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Présidentielle au Gabon : un scrutin sans suspense ?

30 août 2023
7 min

Ce samedi 26 août 2023, environ 847.000 Gabonais étaient appelés aux urnes pour des élections inédites pour élire le président de la République, les députés et les élus locaux. Si la campagne électorale s’est déroulée sans incident majeur, l’issue du scrutin d’aujourd’hui inquiète dans ce pays dirigé par la famille Bongo depuis 55 ans.

Gabon présidentielle sous tension

Info de dernière minute : Au Gabon, des militaires proclament l’annulation des élections après l’annonce de la victoire d’Ali Bongo Ondimba

A la tête du pays depuis quatorze ans, le chef de l’Etat venait d’être réélu avec 64,27 % des suffrages exprimés. Des militaires ont pris la parole sur la chaîne publique Gabon 24, dont le siège est au palais présidentiel, annonçant la dissolution des institutions.

La confusion règne désormais dans le pays. À peine le résultat de l’élection présidentielle de samedi 26 août connue, des militaires sont intervenus sur la chaîne de télévision publique Gabon 24 pour annoncer l’annulation des élections et la dissolution des institutions. « Nous mettons fin au régime en place », affirme le groupe de militaires.


Une présidentielle qui était jouée d’avance ?


Les étrangers qui ont débarqué ces derniers jours à Libreville, la capitale du Gabon, ont découvert une ville complètement métamorphosée. Sur tous les panneaux publicitaires, les images d’Épinal du président sortant, Ali Bongo. Même chose sur les poteaux électriques des principales avenues plutôt propres pendant cette saison sèche.

Cet affichage illustre la disproportion des moyens. Il faut s’enfoncer dans les quartiers dits défavorisés pour découvrir quelques pâles affiches au format A3 des candidats de l’opposition collées par des partisans.

Le décor de la capitale force l’admiration, mais l’ambiance électorale a été bien timide. Durant la campagne, ouverte le 11 août dernier, la capitale n’a accueilli que trois grands meetings. Ceux d’ouverture et de clôture organisés par Ali Bongo le 11 août à la gare d’Owendo dans la périphérie de Libreville et le 25 août au boulevard Bessieux, dans le 3ème arrondissement de la capitale. Albert Ondo Ossa, le candidat consensuel de l’opposition, a aussi drainé des foules le dimanche 20 août au célèbre carrefour Rio, place forte de la contestation contre le pouvoir. Tous les candidats ont opté pour une campagne de proximité.

« Pas de triomphalisme », tel est depuis environ six mois le slogan de campagne du pouvoir en place. Ali Bongo et son équipe ont probablement tiré les leçons de l’élection présidentielle de 2016. Jean Ping, désigné une semaine avant le scrutin, avait véritablement chamboulé tous les pronostics et talonné sérieusement Ali Bongo. Des violences post-électorales avaient alors éclaté. Bilan, 4 morts selon les sources officielles. Plusieurs centaines d’après l’opposition.

Le 18 août dernier, les opposants radicaux, regroupés au sein de la plateforme Alternance 2023, ont sorti le grand jeu. Albert Ondo Ossa, 69 ans, professeur agrégé d’économie, trois fois ministre sous Omar Bongo (2006 à 2008), a été désigné comme candidat consensuel.

Paulette Missambo, 73 ans, présidente de l’Union Nationale (UN) et l’économiste Alexandre Barro Chambrier, 64 ans, président du Rassemblement pour la Patrie et la Modernité (RPM), pourtant considérés comme les favoris, ont finalement été coiffés au poteau. Il reste donc 14 candidats en lice dont le président sortant pour le scrutin de ce samedi.

En très peu de temps, Albert Ondo Ossa, affectueusement appelé A2O ou le « citoyen normal », a remobilisé les partisans du changement. Absent sur le terrain depuis le lancement de la campagne, le candidat indépendant a suscité de la passion et surfé allègrement sur la soif de changement d’une frange de la population lassée de 55 ans de pouvoir de la famille Bongo. Omar, le père, a dirigé le Gabon durant 41 ans (1967-2009). Son fils Ali lui a succédé en 2009. Il est donc au pouvoir depuis 14 ans.

Lourd climat de suspicion

Ces derniers jours, la pression est montée d’un cran. Lundi dernier, Gabon 1ère, la télévision nationale, a ouvert son journal de 20 heures par la diffusion des audios d’une prétendue conversation entre Albert Ondo Ossa et Alexandre Barro Chambrier portant sur la prise du pouvoir par la force avec l’aide du président français Emmanuel Macron.

Dans un communiqué, Alternance 2023 a déploré « une manipulation honteuse » et « une utilisation infâme de l’intelligence artificielle ». Le pouvoir, de son côté, a fustigé le recours à la violence pour accéder au pouvoir.

« M. Albert Ondo Ossa et M. @ABChambrier (A. Barro Chambrier) ont donc MENTI… Ce triste épisode a un mérite : celui de révéler le vrai visage de MM. Ondo Ossa et Barro Chambrier qui mêle cynisme et mensonge », a écrit le porte-parole de la présidence de la République, Jessye Ella Ekogha, sur le réseau social X (ex-Twitter).

Le journaliste Joël Tatou, correspondant au Gabon de l’Agence France Presse (AFP), a soutenu être l’auteur de l’enregistrement incriminé. En tout cas, le Procureur de la République, André Patrick Roponat, a ouvert une enquête afin de tirer cette affaire au clair.

Mardi dernier, Ondo Ossa et son équipe ont été empêchés de décoller de Libreville à destination des provinces du Sud-Est l’Ogooué Lolo et le Haut Ogooué, fief de la famille Bongo. « Au Gabon, c’est l’opposition qui gagne mais c’est le perdant qui est au pouvoir », a dénoncé Jean Ping qui s’est autoproclamé « président élu » durant les sept dernières années.

La population sur le qui-vive

Ce micmac a provoqué peur et panique chez les Gabonais. Les rues de Libreville se sont davantage vidées. Beaucoup de gens sont retournés dans leurs villages. Les plus fortunés ont envoyé enfants et femmes en Europe ou dans certains pays africains comme l’Afrique du Sud, le Rwanda et le Maroc.

Ceux qui ne peuvent pas quitter la capitale se sont organisés comme ils peuvent, en faisant notamment des stocks de nourriture (riz, conserves, huile, poulet…). Les surfaces commerciales ne sont plus achalandées comme d’habitude. « Nous ne faisons plus de nouvelles commandes », a affirmé un chef de rayon d’une grande chaîne locale de distribution. Les commerçants craignant d’éventuels pillages.

« Toutes les forces de défense et de sécurité de notre nation seront appelées à protéger vos voix, protéger vos choix, protéger vos maisons et vos foyers », s’est engagé Ali Bongo le 16 août dernier, dans un message à la nation, à l’occasion de la commémoration du 63ème anniversaire de l’indépendance du Gabon.

« Soyez assurés que jamais je ne permettrai que vous et notre pays le Gabon soyez otages de tentatives de déstabilisation. Jamais », a-t-il promis en réponse aux inquiétudes que la population nourrit après la proclamation des résultats.

Pour parer à toute éventualité, « le gouvernement (gabonais) a pris la
décision de suspendre jusqu’à nouvel ordre l’accès à Internet sur toute l’étendue du territoire. Un couvre-feu (dans tout le pays) est décrété et sera appliqué dès ce dimanche 27 août. lI sera de vigueur tous les jours, à partir de 19h jusqu’à 6h (du matin) », a déclaré sur la chaîne de télévision publique, samedi soir, le ministre de la Communication, Rodrigue Mboumba Bissawou.

Preuve de la détermination du pouvoir à préserver la paix et la stabilité du pays, l’armée a pris discrètement position dans la capitale. Des tentes ont été implantées dans certains points névralgiques de Libreville.

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