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Le foot féminin au Cameroun : bien plus qu’un sport

12 août 2023
13 min

Alors que les meilleures nations s’affrontent depuis le 20 juillet lors de la Coupe du monde de football féminin en Australie et en Nouvelle-Zélande, le Cameroun n’aura pas l’occasion de voir ses Lionnes indomptables fouler la pelouse durant cette neuvième édition. Forcées de s’incliner face au Portugal lors des barrages intercontinentaux, les Camerounaises n’ont pas attendu le Mondial féminin pour célébrer leur participation à ce sport devenu institution sociale.

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Yaoundé – Deuxième journée du championnat Guinness Superleague – 18 janvier 2023, FC Ebolowa contre Amazone FAP. Sophie Effa, Fourni par l’auteur.

Par Béatrice Bertho, Haute école spécialisée de Suisse occidentale (HES-SO)


Le championnat de foot au Cameroun a gagné en médiatisation avec, pour la troisième saison consécutive, le soutien d’une grande entreprise locale, Guinness Cameroun.

L’arrivée de ce sponsor a considérablement renforcé la visibilité du championnat et de ses participantes, avec la retransmission de certains matchs sur la chaîne de télévision nationale ainsi que sur les réseaux sociaux. Par ailleurs, la performance de Gifto le Russe, la nouvelle star du mbolé – un genre musical issu des quartiers populaires de la capitale camerounaise, très prisé de la jeunesse – lors de la dernière journée du championnat national a également contribué à faire de l’événement une vraie fête.

Cette nouvelle médiatisation n’apporte cependant que peu d’éléments pour comprendre les expériences des footballeuses camerounaises, leur engagement dans le développement du sport, ainsi que celui de celles et ceux qui les encadrent, dans des conditions très précaires.

C’est ce que le projet de recherche « Kick it like a girl ! », financé par le Fonds national suisse, a cherché à comprendre, en partant du postulat que le football est beaucoup plus qu’un sport en Afrique : c’est une institution sociale qui permet à ses pratiquants d’accéder à des ressources matérielles, à des réseaux et à une certaine reconnaissance.

Le football féminin : un observatoire des transformations sociales

Au Cameroun, des filles et des femmes aiment et pratiquent ce sport – des équipes et des compétitions féminines existent depuis la fin des années 1960 – et elles sont de plus en plus nombreuses.

Certaines découvrent le sport avec les garçons, « au quartier », d’autres à l’occasion des jeux scolaires organisés par l’État. L’Académie du Rail, exclusivement féminine, a vu le jour début 2019 à Yaoundé, et des équipes féminines ont été créées dans des clubs et académies de toutes les régions du Cameroun.

Les Lionnes indomptables (l’équipe nationale, actuellement en 3e position du classement FIFA pour le continent) et leurs succès sont une source d’inspiration pour les filles et plus généralement pour l’acceptation sociale du football pratiqué par les femmes.

Pour autant, sport des masses populaires, symbolisant la virilité et le pouvoir, le football reste considéré comme masculin par essence. Les pratiquantes sont perçues comme déviantes et doivent surmonter de nombreux obstacles pour pouvoir jouer : l’entourage des footballeuses (familles, encadrants sportifs et scolaires, etc.) cultive l’idée selon laquelle la pratique du football nuirait à la « féminité » et aux capacités reproductives des filles.

En raison de ce constat – qui n’est pas propre au Cameroun ni même à l’Afrique – le football constitue un observatoire privilégié pour mettre en évidence les inégalités de genre, mais aussi les transformations sociales impulsées par l’engagement des joueuses et leurs aspirations à plus de justice.

Négocier du temps pour jouer

Quel que soit leur âge et leur génération, toutes les joueuses rencontrées au cours de la recherche parlent de leur amour du ballon et de leur passion pour le jeu.

La plupart racontent également les défis rencontrés, en tant que jeunes femmes, pour jouer au football. Il s’agit tout d’abord de vaincre les réticences ou la franche hostilité des familles, gardiennes de la respectabilité de leurs filles.

De ce point de vue, le football est d’autant plus problématique qu’il est joué dans la rue et dans des espaces publics où les corps des filles échappent au contrôle familial. Le soupçon de lesbianisme qui pèse sur les footballeuses, au Cameroun comme ailleurs et alors que l’homosexualité est un délit passible de peines de prison, alimente la défiance des familles. Dans ce contexte, en plus de la réussite scolaire, une bonne éducation passe par l’apprentissage des tâches reproductives qu’elles auront à assumer en tant que femmes dans leurs futurs foyers.

À l’âge équivalent, la part du travail domestique qui incombe aux filles est ainsi beaucoup plus importante que celle de leurs frères, générant une inégalité de temps disponible pour les entraînements ou les matchs, par rapport aux garçons. L’accès à la pratique du football suppose donc d’abord de négocier du temps pour jouer et une certaine liberté de mouvement. Cela pose la question de la légitimité de la participation à une activité de loisir régulière en dehors de la maison pour les filles.

Le rôle des coaches, qui sont en contact avec les familles et les rassurent quant à l’encadrement que les filles reçoivent dans les équipes scolaires ou en club, est ici déterminant. Mais c’est en général lorsque le succès est au rendez-vous et qu’il se matérialise sous forme de primes d’entraînement ou de matchs – si modestes soient-elles – que les parents deviennent plus tolérants vis-à-vis de l’engagement de leurs filles.

S’imposer sur le terrain

Avant d’intégrer une équipe féminine, s’imposer sur le terrain sportif à l’adolescence constitue un autre défi. Une joueuse de 19 ans, titulaire d’une équipe de première division, évoque les championnats de son quartier :

« Quand on m’appelait dans mon quartier, sur un petit stade où on faisait toujours les petits tournois, quelqu’un disait “il y en a une là, elle s’appelle Florence, elle joue bien”. Mais alors, quelqu’un d’autre disait “est-ce qu’on va mettre une fille à la place d’un garçon ? Elle joue où d’abord ? Nous on va marquer les buts, celle-ci ne peut même pas courir donc elle sort !” Je me sentais mal. Mais comme c’était mon quartier, c’était obligé qu’une fille fasse partie des 22 joueurs. Les grands s’imposaient, ils disaient “si elle ne joue pas, mieux on arrête le championnat, on ne joue plus”. » (octobre 2021)

A priori peu légitimes sur le terrain de jeu du quartier, les filles doivent se battre pour se faire une place. Mais à l’instar de Florence, la plupart des joueuses rencontrées au cours de la recherche disent avoir reçu le soutien de garçons, plus âgés, qui les ont aidées à acquérir cette légitimité en reconnaissant leur potentiel, en les encourageant, et en les imposant dans le groupe. Par la suite, courtisées par les coaches de clubs qui cherchent à monter des équipes féminines, elles n’ont aucun mal à se faire accepter dans le football institutionnalisé.

Vivre de nouvelles expériences

Pour surmonter les difficultés rencontrées, les jeunes femmes disent avant tout être portées par l’amour du jeu. Mais elles expriment aussi un point de vue sur l’accès aux ressources, matérielles et symboliques, que cette activité peut leur ouvrir. Toutes ne deviendront pas internationales, mais la plupart en rêvent. Une joueuse de 21 ans, évoluant en première division et déjà sélectionnée plusieurs fois à l’équipe nationale, évoque le moment où elle a pris conscience de l’importance du football dans sa vie :

« Quand j’ai eu mon premier trophée, j’ai connu des grandes personnes. En jouant au football, on peut rencontrer des personnes qu’on ne pouvait jamais imaginer rencontrer ! On peut entrer où on ne pensait jamais entrer ! On peut avoir ce qu’on ne pensait même pas avoir ! Alors c’est là où j’ai compris que le football pouvait faire de moi une grande personne ! Respectée ! » (octobre 2021)

C’est fréquemment pour participer à des jeux scolaires, ou à d’autres compétitions, que les joueuses sortent pour la première fois de leur quartier ou de leur ville. À l’exception des compétitions internationales, ces déplacements se font dans des conditions peu luxueuses ni même confortables, avec des voyages de 15 à 30 heures en bus lorsqu’il faut rejoindre des villes du Nord du Cameroun depuis Yaoundé. Ils représentent néanmoins des occasions inédites de voir du pays, de vivre de nouvelles expériences en équipe et de faire la fête lorsque le match est gagné.

Les compétitions de football sont aussi le cadre dans lequel les jeunes femmes rencontrent des personnalités importantes : joueurs et joueuses célèbres, présidents de clubs ou responsables des institutions faitières, autant d’opportunités de constituer ou d’étendre leur réseau.

Jouer « pour la passion seulement »

Le foot féminin « c’est pour la passion seulement » est un leitmotiv fréquemment entendu sur les terrains de la recherche, signifiant que le football féminin est pratiqué pour le plaisir, et qu’il ne faut pas en attendre d’avantages financiers. Généralement, les montants perçus par séance d’entraînement et par match gagné sont trois à cinq fois moins élevés que chez les hommes, aussi bien pour les joueuses que pour les coaches : de l’ordre de 1000 à 1.500 francs CFA en première division (1 à 2 euros), couvrant les frais de déplacement et une bouteille d’eau ; et de l’ordre de 8000 à 10.000 francs CFA (10 à 12 euros) par match gagné, contre environ 30.000 francs CFA (45 euros) pour les hommes. Notons que ces écarts sont nettement moins élevés que dans les pays européens.

Par ailleurs, certains clubs peuvent soutenir les joueuses pour le paiement de leur loyer lorsqu’elles ne vivent pas en famille et des primes de signature peuvent être versées à la signature d’un contrat.

Les coaches ainsi que les autres personnels d’encadrement, s’engagent de leur côté dans l’activité avec une très faible contrepartie financière, ce qui apparente leur activité à du bénévolat défrayé, mais avec l’espoir qu’un jour, l’activité « donne » en retour. L’arrivée d’un sponsor dans le championnat de première division, en 2021, avait suscité de nombreux espoirs d’amélioration de la rémunération des joueuses et des personnels d’encadrement. Les coaches ont vite déchanté : restant à la charge des clubs, ils et elles n’ont pas vu leur situation s’améliorer.

Quant aux joueuses, le modèle retenu par Guinness (versements directs sur leurs comptes bancaires) est régulièrement contesté par les autres parties prenantes (les clubs notamment). Mais leur situation financière reste très précaire. Les versements sont erratiques ainsi que les montants : de 25.000 francs CFA (un peu moins de 40 euros) par mois la première saison, sur 10 mois, la rémunération est passée à 100.000 francs CFA la deuxième année (la moitié étant versée par le sponsor, et l’autre moitié par la Fédération) pour redescendre à 50.000 francs CFA cette année, la fédération ayant suspendu sa participation aux rémunérations directes des joueuses.

Rappelons enfin que ces quelques données chiffrées – parcellaires car les dimensions financières dans le contexte camerounais sont marquées par une opacité certaine – ne concernent que les 12 équipes évoluant en première division.

Un football féminin porté par les acteurs et actrices de terrain

La recherche met en lumière les aspirations et les luttes des joueuses de football à Yaoundé pour occuper l’espace public, faire valoir leur légitimité et accéder à des ressources et des opportunités grâce à leur pratique sportive.

Ces aspirations trouvent désormais un écho auprès des institutions : celles du football mais aussi de la coopération au développement. Ainsi, en 2018, la FIFA, suivie par la CAF (Confédération africaine de football) en 2020, lançaient officiellement leurs premières stratégies pour le football féminin. En 2020 également, l’AFD (Agence française de développement) s’associait à la FIFA et à Plan international pour « promouvoir le football féminin à l’école afin de renforcer les capacités des jeunes filles » au Bénin, en Guinée et au Togo.

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Yaoundé, causerie pendant une séance d’entrainement (23 octobre 2021). Béatrice Bertho, Fourni par l’auteur

Jusqu’à présent, les efforts de la Fédération camerounaise de football (Fecafoot) pour le développement du football féminin ont porté principalement sur la sélection nationale (U17, U20 et Seniors). Pour les coaches nommés au plus haut niveau et pour les joueuses appelées en stages et en compétition, les primes versées peuvent atteindre des sommes très élevées et faire du football une activité lucrative. Des efforts d’institutionnalisation sont en cours et portent leurs fruits en première division : la signature du contrat de sponsoring entre la Fecafoot et Guinness – qui vient toutefois d’arriver à son terme et dont on ne sait comment il va être renégocié – en témoigne et y contribue.

Le football à la base est en revanche très peu soutenu : les petits centres de formation et clubs de deuxième division, qui sont extrêmement engagés et actifs dans la formation des jeunes femmes (y compris dans les régions les plus excentrées du pays) reçoivent très peu d’attention. Le matériel manque, les coaches y sont bénévoles, et, s’ils et elles veulent se former, doivent pour cela débourser d’importantes sommes d’argent.

Si le football féminin camerounais existe, c’est pour l’heure bien davantage parce qu’il y a des joueuses qui s’y engagent et des personnes qui les encadrent que du fait des institutions.

Béatrice Bertho, Professeure associée en travail social, Haute école spécialisée de Suisse occidentale (HES-SO)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.