’Organisation internationale instituée le 24 octobre 1945, au sortir de la Seconde Guerre Mondiale. C’est alors, à sa prise de parole pour donner la lecture du mémorandum de Bamako sur ce rapport, que le ministre malien des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, Abdoulaye Diop, a annoncé depuis New-York à la surprise générale « la demande de départ sans délai de la MINUSMA » par son gouvernement, après avoir naturellement dressé un bilan peu élogieux de la mission onusienne présente dans le pays depuis 2013.

Néanmoins, le patron de la diplomatie malienne, qui a aussi occupé le même poste sous le défunt régime déchu, du président Ibrahim Boubacar Kéïta, a laissé entendre que le gouvernement est disposé à coopérer avec les Nations Unies dans “cette perspective” du retrait. Comme un coup savamment préparé en amont, les autorités ont confirmé la nouvelle du départ de la Minusma le même vendredi 16 juin. C’était via un communiqué lu dans le 20 Heures de la télévision nationale par le porte-parole du gouvernement, le colonel Abdoulaye Maïga, aussi ministre de l’Administration Territoriale et de la Décentralisation . « Le mandat de la MINUSMA n’est pas adapté à la situation sécuritaire au Mali, qui aurait nécessité une force de lutte contre le terrorisme, dépassant la doctrine des Missions de paix des Nations Unies », assène de nouveau Abdoulaye Maïga, habillé en boubou modestement brodé de couleur blanche, avec un chapeau blanc, sur les écrans de la télévision nationale.

« Les autorités ont pris du retard » ?

Coordinateur du mouvement “Yerewolo” à Tombouctou, à plus de 800 km de Bamako, Abdoulaye Coulibaly estime, lui aussi comme le gouvernement, que « le mandat de la MINUSMA ne rime pas avec la réalité du Mali ». Pour lui, « les autorités ont pris du retard, elles auraient dû demander leur départ bien avant aujourd’hui ». Yerewolo est dirigé par l’activiste autoproclamé panafricain Adama Diarra, connu sous le surnom de “Ben Le Cerveau”. Il siège aujourd’hui au sein du CNT, l’organe législatif de la transition. Son mouvement a fait du départ de la MINUSMA son cheval de bataille depuis maintenant plusieurs années, avec celui de la Force française Barkhane, alors présente dans le pays. Le mouvement Yerewolo est à l’origine de plusieurs manifestations ces derniers mois contre la communauté internationale. Son dernier rassemblement gigantesque remonte au 28 avril 2023. A son appel, des centaines de milliers de Maliens ont manifesté au Palais de la Culture à Bamako et dans plusieurs capitales régionales du pays, à un moment où la question de la présence de la MINUSMA défraiyait de nouveau la chronique malienne.

S’affichant dans le même registre, Oumar Sangalaba, enseignant syndicaliste à Mopti, militant au parti pour l’Action Civique et Patriotique (PACP), fondé et dirigé par l’ex-Ambassadeur du Mali en Inde Niankoro Yeah Samaké, affirme lui aussi que « la présence de la MINUSMA au Centre a été un échec cuisant vu le contexte sécuritaire de cette localité ». A en croire ce candidat aux dernières élections législatives dans la circonscription électorale de Bandiagara [située dans la zone dite du pays dogon], qui ont précipité la démission forcée du président IBK en août 2020, « cette mission[la minusma] déplace les problèmes au lieu de les résoudre ». Par conséquent, poursuit-il, « elle doit partir tout simplement pour qu’il y ait développement et sécurité au Mali, car elle n’a pas su répondre aux défis sécuritaires et à nos aspirations depuis qu’elle est présente dans le pays ».

Comme une occasion de marquer de nouveau un coup politique de solidarité orchestré entre deux régimes de transition voisins, se soutenant mutuellement, le gouvernement burkinabè de transition a également réagi via un communiqué rendu public le 18 juin. Dans ce document officiel signé Rimtalba Jean Emmanuel Ouédraogo, porte-parole du gouvernement, le pouvoir de Ouaga, dirigé par le capitaine Ibrahim Traoré, qualifie cette décision de Bamako d’un « choix assumé, qui est conforme à la vision stratégique de l’Etat malien dans la lutte contre le terrorisme et pour la restauration de la paix et de la sécurité au Sahel ». Le Secrétaire Général de l’Organisation des Nations Unies est invité, avec la formule qui y sied, « de bien vouloir prendre les dispositions utiles pour le retrait des troupes burkinabè engagées au Mali dans le cadre de la MINUSMA », peut-on lire dans le même document de trois paragraphes.

A Bamako, la capitale malienne, le Conseil national de transition (CNT), organe législatif de la transition malienne, a sans surprise salué lui aussi la décision du gouvernement malien, demandant le retrait sans délai de la mission onusienne. Décision qu’il qualifie de « salutaire et responsable qui intervient après dix (10) ans de présence mitigée de la » mission onusienne au Mali, peut-on lire dans un document officiel, rendu public le 18 juin, cacheté et signé par le Secrétaire Général du CNT, Modibo Sidibé.

Les arguments des opposants au départ de la Minusma

Cependant, faut-il le signaler, la nouvelle du départ de la Minusma n’est pas sans inquiétude au sein d’une partie de l’opinion publique malienne. A Gao, par exemple, ville située au nord du pays, à plus de 1000 km de Bamako, où intervient aussi la Minusma, plusieurs organisations locales de la Société civile avaient manifesté le 29 avril dernier, pour exprimer leur position sur la question de son départ ou de son maintien. Favorables à son maintien, même s’ils reconnaissent que la mission n’a pas réussi tout, (surtout pour ce qui concerne la protection des civils), ces différents corps constitués de la Société civile locale justifient leur choix, à satiété, par disent-ils “les nombreux efforts déployés” par la Minusma depuis sa présence dans le pays, notamment au nord [Tombouctou, Gao, Kidal, etc ] et au centre du pays [notamment à Mopti abritant un de ses camps, à Sévaré plus précisément]. Le centre du Mali comprend d’autres localités [Ségou et Sikasso] en plus de la région de Mopti et de la nouvelle région administrative de Bandiagara, faut-il préciser notamment pour éviter de ramener la zone du centre à la seule localité de Mopti et environs.

« La Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali dont le mandat a été renouvelé par le Conseil de sécurité jusqu’en juin 2023 à travers la Résolution 2640 (2022) contribue à réaliser deux priorités stratégiques : l’appui à la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali (“l’Accord” [d’Alger]), ainsi que la transition politique. La seconde vise à “faciliter la mise en œuvre d’une stratégie malienne globale à orientation politique pour protéger les civils, réduire la violence intercommunautaire et rétablir l’autorité et la présence de l’État ainsi que les services sociaux de base dans le Nord et le Centre du Mali ». Ce sont là entre autres les raisons évoquées par ces organisations civiles de Gao dans une déclaration conjointe de quatre pages, rendue publique lors d’une conférence de presse animée le 29 avril 2023.

Suite à la demande du retrait sans délai de la MINUSMA, Tama Média a contacté plusieurs acteurs des organisations civiles de Gao pour recueillir leurs réactions sur la décision dans le cadre de ce reportage. « Depuis l’annonce du retrait, nous n’avons pas tenu de réunion. Donc, je ne voudrais pas me prononcer dessus. », nous a fait savoir l’un d’eux. D’autres, comme un mot d’ordre à suivre, se réservent aussi — pour le moment — de s’exprimer de nouveau sur la question, nous rappelant au passage avoir déjà fait connaître leur position.

A Tombouctou, contrairement à Gao, selon nos informations, deux camps se dégagent : les uns militant pour le départ de la mission de l’ONU au Mali comme Abdoulaye Coulibaly du mouvement “Yerewolo”, cité plus haut ; les autres réclamant son maintien pour diverses raisons. « La présence de la MINUSMA, de façon générale, c’est une bonne chose dans un contexte où notre pays traverse un moment crucial sans précédent de son existence, une crise multidimensionnelle exceptionnelle. Donc, le Mali a nécessairement besoin de l’appui technique et financier de tous ses partenaires, qu’ils soient occidentaux, chinois, russes ou africains », avance de son côté Ben Amar, le porte-parole de la plateforme des jeunes pour la défense des intérêts de Tombouctou et Taoudéni, pas favorable au départ de la MINUSMA. « A Tombouctou, la présence de la mission a un impact positif sur les communautés et même l’Etat à travers des projets à impact rapide (réhabilitation des bâtiments des services techniques de l’Etat, des centres de santé communautaire, des écoles, des adductions d’eau potable, etc); les projets à long terme comme la réhabilitation de la route Tombouctou – Kabara – Koriomé, l’achat d’un scanner et plateau technique à l’hôpital régional de Tombouctou, le bac de Koriomé [localité située dans le cercle de Tombouctou comme celle de Kabara] pour transporter des voitures et camions sur le fleuve, entre autres ) », a écrit à Tama Média le porte-parole de la plateforme des jeunes pour la défense des intérêts de Tombouctou et Taoudéni, Ben Amar. A l’en croire, « la MINUSMA emploie plusieurs centaines de jeunes à Tombouctou et elle contribue considérablement à l’économie locale ».

Craintes d’un employé de la Minusma

Ce sentiment d’inquiétude anime plus d’un Malien, notamment chez les employés de la MINUSMA. En fonction à l’intérieur du pays depuis plusieurs années, cet employé de la mission a accepté de répondre aux questions de Tama Média, sous condition de ne pas être cité nommément. « La demande de retrait de la MINUSMA formulée par le gouvernement a surpris beaucoup de personnes. Mais, au-delà de la surprise, elle a provoqué un sentiment d’inquiétude chez nombre de travailleurs. Personnellement, je ne suis pas inquiet à la perspective de voir mon travail s’arrêter un jour et de perdre les avantages financiers qui y sont liés. », nous confie-t-il. Qu’est-ce qui l’inquiète alors ? « Ce qui m’inquiète davantage, c’est le sort de tous ces employés qu’on va mettre sur le carreau sans véritables alternatives dans un pays dont l’avenir est difficile à prédire. J’entends souvent que “les jeunes rejoignent les groupes extrémistes parce qu’aucune perspective ne leur a été présentée”. Je me dis dans ce cas, le retrait de la MINUSMA va signer la fin du semblant de sécurité qu’il y avait dans certaines régions, notamment où elle était déployée. », craint-il.

« Des milliers de jeunes maliens arrivaient à se prendre en charge grâce aux emplois directs et indirects liés à la présence de la Mission. L’économie locale s’est progressivement relancée également avec les marchés que les opérateurs économiques locaux obtenaient. Quand on envisage l’arrêt de tout cela de façon brutale, il y a des motifs d’inquiétude. Pas parce que les gens ne se sont pas préparés à l’éventualité de ce retrait mais parce que cela arrive à un moment crucial. », explique ce personnel malien de la MINUSMA, qui a formé autrefois plusieurs générations de jeunes gens quand il exerçait encore dans l’enseignement public malien.

Pour rappel, à Gao, ville abritant alors la plus grande base de Barkhane au Mali, force anti-terroriste française autrefois déployée dans le pays et ailleurs au Sahel, 600 anciens collaborateurs avaient créé une association afin d’alerter sur leurs difficiles conditions de vie, liées au départ précipité de leur ancien employeur. Le gouvernement avait promis de prendre en compte leur situation mais, selon nos dernières informations, beaucoup d’anciens collaborateurs de la force française sont toujours au chômage.

La question des droits humains

Autre chose ? Depuis le départ de Barkhane et les partenaires occidentaux au sein de la Task Force Takuba [unités des forces spéciales], sur fond de tensions diplomatiques entre Bamako et Paris, le 15 août 2022, Minusma se retrouve “à la croisée des chemins“, dans une situation de statu quo sur son avenir au Mali. Car la Minusma bénéficiait notamment de l’appui de la force française conçue à cet effet, mais les textes juridiques, encadrant son intervention au Mali, avaient été dénoncés par le gouvernement malien de transition. Ce n’est pas la seule raison évidemment. Avec les conditions de déplacement imposées par Bamako, le retrait [effectué ou annoncé] de certains pays contributeurs, le problème de rotation des troupes, entre autres, la situation est devenue davantage compliquée pour cette mission onusienne au Mali, notamment sur l’épineuse et sensible question des droits de l’Homme.

Pour rappel, la promotion et la protection des droits de l’Homme font partie intégrante du mandat de la Minusma. Cette question des droits humains est depuis plusieurs mois devenue le principal point de discorde. Point sur lequel Bamako n’entend pas coopérer avec la mission onusienne. Il l’a d’ailleurs fait savoir au moment du renouvellement à New-York du mandat en cours, et à maintes reprises, déclarant à tort ou à raison craindre “l’instrumentation de la question des droits de l’Homme”. Dernier cas en date : le rapport publié sur les événements de Moura, par le Haut-Commissariat aux droits de l’Homme des Nations Unies le vendredi 11 mai, qui fait état d’au moins 500 personnes tuées par des éléments supposés de l’armée malienne et de la nébuleuse société militaire russe “Wagner”. Le gouvernement malien a rejeté ce rapport de 41 pages, le qualifiant de « rapport biaisé, reposant sur un récit fictif et ne répondant pas aux normes internationales établies », annonçant attaquer en justice les auteurs. Ce qui se matérialise, du moins, à la lecture d’un récent communiqué de la justice malienne. Le Procureur de la République du Pôle judicaire, spécialisé en matière de lutte contre le terrorisme et la criminalité transnationale organisée, a annoncé le 19 juin avoir « été saisi d’une plainte formulée par la Direction générale du Contentieux de I’État contre les membres de la mission spéciale d’établissement des faits, tous coauteurs ou complices du chef des crimes, entre autres, d’espionnage, d’atteinte au moral des armées de terre ou de l’air, de faux et usage de faux et d’atteinte à la sûreté extérieure de I’État ». Dans ce document officiel signé Ladji Sara, Procureur général par intérim près de la Cour d’Appel de Bamako, il est indiqué que ces « faits [sont] prévus et punis par les dispositions des articles 35, 33 alinéa 2, 34 Alinéas 1 et 3, 102, 103, 104, 40 alinéas 3 et 4, 37 alinéa 2, 38 alinéa 2 et 41 du Code pénal. ».

« Cette plainte pourrait menacer certains membres de la mission d’établissement des faits. Théoriquement, les personnels de la Minusma bénéficient d’une immunité, ils ne peuvent pas être poursuivis pour des actes commis dans le cadre de leurs fonctions. Mais, en pratique, cela peut menacer des membres de la mission, surtout maliens. Ils pourraient être poursuivis ultérieurement, après la fin de la mission. », analyse pour Tama Média un chercheur-doctorant en droit international travaillant sur les questions de sécurité au Sahel en rapport avec le droit international humanitaire, qui a préféré lui aussi garder l’anonymat.

Dans ce document de 57 pages, en son point VI comprenant six pages, il est effectivement écrit les différents privilèges et immunités dont bénéficient les membres de la MINUSMA ainsi que les personnels associés. Nous vous proposons de lire un extrait du point VI, qui détermine théoriquement le “Statut des membres de la MINUSMA” (capture d’écran).

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