Diplomatie : entre Paris et Alger, le téléphone sonne dans le vide

Depuis juillet 2024, l’Algérie et la France entretiennent à nouveau des relations empreintes de tensions quotidiennes. Décryptage.

« Parce que nous n’avancerons pas s’il n’y a pas un travail, on ne peut pas se parler par voie de presse. C’est ridicule. Ça ne marche jamais comme ça ». Quelques semaines après le début d’une crise diplomatique sans précédent entre l’Algérie et la France, le président français, Emmanuel Macron, a tenté vendredi 28 février de mettre fin à la brouille diplomatique entre les deux pays. Il met ainsi fin, du moins le temps d’un week-end, à une polémique extrêmement violente : faite de menaces et des ultimatums lancés par le gouvernement français, et des réponses toutes aussi fermes et menaçantes venant d’Algérie. « Le président Macron vient de rééquilibrer le discours concernant la relation entre la France et l’Algérie. À l’évidence, il y a plusieurs divergences entre les deux pays, chacun défendant ses intérêts. Cependant, c’est par la discussion et la négociation que les tensions doivent être résolues », a noté l’opposant algérien Sofiane Djilali.

La déclaration du président français intervient dans un contexte d’extrême tension entre Alger et Paris. Les deux États, dont les relations ont toujours évolué en dents de scie depuis l’indépendance de l’Algérie en 1962, sont au bord de la rupture après que le chef de l’État français a décidé de reconnaître « la souveraineté » du Maroc sur le Sahara Occidental, un territoire déclaré non-autonome par les Nations-Unies. En juillet 2024, Macron a en effet envoyé une lettre au roi du Maroc, Mohamed VI, à travers laquelle il annonçait reconnaître « la souveraineté du Maroc sur le Sahara Occidental ». La lettre, rendue publique par le royaume chérifien, a irrité Alger qui a toujours soutenu le droit des Sahraouis à l’autodétermination. S’en est alors suivie une réaction très ferme de l’Algérie qui a décidé de rappeler son ambassadeur d’alors à Paris, Saïd Moussi. Depuis, plus aucun contact n’a été établi entre les deux chancelleries.

Le téléphone a sonné dans le vide

La réélection d’Abdelmadjid Tebboune pour un second mandat, en septembre dernier, a été une occasion pour le chef de l’Etat français de tenter de rétablir le contact. Il fut l’un des premiers dirigeants étrangers à avoir félicité son homologue algérien qu’il a tenté de contacter par téléphone. En vain, le téléphone a sonné dans le vide du côté du palais d’El-Mouradia, siège de la présidence algérienne. Ce n’est que partie remise, pensait-on du côté de l’Elysée. Macron envoie à Alger Anne-Claire Legendre, sa conseillère chargée du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord. Mais sans grand succès ; après deux heures de discussions avec Tebboune, la diplomate française est repartie bredouille. « Le président Tebboune n’a pas lâché sur sa position de principe », a raconté une source diplomatique. 

Depuis, une susceptibilité extrême a marqué les liens entre l’ancien colonisateur et son ancienne colonie. Aux déclarations de responsables français, les Algériens répliquent avec souvent plus de vigueur. C’est le cas lors de cette affaire d’influenceurs algériens, des YouTubeurs résidant en France qui ont menacé dans des vidéos des opposants au pouvoir algérien, qui ont été arrêtés et présentés devant des juridictions françaises. Mais face à la persistance des autorités de Paris de les renvoyer vers leur pays d’origine, l’Algérie a fermé ses portes. Elle a même renvoyé, le 9 janvier dernier, un ressortissant algérien nommé « Boulamn » expulsé par les autorités françaises, ce qui a soulevé l’ire de ces dernières qui estiment qu’Alger n’a pas respecté ses engagements. « L’Algérie cherche à humilier la France », a réagi le ministre français de l’Intérieur Bruno Retailleau. « L’Algérie ne cherche pas à humilier la France », a répliqué le gouvernement algérien qui a rappelé le droit de son ressortissant à une défense et un procès équitable.

La goutte qui a fait déborder le vase ?

Entre-temps, l’affaire Boualem Sansal a fait des vagues. L’écrivain algérien, qui venait d’être naturalisé français en juin 2024, avait été arrêté deux mois plus tôt (le 16 novembre 2024), à cause d’anciennes déclarations remettant en cause les frontières de l’Algérie. Pour Paris, il s’agit d’un « détenu politique » à qui les autorités algériennes veulent faire payer ses positions opposées aux autorités algériennes et son hostilité déclarée à l’islamisme. En France, les politiques, les journalistes et des intellectuels montent au créneau pour réclamer sa libération. 

« Sa détention n’honore pas l’Algérie », a commenté le chef de l’État français Emmanuel Macron. « Boualem Sansal n’est français que depuis cinq mois, fait valoir le président algérien Abdelmadjid Tebboune début février dans une interview au journal français l’Opinion. Boualem Sansal est d’abord algérien depuis soixante-quatorze ans ». Pour l’Algérien, « Boualem Sansal n’est pas un problème algérien », mais plutôt « un problème pour ceux qui l’ont créé ». « Jusqu’à présent, il n’a pas livré tous ses secrets. », a mystérieusement prononcé le président Teboune. Depuis, le vieil écrivain partage son temps entre l’aile carcérale du CHU Mustapha-Pacha d’Alger où il est suivi pour un cancer et la prison de Koléa, à une trentaine de kilomètres à l’Ouest de la capitale algérienne.

Comme un malheur ne vient jamais seul, ces évènements ont été suivis par d’autres incidents. Le 23 février 2025, un ressortissant algérien, placé sous l’obligation de quitter le territoire français, a commis un attentat au couteau, tuant un homme de nationalité portugaise et blessant trois autres personnes. Pour les autorités françaises, c’est la goutte qui a fait déborder le vase. Les appels à l’Algérie, sommée de « respecter » les accords bilatéraux, se multiplient. 

L’Algérie ne se plie pas aux ultimatums

Puis, les menacent de dénoncer les accords – signés en 1968 entre les deux pays et qui accordent quelques avantages aux émigrés algériens – font leur apparition au sein du gouvernement français. Le Premier ministre François Bayrou a annoncé, le 28 février 2025, avoir donné « un mois à quatre semaines » à l’Algérie afin de revoir cet accord, sous peine de dénonciation. « L’Algérie ne se plie pas aux ultimatums », a répliqué, le lendemain, le ministère algérien des Affaires Étrangères, qui attendait toujours la réaction du président Macron. Le gouvernement algérien a même menacé la partie française de « réplique immédiate et forte » si Paris venait à imposer des sanctions.

Dans les deux pays, cette nouvelle crise diplomatique divise la classe politique. En France, certaines figures médiatiques comme l’ancien Premier ministre, Dominique de Villepin, plaident plutôt pour une approche « diplomatique » avec l’Algérie et dénoncent « la diplomatie des plateaux de télévision », en référence aux multiples sorties médiatiques du ministre français de l’Intérieur. Mais l’Extrême droite et la droite gouvernementale, elles, plaident pour une ligne dure contre l’Algérie. Par contre, la majorité de la classe politique algérienne reste derrière le gouvernement de son pays. « Il faut rompre définitivement avec la France pour pouvoir construire, ensuite, des relations sur des bases saines », plaide par exemple Abdelkrim Zeghileche, un activiste opposé aux autorités de son pays. « Il faut dissocier l’Histoire des relations entre nos deux Etats, indique pour sa part Belkacem Sahli, secrétaire général du parti d’opposition ANR –Alliance nationale républicaine. Il est vrai que l’Extrême droite est très virulente à l’égard de notre pays, mais il ne faut pas perdre de vue qu’elle pourra être au pouvoir dans les prochaines années ; c’est pourquoi il faut se parler dans le respect mutuel ».

Ce nouvel épisode de brouille entre les deux pays prouve une nouvelle fois que « les relations entre l’Algérie et la France ne sont ni bonnes, ni mauvaises. Mais elles ne sont jamais banales », comme disait l’ancien président algérien, Houari Boumediène.

Par

Correspondant à Alger, Algérie

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