Proclamé vainqueur du scrutin à un tour du samedi 26 août 2023 avec 64,27 % des voix par le Centre Gabonais des Élections (CGE), le président sortant Ali Bongo, qui briguait un troisième mandat, a été destitué dans la foulée par le général Brice Clotaire Oligui Nguema, chef de la Garde républicaine. Toutefois, des doutes se font jour sur les intentions de ce proche de la dynastie au pouvoir depuis 55 ans propulsé à la tête du Comité pour la Transition et la Restauration des Institutions (CTRI), mis en place par les putschistes. Pour certains esprits, le nouvel homme fort de Libreville agit sous la dictée du clan Bongo, cherchant subtilement à rester aux affaires.
« Ce n’est pas un coup d’État. C’est une révolution de palais. Brice Clotaire Oligui Nguema est le cousin d’Ali Bongo. Les Bongo ont trouvé qu’il fallait mettre Ali de côté pour poursuivre le système du Parti Démocratique Gabonais (PDG). Ils ont mis Brice en avant. Derrière lui, il y a Pascaline Bongo (sœur d’Ali, NDLR). C’est toujours le système Bongo qui continue. La preuve, c’est la garde prétorienne qui a fait la révolution de palais. Les autres militaires n’étaient pas associés. Les Gabonais sont sortis dans la rue pour saluer le départ de Bongo, mais c’est un Bongo qui en remplace un autre. Ils vont devoir revenir à la réalité », a déclaré ce jeudi Albert Ondo Ossa dans une interview accordée à TV5 Monde.
La déduction du candidat de la coalition de l’opposition, Alternance 2023, crédité de 30,77 % des suffrages valablement exprimés par le Centre Gabonais des Élections (CGE), refroidit l’ardeur de ses concitoyens qui ont fêté avec enthousiasme la fin des 55 ans de règne sans partage de la famille Bongo. Le père Omar de 1967 à 2009 et le fils Ali de 2009 à 2023. « Pour le moment, on observe le déroulement des choses avec les militaires qui ont pris le pouvoir. Une Constitution doit être élaborée et le pouvoir remis aux civils », a indiqué à Tama Média une électrice pas emportée par les évènements.
Dans la déclaration télévisée ayant acté leur prise du pouvoir, les putschistes ont annoncé l’annulation des résultats du scrutin présidentiel « tronqués » à leurs yeux. Partant de là, des observateurs appellent sans tarder à un recomptage des voix comme en 2009 pour, au cas échéant, rétablir M. Ondo Ossa dans ses droits. « L’homme de la rue commence à se poser des questions sur la nécessité de mettre en place une transition en lieu et place d’un nouveau décompte des votes qui aurait permis d’aller au terme du processus électoral et de désigner une autorité légale et légitime. C’est la grosse interrogation ici à Libreville », a rapporté Patrick Nzoghe Bekale, journaliste à Gabon Télévision (publique), contacté par Tama Média.
Le principal intéressé, Albert Ondo Ossa pour ne pas le nommer, s’est voulu catégorique à ce sujet : « Je pense avoir gagné l’élection. Ce n’est pas à moi d’aller vers Brice Oligui Nguema. C’est à lui de venir vers moi. Je n’ai rien à lui demander. Je suis un démocrate. Un démocrate ne s’accommode pas d’un coup d’État. Il faut un recomptage des voix pour donner les véritables chiffres qui sont connus de toutes les missions diplomatiques. Je ne sais pas si mon message sera entendu, mais j’observe les militaires. J’ai avec moi le peuple gabonais à 80 % ».
« Les Bongo n’ont jamais gagné une élection »
Ali Bongo Ondimba en était à sa troisième élection présidentielle après la mort de son père Omar, le 8 juin 2009 à Barcelone, en Espagne. Au scrutin anticipé de cette année-là, il l’emporte avec 41,73 % des voix devant principalement André Mba Obame (25,9 %) et Pierre Mamboundou (25,2 %).
Sept ans plus tard, le fils de la chanteuse Patience Dabany rempile avec 49,80 % des suffrages. Devancé d’un cheveu, Jean Ping, ancien président de la Commission de l’Union Africaine (UA), conteste vivement les résultats. Le pays plonge alors dans la plus grave crise post-électorale de son histoire.
En 2023, Albert Ondo Ossa dénonce aussi des fraudes massives. « Je savais qu’un coup d’État électoral était en préparation depuis près d’un an. Je suis allé au Quai d’Orsay, siège du ministère français des Affaires étrangères, pour avertir. Les Bongo n’ont jamais gagné une élection. Ils commettent des coups d’État électoraux pour se maintenir au pouvoir », a fustigé le professeur des universités, agrégé en économie.
L’analyse du porte-étendard d’Alternance 2023 rejoint celle de M. Bekale. « Le régime en place depuis plusieurs décennies est incapable de se conformer à la volonté populaire. Ces résultats entrent dans le cadre global des processus électoraux qui sont organisés depuis 1993, année à laquelle on a assisté à la première grande élection pluraliste au Gabon, au lendemain de la restauration du multipartisme. Cette victoire d’Ali Bongo, annoncée par le CGE, n’est pas tout à fait surprenante. Le même scénario a été vu en 1993, 1998, 2005, 2009 et en 2016. Les résultats officiels du scrutin de samedi dernier sont discutables et étonnants compte tenu de la configuration politique et de la forte mobilisation autour d’Albert Ondo Ossa notamment dans les principales villes du pays à savoir Libreville, Port-Gentil, Lambaréné et Franceville », a-t-il expliqué.
En outre, le journaliste de Gabon Télévision a souligné que « la mal gouvernance endémique avec le détournement massif de deniers publics, la découverte de nombreux scandales financiers, la paupérisation excessive de la population, l’accaparement et la personnalisation du pouvoir, la restriction des libertés notamment celle d’expression et l’incapacité morale, physique et intellectuelle d’Ali Bongo à servir l’État » ont précipité la chute du président sortant dont la santé est chancelante depuis la survenance, en octobre 2018, en Arabie saoudite où se tenait une conférence sur l’investissement, d’un Accident Vasculaire Cérébral (AVC).
Le Gabon est le quatrième producteur de pétrole en Afrique subsaharienne derrière le Nigeria, l’Angola et le Congo. En 2020, d’après la Banque Mondiale, l’or noir a représenté 38,5 % de son Produit Intérieur Brut (PIB) et 70,5 % de ses exportations. Ouvert sur l’océan Atlantique, le pays de 2,3 millions d’habitants sur 257.670 km2 dont 88 % occupé par la forêt est aussi le deuxième producteur mondial de manganèse, un des métaux les plus utilisés sur la planète. Pourtant, selon l’institution de Bretton Woods, les taux de pauvreté et de chômage culminent actuellement à 33,9 et 22 %.
« Je demande aux militaires de revenir à l’ordre républicain »
Le général Brice Clotaire Oligui Nguema doit prêter serment, le lundi 4 septembre 2023 devant la Cour constitutionnelle, en tant que président de la transition. Jusque-là, rien n’a filtré sur la durée de la période transitoire. « En tout cas, je parie la main sur le feu qu’ils (les militaires, NDLR) ne pourront aller loin. Le Gabon est au ras des pâquerettes. Il faut le redresser et ce ne sont pas les militaires qui peuvent le faire. Je leur demande donc de revenir à l’ordre républicain », a plaidé Albert Ondo Ossa sur les antennes de TV5 Monde.
« Avant l’arrivée au pouvoir d’Ali Bongo, le pays cumulait une dette publique de 4000 milliards F CFA. Aujourd’hui, celle-ci s’élève à plus de 7000 milliards F CFA », a ajouté Patrick Nzoghe Bekale. Le hold-up électoral, que d’aucuns dénoncent au plan international, s’est déroulé à huis clos. Dans le cadre du récent vote, les missions d’observations internationales ont été interdites, la diffusion des médias internationaux suspendue, Internet coupé et un couvre-feu instauré sur toute l’étendue du territoire national. La situation est néanmoins revenue à la normale dans les heures ayant suivi le putsch.
Pour sa part, la communauté internationale a dans son ensemble condamné le coup de force. « Elle le fait par principe. Mais il y a deux poids, deux mesures. Il ne ressort pas des éléments de langage des acteurs internationaux une prise de position vigoureuse par rapport au processus électoral une nouvelle fois biaisé et les grilles de lecture varient en fonction de leurs intérêts », se désole le journaliste de Gabon Télévision pour qui « il y avait une volonté manifeste des électeurs de tourner la page des Bongo et ce coup d’État rompt ainsi un processus de légitimation du pouvoir par les urnes ».
Dans un souci de cohérence, M. Ondo Ossa a, quant à lui, demandé à la communauté internationale, particulièrement à la France, « de ne pas se déjuger » parce que quand « on condamne un coup d’État, on doit faire de même pour la transition qui s’ensuit ». L’opposant de 69 ans est déterminé, même seul, à lutter contre la confiscation du suffrage des Gabonais. « Je n’ai pas peur. J’ai dit que j’étais prêt à mourir. S’ils veulent me tuer, qu’ils le fassent. Mais ils ne tueront pas la révolution qui est en train de se préparer. Le Gabon vaincra. Les militaires seront mis de côté et le clan Bongo hors d’état de nuire. Aucune armée au monde n’a jamais pu faire face à un peuple décidé. La population est la seule force qui démet les militaires. Cela s’est vu dans plusieurs pays », a soutenu le candidat de la plateforme Alternance 2023.