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Guerre au Soudan : “Il y a derrière tout cela des ambitions personnelles”

30 avril 2023
6 min

Depuis le 15 avril, la situation au Soudan ne cesse de se dégrader alors que de violents affrontements entre l’armée soudanaise du général Abdel Fattah al-Burhan et les paramilitaires du Rapid Support Forces (RSF – Forces de soutien rapide), font rage dans le pays. Bombardements, civils tués ou exilés, hôpitaux en panne, eau et électricité coupés, magasins pillés. Pourquoi ce déferlement de violences, où en est le pays après dix jours d’affrontements et quels sont les risques de répercussions sur l’ensemble de la région ? 

Point de la situation avec Mohamed Naji, journaliste soudanais et rédacteur en chef du site Sudan Tribune depuis 2003.

Quelles sont les raisons de ces affrontements entre ces deux forces autrefois alliées ?

Guerre au Soudan : “Il y a derrière tout cela des ambitions personnelles”
Guerre au Soudan : “Il y a derrière tout cela des ambitions personnelles”

Le général Al-Burhan de l’armée nationale soudanaise et le général Mohammed Hamdane Daglo, dit Hemetti, du RSF se connaissent très bien. Ils ont tous les deux étés actifs pendant la guerre du Darfour en 2005 et pendant la guerre du Yémen en 2010. 

Après le « printemps soudanais de 2019 » qui a entraîné la destitution de l’ancien président Omar el-Béchir, en octobre 2021, via un coup d’État, le général Abdel Fattah al-Burhan, chef d’état-major, prenait le pouvoir qu’il partageait avec son second, le général Hemeti, chef des RFS. Ce qui a mis le feu aux poudres, y a quelques jours, c’est la question de la réforme des services de sécurité du pays dans le cadre d’un accord de transition du pouvoir vers les civils. 

Le point central de cette réforme, c’est l’intégration des forces RSF aux militaires. L’armée veut une intégration très rapide avec une échéance d’un ou deux ans, alors que les RFS veulent garder une autonomie longue, jusqu’à une dizaine d’années.  Il y a derrière tout cela des ambitions personnelles. Hemeti voudrait garder son influence et son indépendance financière mais les militaires veulent mettre fin à tout cela. Le général Al-Burhan veut gagner du temps car il sait que le jour où il n’aura plus d’emprise sur les paramilitaires, la situation sera compliquée pour lui.

Quelle est la situation après douze jours d’affrontements ?

Il y a eu plus de trois initiatives pour obtenir un cessez-le-feu. Les deux partis se déclarent favorables mais en réalité ils acceptent d’arrêter les combats puis reprennent aussitôt.
Malgré le cessez-le-feu de 72 heures annoncé le 26 avril, les combats perdurent à Khartoum.
Chacun publie des communiqués pour dénoncer les violations du cessez-le-feu par l’autre camp. 

L’armée a détruit toutes les bases extérieures du RSF qui est forcée de rassembler ses combattants dans la capitale, directement parmi les civils.

La population civile est donc directement touchée par ces combats. Une timide estimation dénombrait, au 26 avril, 427 civils décédés mais les chiffres réels sont bien plus importants. Les hôpitaux sont dysfonctionnels. Un groupe de médecins indépendants a annoncé que quarante-sept hôpitaux dans la région de Khartoum sont hors service. Certains sont réquisitionnés par le RSF. 

Il n’y a plus d’eau courante, plus d’électricité, les approvisionnements médicaux ou alimentaires sont arrêtés. Les civils fuient par millier la capitale et ceux qui restent vivent dans des conditions très difficiles. Les magasins sont pillés et les gens doivent vivre avec ce qu’ils ont chez eux, dans un pays de 45 millions d’habitants où la faim touche plus d’un tiers de la population.

Est-ce que des soutiens extérieurs se mettent en place, notamment de la communauté internationale ?

Il n’y a pas d’aide extérieure. Tout ce que la communauté internationale fait c’est de se précipiter pour faire évacuer ses ressortissants. Les espaces qui existaient dans les zones pour les déplacés se vident également. Même le personnel des Nations Unies est parti, il n’y a plus rien ! J’en discute tous les jours avec nos collègues qui sont sur place à Khartoum dans une situation lamentable. Il n’y a pas non plus d’implication à l’heure actuelle des pays voisins. Même l’Égypte qui était favorable à l’armée n’est pas vraiment impliquée. On a pu entendre dire que les forces du RSF, formées et équipées par Moscou, ont consulté la Libye ou la Centrafrique – en relations avec les forces armées de Wagner – mais tout cela est très spéculatif.

Quelles sont les risques de répercussions sur la région ?

La rivalité entre les deux généraux a non seulement toutes les chances de plonger le Soudan dans une guerre civile généralisée, mais elle menace aussi de déstabiliser la région toute entière.

Le général Abdel Fattah al-Burhan représente l’élite traditionnelle issue du nord du pays, associée au courant islamiste au pouvoir sous l’ancien président Omar al-Bachir ; Hemetti, lui, est porte-parole des régions périphériques, prétendant rendre le pouvoir aux civils. Même si l’armée régulière parvient à reprendre le contrôle de Khartoum, dans la région du Darfour d’où sont issus les paramilitaires, la population est très frustrée depuis de longues années. Des rapports récents montrent que dans l’État du Darfour de l’Ouest, à la frontière avec le Tchad, des conflits alimentés par d’anciennes rivalités ethno-culturelles et l’accès aux ressources est également en train de s’envenimer. 

Ces conflits entre les deux hommes sont donc en passe de se transformer en guerre civile. Les civils prennent maintenant les armes et attaquent les groupes ethniques de Hemeti pour se venger. Sur les réseaux sociaux, des darfouriens publient des messages avec beaucoup d’amertume et de ressentiments pour encourager à prendre les armes.