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Fin de la mission de l’ONU au Mali : la vidéo d’un officier sénégalais génère polémiques et fake news

10 juillet 2023
12 min

[Enquête] Les Vérificateurs de Tama Média : Depuis mardi 4 juillet, une vidéo amateur, montrant un officier du contingent sénégalais de la Minusma en train de débriefer ses hommes sur la fin de la mission de l’ONU au Mali, est devenue virale. La vidéo a suscité de nombreuses réactions d’indignations, mais aussi beaucoup d’infox. Tama Média vous démêle le vrai du faux.


Les faits :


Le 30 juin dernier, les 15 membres du Conseil de sécurité de l’ONU ont voté à l’unanimité une résolution mettant fin au mandat de la Minusma, mission onusienne présente au Mali depuis 2013. C’était à la demande du gouvernement malien de transition, à l’ONU le 16 juin. Une vidéo amateur, visiblement tournée au téléphone, montrant un officier du contingent sénégalais de cette mission, basé à Sévaré, est devenue virale en début de semaine dernière, et continue de circuler.

S’adressant à ses troupes, en grande partie en wolof et quelques fois en français, cet officier a tenu des propos censés être privés, mais la vidéo de ce debriefing entre militaires Casques bleus sénégalais a finalement été relayée en ligne, suscitant réactions, indignations et polémiques sur les réseaux sociaux et dans la presse.
Suite à la publication de la vidéo, le bureau de la Minusma a déclaré pour sa part se dissocier de la déclaration de l’officier sénégalais, jugeant que ses propos ne reflètent pas la position de la mission des Nations Unies au Mali.

Vendredi 7 juillet, une autre vidéo montrant le soldat sénégalais, cette fois-ci, dans un aéroport, est relayée et diversement commentée également. Suite aux rumeurs affirmant qu’il serait expulsé et qu’il serait le Commandant du contingent sénégalais de la Minusma, l’état-major sénégalais a jugé nécessaire d’apporter des précisions sans révéler l’identité de l’officier. Des éléments que nous vous présentons en détails, en plus de la traduction intégrale que notre équipe a faite de sa déclaration, tenue en grande partie en wolof.

« En six mois, ce n’est pas évident. Mais ça va aller un peu vite »


« Je vais m’exprimer [… en] wolof, pour que le message soit beaucoup plus perceptible ». Ce désormais ex-officier du contingent sénégalais de la Minusma était face à ses troupes dans une vidéo devenue virale, qui est visiblement tournée au téléphone. Derrière l’officier, on peut apercevoir un autre soldat Casque bleu et des préfabriqués. Ce qui montre que la vidéo a été tournée sur un site de la Mission onusienne au Mali. S’adressant à ses hommes en wolof et en français, l’officier les briefe sur la résolution du Conseil de sécurité de l’ONU, qui acte la fin de la Minusma, à la demande du gouvernement malien de transition. 

« Le mandat de la Minusma est terminé. C’est fini depuis le 30 juin 2023. Ce sont les Maliens eux-mêmes [autorités] qui ont demandé la fin de la mission. Ce qui est fait. Ils avaient aussi demandé qu’on nous donne trois mois pour partir, pour dégager (voilà les termes). Nous avons dû négocier pour avoir six mois parce qu’un désengagement normal dure 18 mois. L’ONU a négocié six mois. Cela veut dire que le dernier élément de la Minusma va quitter ici le 31 décembre 2023 », a-t-il commencé par expliquer à ses frères d’armes du contingent sénégalais de la Minusma. 

« Les gens commencent maintenant à réfléchir à la manière de partir. Ce ne sera pas facile. Car il y a beaucoup de matériels et du personnel. En six mois, ce n’est pas évident. Mais ça va aller un peu vite. Nous savons que nous avons six mois devant nous pour partir. Il est très important de prendre cela en compte », insiste-t-il. Avant de relever des difficultés auxquelles les Casques bleus sénégalais sont désormais confrontés et la coopération visiblement compliquée avec les forces maliennes, depuis l’annonce de la fin de la Minusma, tout précisant au passage qu’il n’a rien contre les Maliens.

« Il y a une nouvelle situation par rapport à ça [au départ de la Minusma]. Je n’ai rien contre nos frères Maliens. Je n’ai pas des relations poussées avec eux et ne sais pas grand-chose sur eux. Mais ils commencent à nous poser de sérieux problèmes », fait-il savoir. 

« Chacun sait qu’un Sénégalais peut être noir et moche, mais il n’accepte pas qu’on lui manque de respect. Nous sommes d’accord là-dessus. Nous savons nous faire respecter. On nous a amenés ici en tant qu’ambassadeurs du Sénégal. On est là en tant que Casques bleus. Nous sommes engagés en tant que soldats des Nations Unies. Donc, nous représentons notre pays et nous sommes là aussi pour les Nations Unies », rappelle-t-il à ses troupes.

L’équipe de Tama Média a fait une traduction intégrale de ses propos tenus dans la vidéo qui continue de défrayer la chronique. Nous vous livrons la suite de sa déclaration ci-dessous [les points de suspension sont utilisés pour montrer que la phrase est incomplète ou que la voix est moins audible pour bien comprendre ce qu’il a voulu dire].

La traduction en français de la suite du discours de l’officier sénégalais à ses troupes

« Nous avions une mission vers Douentza, mais ils ont demandé qu’on l’arrête. Ils sont en train de nous pourrir la situation. Maintenant, c’est à nous de savoir comment nous comporter. Nous n’allons pas prêter le flanc face à ces Maliens. Il paraît qu’hier nous sommes allés en patrouille et ils nous ont demandé de rebrousser chemin. Quand on a voulu entrer ( ?), ils ont refusé. Malgré le fait que l’on soit bons et polis, nous n’allons pas accepter certaines situations. Les Maliens ne sont pas plus braves que nous. Ils ne savent pas mieux se battre que nous. Et ils n’ont pas plus de courage que nous. Mais ils sont souverains chez eux.

Avant-hier, il y a eu une tuerie. Ils ont même tué le chef de village d’Ogossagou Peulh. C’est entre eux. En réalité, personne ne veut que la Mission des Nations Unies parte. Ils savent que si la Mission se termine, ce sera très compliqué pour eux. L’armée malienne le sait. Mais ce n’est pas notre problème. Si ça ne tenait qu’à moi, je vous le dis, nous allions nous désengager dès aujourd’hui et quitter Ogossagou. On va rassembler nos vi… ici. On attend que ça passe. Ils ne sont pas plus dignes que nous. Nous sommes payés. Tant que nous restons, nous le serons. Nous sommes des Casques bleus, mais nous n’allons pas prêter le flanc. Ils ne vont pas nous faire faire des conneries. Nous n’allons pas accepter cela. En tout cas, je ne vais pas l’accepter. Nous devons avoir une posture de fermeté. Nous n’allons pas provoquer les Maliens. Nous devons savoir qui sommes-nous. Voilà le maître-mot ! Dans la mesure du possible, essayons de ne pas avoir de problèmes avec eux. Quand vous voulez aller quelque part et qu’ils s’y opposent, rentrez tranquillement.

S’ils refusent que vous partiez en mission, n’opposez pas de résistance. Mais nous n’accepterons pas qu’on nous manque de respect, qu’on nous prenne pour des guignols. Nous sommes en train de préparer le désengagement. Ce qui est sûr, ce sera fait au plus tard le 31 décembre 2023. Tout le monde sera rentré à cette date. Nous devons nous préparer. Les missions ne seront plus nombreuses. L’intention majeure du chef est de (… ?) Nous y travaillons matin et soir. Ce ne sera pas facile. Le désengagement est quelque chose de difficile. En temps normal, ça peut durer même 18 mois. Mais en six mois, on va essayer de le faire à Ogossagou. »

Les réactions à la vidéo

La vidéo contenant cette déclaration a été largement partagée sur les réseaux sociaux. Face aux nombreuses réactions qu’elle a suscitées, la Mission onusienne au Mali a exprimé sa position sur Twitter le 5 juillet 2023, à 15 :34. « La MINUSMA regrette les propos tenus par un officier basé à Sévaré et se dissocie de sa déclaration qui ne reflète en rien la position de la MINUSMA », s’est-elle désolidarisée.

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Certaines opinions ont continué à demander aux autorités maliennes de déclarer persona non grata cet officier sénégalais des Casques bleus au Mali. C’est du moins l’une des demandes du Collectif pour la défense des militaires (CDM), connu pour sa proximité avec les autorités actuelles du Mali. Le collectif s’est exprimé via un communiqué lu en live sur une page Facebook dénommée « Kati 24 », aussi proche du pouvoir de Bamako.

Une autre vidéo amateur de 16 secondes, portant le logo de “CDM”, montrant le même soldat sénégalais en tenue civile dans un aéroport, est devenue elle aussi virale.


« Le commandant Mathieu Séné [sic], du contingent sénégalais de la Minusma, qui avait tenu des propos déplacés envers les Maliens à Sévaré mardi, a été renvoyé dans son pays cet après-midi. Comme quoi, ça peut aller très vite, le démantèlement de la Minusma », a posté l’activiste autoproclamée panafricaine Nathalie Yamb, le 7 juillet, suivie par 319 350 abonnés, en légende de la vidéo.

En réponse à un internaute, qui suppose que « c’est probablement lié au plan de déstabilisation de la Cédéao du Mali [sic] », demandant à Nathalie Yamb s’il ne serait pas mieux « de virer [sic] tous les sénégalais » en même temps, l’activiste surnommée la dame de Sotchi réplique avec ces mots : « Non. C’est lui qui a dégammé, c’est lui qui dégage. Des soldats sénégalais sont tombés au Mali. Les autorités et le peuple maliens n’oublieront pas leur sacrifice. Les imbécilités d’un individu n’entacheront pas les relations entre les peuples et/ou les [États] ».

Dans cette réponse de Nathalie Yamb, un mot a retenu l’attention de cet autre twitto sénégalais : « Les imbécilités » ni gèn di bayè ki di saga sunu soldat yi [vous allez la laisser insulter nos soldats]. La vidéo était en partie en wolof. Beaucoup n’ont pas compris qu’il n’a rien contre le Mali ou les 6 mois donnés mais de comment les soldats maliens les [ont] traités et essayent de les bousculer. Et ils essayaient de calmer les choses », a répliqué ce twitto sénégalais à son tour.

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« Encore qu’elle ment. Ce n’est pas le colonel Sène qui a été rappelé à Dakar mais plutôt son adjoint. », a voulu précisé de son côté le journaliste sénégalais Abdou Kh. Cissé sous un tweet cité par l’ex-rédacteur en chef d’Africa Check Samba Dialimpa. Ce dernier a demandé s’il y a « un Sénégalais qui s’appelle Séné ? […] ».


Des confusions et infox sur l’identité de l’officier sénégalais


Fin de la mission de l'ONU au Mali : la vidéo d'un officier sénégalais génère polémiques et fake news

En effet, avec des recherches effectuées à partir des mots-clés “officier sénégalais Minusma” sur Twitter et Facebook, on se rend compte que plusieurs publications comme celle de Nathalie Yamb ont fait croire qu’il s’agit du Commandant Mathieu Sène. C’est le cas de ce compte “M5 RFP @Presse_Afrique“.

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L’officier dans la vidéo n’est pas le Commandant du contingent sénégalais de la Minusma et il n’a pas été expulsé mais rappelé


En effet, « l’officier apparu dans la vidéo, n’est pas le Commandant du contingent. Ce dernier se trouve bel et bien à son poste au Mali. L’officier en question a été rappelé au Sénégal à la demande des autorités sénégalaises et non expulsé [par le Mali] comme avancé par certaines sources mal informées. », précise l’état-major sénégalais. Dans son communiqué posté sur Twitter, l’armée sénégalaise rassure que son contingent au sein de la Minusma, pour le moment, « reste concentré sur son désengagement, dans un parfait esprit de vigilance et de professionnalisme, en liaison avec tous les acteurs impliqués ».

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Que retenir ?

Pour le moment, le gouvernement malien de transition n’a pas officiellement réagi. L’officier apparu dans la vidéo n’est pas le Commandant du bataillon sénégalais de la Minusma. Il a été rappelé par Dakar et non expulsé par Bamako, selon les précisions de l’état-major sénégalais, contrairement à ce que prétendent plusieurs publications faites sur les réseaux sociaux.

Le départ de la Minusma doit se dérouler du  30 juin au 31 décembre 2023, selon la résolution du Conseil de sécurité qui acte sa fin. Ensuite, il y a la période de liquidation non encore précisée devant commencer à partir du 1er janvier 2024.
Tama Média n’est pas en mesure de révéler l’identité du militaire sénégalais rappelé par ses autorités après ses propos tenus dans une vidéo de plus de 5mns.