Des militaires, maintenant regroupés au sein du Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP), ont renversé le président élu démocratiquement en avril 2021. Retour sur comment tout a basculé entre le mercredi et le jeudi pour le président Mohamed Bazoum.
Clap de fin pour la VIIe République au Niger ? Le président Mohamed Bazoum qui a pris la succession de Mahamadou Issoufou, après deux mandats de cinq ans, a été victime d’un coup d’État.
Le Niger renoue donc avec ses vieux démons : les changements anticonstitutionnels. Dans ce pays de l’Afrique de l’Ouest, le pouvoir a été pris par la force à cinq reprises depuis 1960. Le premier coup d’État, contre le président Hamani Diori, est intervenu en avril 1974. Avant le coup de théâtre de cette semaine, le dernier putsch remontait à février 2010 avec le renversement du président Mahamadou Tandja.
Mercredi 26 juillet 2023, tout est parti d’un mouvement d’humeur de la Garde présidentielle. Le général Abdourahamane Tchiani, passé par l’armée de terre, est à la tête de cette unité d’élite où se côtoient gendarmes et militaires. Ces derniers limitent les mouvements du président Bazoum. Pendant plusieurs heures, rien ne filtre de la résidence du chef de l’État.
Un flou de plusieurs heures
Sur les réseaux sociaux, les pages des autorités nigériennes annoncent une mobilisation de l’armée et de la Garde nationale, placées sous l’autorité du ministère de l’Intérieur, laissant entendre une difficulté pour les auteurs du mouvement d’humeur de rallier le reste des troupes à leur cause.
Quelques heures plus tard, les choses s’accélèrent. En fin de soirée, dix personnes en tenue apparaissent à la télévision nigérienne. Surprise. Pas l’ombre du général Abdourahamane Tchiani censé pourtant être le cerveau de la révolte. Mais le numéro 2, le colonel Adamou Ibro, se tient aux côtés des généraux Mouhamed Toumba et Moussa Salaou Barmou pour « mettre fin au régime » ayant à leurs yeux failli dans la gestion de la crise sécuritaire et de la gouvernance économique et sociale.
Le Conseil National pour la Restauration de la Patrie (CNSP) est ainsi né. Dans la foulée, les institutions de la République sont suspendues, les frontières aériennes et terrestres fermées jusqu’à nouvel ordre. La réaction du président déclaré déchu ne se fait pas attendre. Ou ce qui y ressemble. Sa page Twitter refuse de se plier à la volonté des putschistes. Son ministre des Affaires étrangères prend le relais et se proclame chef du gouvernement par intérim.
Mais ses tentatives d’obstruction du coup d’État en cours ne portent pas leurs fruits. Les militaires, persuadés que la situation est en main, envoient jeudi matin sur le pont leur porte-parole. Le colonel-major Amadou Abdramane dénonce, à travers le 4e communiqué du CNSP, la violation de l’espace aérien nigérien par le « partenaire français » qui a fait atterrir un avion A400M utilisé pour le transport de troupes et de matériels militaires, en dépit des injonctions du communiqué numéro 3 relatives à la fermeture des frontières aériennes et terrestres.
Jusque-là, le grand public ne connaît pas le meneur du coup d’État. Plusieurs noms, dont le général Salifou Mody, limogé par Bazoum en avril 2023, circulent. L’incertitude autour du leader des putschistes renforce l’idée selon laquelle le coup de force n’était pas consommé. Un communiqué du chef d’État-major des armées a finalement mis fin à la polémique.
En effet, le général Abdou Sidikou Issa affirme avoir souscrit à la déclaration du CNSP, justifiant sa position par le souci de préserver la vie du président Bazoum et celle de sa famille, mais aussi de sauvegarder la cohésion au sein des forces armées.
Des manifestations de soutien
Des Nigériens prennent d’assaut l’Assemblée nationale pour témoigner leur soutien aux putschistes. Comme au Mali et au Burkina, des drapeaux russes sont également brandis à côté de drapeaux français brûlés. Le siège de la formation politique au pouvoir, le Parti Nigérien pour la Démocratie et le Socialisme (PNDS), est saccagé par des manifestants. Les occupants qui tentaient de sauver leur peau sont pourchassés et malmenés.
Ces images terribles font réagir le Secrétaire Général du ministère de l’Intérieur qui demande aux forces de sécurité de ne pas tolérer ce genre de comportements. À ce moment-là, on ne sait encore rien sur celui qui dirige le Niger. Il faut attendre le matin du vendredi 28 juillet pour que le ciel de Niamey s’éclaircisse enfin. Après avoir enchaîné les clips en l’honneur de l’armée, l’Office de Radiodiffusion Télévision Nigérienne (ORTN) diffuse l’hymne national au terme duquel, un homme, béret marron bien vissé sur la tête, se montre.
Alors qu’il lit les premiers mots consignés sur un document, une bande orange s’affiche : « S.E le général de brigade Abdourahamane Tchiani, Président du Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie ». Pendant huit minutes, il justifie le coup d’État en soulignant que Mohamed Bazoum a échoué dans la lutte contre les groupes jihadistes malgré un discours politique qui faisait croire que « tout se passe bien ».
Opposé à la stratégie du régime déchu, le nouvel homme fort du pays dénonce la libération de chefs terroristes, les discours démoralisateurs du chef de l’État sortant, avant d’inviter les « Nigériens à un sursaut national pour relever les défis économique et social ». Concluant son propos, le général Tchiani donne des gages à la communauté internationale qu’elle invite à accompagner les nouvelles autorités. Le putsch semble alors consommé.
La Cédéao donne un ultimatum de 15 jours aux putschistes pour rétablir l’ordre constitutionnel
De son côté, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) n’a pas dit son dernier mot. Les dirigeants de l’organisation régionale, ayant déjà diffusé deux communiqués pour condamner le renversement d’un des leurs, ont voulu envoyer à Niamey Patrice Talon. Cela ne s’est pas fait. Mais avec son homologue nigérian Bola Tinubu, président en exercice de la CEDEAO, le chef de l’État béninois a assuré que l’option première est de « corriger » l’inacceptable « dans la paix ».
Les dirigeants de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao), réunis dimanche 30 juillet à Abuja, ont fixé un ultimatum d’une semaine aux putschistes pour restaurer l’ordre constitutionnel, soulignant ne pas exclure un “recours à la force”.
Une possible intervention militaire ?
La Cédéao a notamment demandé “la libération immédiate” du président Bazoum et le “retour complet à l’ordre constitutionnel en République du Niger“, selon les résolutions lues à la fin de ce sommet extraordinaire présidé par le chef d’Etat du Nigeria Bola Tinubu.
Si ces demandes ne “sont pas satisfaites dans un délai d’une semaine”, la Cédéao “prendra toutes les mesures nécessaires” et “ces mesures peuvent inclure l’usage de la force”, selon ces résolutions.
“A cet effet, les chefs d’état-major de la défense” des pays de “la Cédéao doivent se réunir immédiatement”, selon la même source.
L’organisation régionale a également décidé de “suspendre toutes les transactions commerciales et financières” entre ses Etats membres et le Niger. D’autres sanctions financières ont été décidées, notamment “un gel des avoirs pour les responsables militaires impliqués dans la tentative de coup”.
A l’ouverture du sommet, le président nigérian Bola Tinubu, à la tête de la Cédéao, a dénoncé “la prise d’otage” du président nigérien Bazoum par les putschistes et l'”assaut” fait à la démocratie. “Il n’est plus temps pour nous d’envoyer des signaux d’alarme“, a-t-il déclaré, “le temps est à l’action”.
Les pays de la Cédéao étaient représentés par leur dirigeant ou leur représentant, à l’exception du Mali, de la Guinée et du Burkina Faso – suspendus depuis qu’ils sont eux aussi dirigés par des militaires putschistes.
Le dirigeant du Tchad, Mahamat Idriss Déby Itno, dont le pays n’est pas membre de la Cédéao, mais voisin du Niger, également puissance militaire au Sahel alliée de la France, a été convié et a participé à ce sommet. A l’issue du sommet, il s’est rendu à Niamey pour rencontrer les putschistes pour dit-il “voir ce qu’il peut apporter au règlement de la crise”.
Le président français Emmanuel Macron, quant à lui, a condamné avec la plus grande fermeté le coup d’État contre l’un des derniers alliés de la France dans la région ouest-africaine où ses forces, parties du Mali sous la bannière de Barkhane, sont positionnées au Niger à la demande des autorités sous le nom de « Forces françaises au Sahel ».