Et si le départ de la Minusma du Mali devenait finalement une opportunité pour l’ONU de réfléchir à l’avenir des missions de Paix dans le monde ? C’est ce que défend Adam Day qui dirige le Centre de recherche politique de l’Université des Nations unies à Genève, en Suisse, et auparavant conseiller politique principal auprès de la MONUSCO en RDC.
Il y a une semaine, le Conseil de sécurité de l’ONU a décidé de mettre fin au mandat de l’opération de maintien de la paix des Nations unies au Mali (MINUSMA), en mettant fin immédiatement à la plupart des tâches essentielles de la mission et en mettant en place un calendrier accéléré pour un départ complet d’ici la fin de l’année 2023. Cette décision fait suite à une demande formulée à la mi-juin par le gouvernement militaire intérimaire du Mali en faveur du retrait immédiat de la MINUSMA, invoquant une “crise de confiance” avec les Nations unies. Ce n’est pas la première fois qu’une mission de l’ONU est expulsée d’un pays : en 2010, l’opération de l’ONU au Tchad (MINURCAT) a fait ses valises moins d’un an après avoir été priée de partir par le président Idriss Déby. D’autres missions, comme celle en République démocratique du Congo, sont depuis longtemps confrontées à un gouvernement qui préférerait qu’elles partent ou qu’elles réduisent radicalement leurs effectifs.
Il est difficile de savoir quel impact le retrait de la MINUSMA aura sur la situation déjà volatile au Mali. Les groupes armés signataires de l’accord de paix de 2015 ont déjà qualifié le départ de la MINUSMA de “coup fatal” au processus de paix, tandis qu’International Crisis Group a suggéré qu’il pourrait enhardir les groupes djihadistes opérant dans la région. Au-delà du déploiement de troupes dans les zones urbaines du nord et du centre du pays, la présence de la MINUSMA facilite une énorme opération d’aide humanitaire et fournit des milliers d’emplois, qui s’évaporeront tous le 31 décembre.
Il est possible que le retrait de la MINUSMA ait peu d’impact négatif sur la trajectoire à long terme du Mali. Il convient également de rappeler que les Nations unies conserveront une présence importante dans le pays bien après le départ de la mission de maintien de la paix. Avec ou sans maintien de la paix, il existe un risque réel d’aggravation de la fracture politique au cours de la période à venir, ce qui pourrait avoir des effets d’entraînement considérables dans toute la région. Il peut sembler que le retrait d’une mission de l’ONU d’un pays soit un moment où l’influence politique de l’ONU et d’autres acteurs pour atténuer ces risques diminue rapidement. Ce n’est pas le cas. En fait, il existe de nombreux exemples de l’utilisation créative par l’ONU des moments de transition à des fins positives, générant un effet de levier au moment précis où elle semble perdre pied dans le pays.
En planifiant le retrait de la MINUSMA au cours des six prochains mois, l’ONU risque de se concentrer excessivement sur les aspects techniques du retrait, en dépensant énormément d’énergie et de ressources sur la logistique compliquée du démantèlement d’une opération d’un milliard de dollars. Ce serait une erreur. L’ONU devrait plutôt créer un nouveau moment stratégique pour influencer positivement la trajectoire du Mali, en faisant du départ de la Minusma un point de levier. Cela peut se faire en conditionnant le départ à des progrès politiques vers les élections de 2024, en créant une récompense financière pour une transition crédible vers un régime civil, et en offrant un nouvel arrangement de sécurité qui pourrait limiter l’influence dangereuse du groupe Wagner au Mali.
L’accord de paix de 2015 au Mali n’a tenu qu’à un fil jusqu’à présent, et il n’est pas certain que les dirigeants militaires qui ont pris le pouvoir lors du coup d’État de mai 2021 soient déterminés à le mettre en œuvre. La décision prise en décembre 2022 par plusieurs groupes armés du Nord de se retirer de l’accord de paix pourrait signaler la désintégration imminente du processus de paix. Dans le même temps, la présence croissante de groupes djihadistes le long des zones frontalières du Mali est susceptible d’entraîner une réaction encore plus brutale de la part des autorités maliennes. Dans ce contexte, il existe un risque très réel que le départ précipité de la MINUSMA soit une sorte de goutte d’eau qui fasse déborder le vase, une excuse pour les nombreux saboteurs de l’accord de paix de 2015 de mettre un clou dans son cercueil et pour les dirigeants militaires de se débarrasser d’un accord qu’ils n’apprécient pas beaucoup de toute façon.
Dans ce contexte, le récent référendum national et les amendements constitutionnels autorisant la tenue d’élections en 2024 constituent une protection essentielle contre un effondrement politique potentiel dans le pays. Malgré un faible taux de participation et plusieurs aspects non résolus du processus, le référendum offre au Mali la possibilité de renforcer la confiance de la population et d’éviter de nouvelles fractures. Alors que la MINUSMA quittera le pays au cours des six prochains mois, il est crucial que le retrait de la mission soit conditionné à des progrès vers ces élections et à un règlement politique stable au-delà de 2024.
Le Conseil de sécurité devrait mettre en place des critères clairs et exiger qu’ils soient respectés avant que la mission ne quitte complètement le pays. Ces critères pourraient inclure la mise en place d’institutions électorales indépendantes, l’octroi d’un espace politique à un large éventail de partis politiques, la prévention des violations des droits de l’homme à l’encontre des citoyens et l’investissement des ressources de l’État dans un processus électoral national crédible. Ces mesures pourraient s’accompagner d’une offre de l’Union africaine (UA) d’autoriser le Mali à réintégrer l’organisation, à condition que des progrès mesurables soient accomplis en matière d’élections d’ici à la fin de l’année.
Il peut sembler trop tard pour une telle mesure, étant donné que le Conseil a déjà annoncé le départ de la mission et que les autorités maliennes ne semblent guère disposées à envisager une quelconque négociation de la part de l’ONU. Mais comme l’a montré l’expérience du retrait de la MINUAD du Darfour, le Conseil de sécurité est capable de changer de cap au cours des processus de transition, d’introduire des retards et d’utiliser de manière créative le calendrier de retrait comme levier. Les occasions ne manquent pas au cours de la période à venir pour que le Conseil mette en place des garde-fous politiques, et le calendrier des élections offre le meilleur moyen d’obtenir quelque chose de la sortie de l’ONU.
Une carotte financière
Depuis qu’elles ont pris le contrôle du Mali en 2021, les autorités militaires ont été sévèrement ostracisées par la communauté internationale, ce qui leur a valu un isolement à la fois politique et financier. Cette situation a peut-être puni les auteurs du coup d’État, mais elle les a aussi rendus plus sensibles aux ouvertures de la Russie, ce qui a entraîné une forte dépendance à l’égard du groupe mercenaire abusif Wagner au cours des dernières années. Le départ de la MINUSMA risque de détériorer la réputation internationale du Mali, ce qui pourrait entraîner une réduction supplémentaire de l’engagement des donateurs internationaux et la perte immédiate d’une mission de 1,2 milliard de dollars qui emploie des milliers de Maliens.
Il est essentiel que les dirigeants maliens voient une lumière au bout du tunnel, une lumière qui leur permette d’établir de nouvelles relations avec la communauté internationale. Pour l’instant, ils semblent vouloir écarter l’ONU, mais cela peut changer. Une idée serait d’offrir un paquet financier, mis en place par l’ONU, l’UA, la Banque mondiale et les principaux donateurs, et de le lier à la même série de conditions que celles décrites ci-dessus. En effet, une option pour le Mali serait de lui proposer une mission de suivi “UNITAMS light”, largement axée sur le soutien à la consolidation de la paix, la fin de l’isolement du Mali et la création d’une adhésion internationale à une transition politique. Une telle mission de suivi ne devrait pas nécessairement être dirigée par l’ONU, mais pourrait servir de test pour des opérations de paix dirigées par l’UA, en offrant peut-être à l’UA l’accès à des fonds budgétaires évalués au sein de l’ONU.
Lors de certaines des négociations entre le Royaume-Uni, l’Allemagne et le Soudan qui ont précédé la transition vers l’UNITAMS (Mission intégrée d’assistance à la transition des Nations Unies au Soudan) et auxquelles j’ai assisté, le message soudanais était clair : “Nous ne voulons une présence de l’ONU que si elle contribue à générer des investissements internationaux plus importants”. Bien sûr, l’histoire du Soudan n’est pas positive, mais l’idée de lier une petite mission internationale à une offre financière pourrait être fructueuse. En fait, une telle mission pourrait être présentée comme une réponse à l’objection malienne au maintien de la paix de l’ONU, tout en offrant un ensemble de structures rassurantes pour soutenir la transition politique et générer un plus grand soutien de la part des donateurs internationaux.
Un nouvel accord de paix
L’éléphant dans la pièce reste le groupe Wagner, les mercenaires soutenus par la Russie qui se sont associés aux autorités maliennes pour assurer la sécurité dans le centre du Mali au cours des dernières années. Le départ de la MINUSMA risque de rendre le Mali plus dépendant de Wagner, dont le bilan en matière de droits de l’homme est catastrophique et qui risque d’être un acteur perturbateur à l’approche des élections de 2024. Mais la récente révolte de Wagner contre Moscou a jeté l’incertitude sur son avenir en Afrique, car le président Vladimir Poutine n’a offert au groupe que trois options : rejoindre l’armée, rejoindre leur chef en exil en Biélorussie, ou rentrer chez eux en tant que civils. Si la déclaration du ministre des affaires étrangères, M. Lavrov, selon laquelle le groupe Wagner restera en Afrique, ne signale aucun changement dans la politique de Moscou, des experts ont suggéré que le groupe pourrait se fracturer davantage, y compris en Afrique.
Cela représente également une opportunité pour l’ONU d’encourager un nouvel arrangement sécuritaire pour le Mali, moins dépendant de groupes comme Wagner. Bien que les chances de revitaliser les accords de sécurité du G-5 Sahel soient presque certainement hors de portée, il existe une série d’options pour l’ONU, telles que le soutien d’une petite force dirigée par l’UA ou la CEDEAO qui pourrait remplacer Wagner dans les parties centrales du pays, et potentiellement se déployer également dans certaines des zones les plus touchées dans le nord. Cela pourrait être présenté comme une garantie de sécurité pour les élections de 2024,
Il s’agit donc d’une mesure temporaire visant à garantir la crédibilité du processus électoral et la transition vers un régime civil. Là encore, un tel arrangement pourrait servir de test pour l’accès de l’UA au budget de maintien de la paix des Nations unies.
L’avenir des opérations de paix
Dans le courant du mois, les Nations unies publieront une note d’information sur leur nouvel agenda pour la paix, qui proposera une vision de l’action de l’organisation en matière de paix et de sécurité pour l’avenir. Le départ rapide de la MINUSMA suscitera très certainement des questions sur le rôle futur des opérations de maintien de la paix de l’ONU, et certains pourraient même suggérer que l’ère du maintien de la paix touche à sa fin. Bien que de nombreuses personnes (dont moi) aient des doutes sur l’impact des opérations de paix de l’ONU et aient écrit sur certaines de leurs conséquences involontaires, je pense que les rapports sur la “mort du maintien de la paix” passent à côté de l’opportunité stratégique qu’offrent des crises comme celle du Mali. Il est facile de lever les bras au ciel devant l’état moribond du Conseil de sécurité de l’Onu et de penser qu’il n’y a rien à faire. Mais les turbulences et l’incertitude sont précisément des moments propices à la réflexion créative, à l’action opportuniste et à la recherche de solutions à des problèmes apparemment insolubles.