Si l’Occident, comme à l’accoutumée, fait bloc derrière Israël dans sa vengeance contre le Hamas, l’Afrique se distingue plutôt par des réactions contrastées.
Sur le continent, six pays ont jusque-là manifesté leur solidarité à l’État hébreu. Sept se sont rangés du côté du mouvement islamiste et nationaliste. La majorité quant à elle reste silencieuse malgré l’escalade exponentielle de la violence. Entre le soutien de principe à la cause palestinienne et la normalisation des relations avec Israël, certains pays ont vite effectué leur choix à l’aune de leurs intérêts du moment. Analyse.
Le Proche-Orient est en ébullition depuis le 7 octobre dernier. En représailles au « Déluge d’al-Aqsa », nom de code donné aux incursions meurtrières de combattants du Hamas sur son territoire, Israël bombarde sans discontinuer Gaza, enclave contrôlée par le mouvement islamiste et nationaliste.
Benjamin Netanyahu, le Premier ministre de l’État hébreu, a promis à sa population terrorisée par les assauts inédits d’anéantir à tout prix les responsables. On ne sait pas quand elle va lancer son rouleau compresseur, mais Tsahal prépare activement une opération terrestre dans l’espoir notamment de libérer le maximum d’otages aux mains du Hamas.
Guerre Hamas – Israël : pas de position commune africaine
Dans l’actualité mondiale, ces heurts ont relégué au second plan le conflit russo-ukrainien. Terre de l’holocauste, le massacre des juifs durant la seconde guerre mondiale (1939-1945), le vieux continent est plus que jamais solidaire d’Israël qui, selon Josep Borrell, le chef de la diplomatie de l’Union Européenne (UE), « a le droit de se défendre, conformément au droit international, face à ces attaques violentes et aveugles ».
Les États-Unis, l’allié historique, sont également sur la même longueur d’onde. D’ailleurs, le président Joe Biden s’est rendu le 18 octobre à Tel-Aviv pour réitérer cet état de fait. En Afrique, la tonalité diffère d’un pays à un autre. Mais les deux ennemis du Proche-Orient y ont presque un nombre identique de soutiens assumés depuis le déclenchement du nouvel épisode d’affrontements.
L’Algérie, la Tunisie, la Mauritanie, le Soudan, la Libye, Djibouti et l’Afrique du Sud estiment en quintessence que la tension perpétuelle s’explique par la privation injuste d’un État au peuple palestinien tandis que le Cameroun, le Ghana, la République Démocratique du Congo (RDC), le Kenya, le Togo et la Zambie condamnent explicitement des actes terroristes ignobles. Entre ces deux visions, s’intercalent les pays africains non-alignés, du moins officiellement, plus nombreux.
Assurant la présidence du Comité des Nations Unies pour l’exercice des droits inaliénables du peuple palestinien, le Sénégal a plaidé dans un communiqué « la nécessité de raviver au plus vite les négociations » et rappelé l’objectif « de deux États indépendants, Israël et Palestine, vivant côte à côte, à l’intérieur de frontières sûres et internationalement reconnues ».
« La présence israélienne en Afrique remonte au milieu des années 1950 », fait savoir le Professeur des universités Lat Soucabé Mbow, chercheur en géopolitique. « Elle a connu, poursuit-il, depuis lors des hauts et des bas en fonction des crises survenues entre l’État hébreu et ses voisins arabes. Ainsi, la plupart des États du continent noir avaient presque tous rompu leurs relations diplomatiques avec Israël » pendant la guerre des Six Jours en 1967 et celle du Kippour en 1973.
« Seuls le Malawi, le Lesotho et le Swaziland (actuel Eswatini, NDLR) maintinrent des relations diplomatiques à part entière avec Israël, alors que quelques autres pays gardaient des contacts dans le cadre de bureaux d’intérêts auprès d’ambassades étrangères », précise, dans un article intitulé « Israël parmi les nations : Afrique », l’ambassade d’Israël en Belgique et au Luxembourg.
L’Afrique rattrapée par la realpolitik ?
Aujourd’hui, « il y a une tendance à la normalisation des relations avec Israël », note M. Mbow, auteur du livre « Géopolitique. Une grammaire pour comprendre les crises et conflits ». En effet, « la donne a réellement changé. Il semble loin le temps où Yasser Arafat (1929-2004), alors président de l’Autorité palestinienne, était une vedette à tous les sommets de l’Afrique. Sur les 54 États du continent, 46 ont reconnu l’existence de l’État hébreu qui possède des ambassades dans une douzaine de pays africains même si, en général, leurs opinions publiques soutiennent le peuple palestinien », renseigne Oumar Niang, consultant international et spécialiste du Moyen-Orient. Israël a donc tissé sa toile en Afrique au moment où l’élan d’un soutien absolu à la cause palestinienne s’érodait.
L’Égypte, premier pays arabe à fumer le calumet de la paix avec Israël dès 1979, a récemment appelé les deux camps à « faire preuve de la plus extrême retenue » et mis en garde contre « le grave danger de l’escalade en cours ». « Israël et l’Égypte, à travers les accords de Camp David de 1978, ont décidé de ne plus se faire la guerre. En échange, les États-Unis aident chaque année Le Caire sur le plan budgétaire », mentionne le Professeur Babacar Samb, enseignant-chercheur au département d’arabe de l’Université Cheikh Anta Diop (Ucad) de Dakar.
Le Maroc, dont le Souverain, le Roi Mohammed VI, préside le Comité Al Qods, a entre autres souligné que « le dialogue et les négociations demeurent la seule voie pour parvenir à une solution globale et durable à la question palestinienne, sur la base des résolutions de la légalité internationale et du principe des deux États, tel que convenu au niveau international ». Malgré la mauvaise volonté de Tel-Aviv par rapport à cette quête, Rabat a signé, le 22 décembre 2020, sous les auspices de Washington, un accord tripartite. En contrepartie de la normalisation de ses relations avec l’État hébreu, le Royaume chérifien voyait les États-Unis et Israël reconnaître sa souveraineté entière sur le Sahara occidental.
Pourtant, une résolution prise par la Ligue arabe en 1967 à Khartoum, au Soudan, ordonne aux membres de l’entité le respect de trois principes de base : « Pas de paix avec Israël, pas de reconnaissance d’Israël et pas de négociations avec Israël ». Dans ce sillage, « il est à remarquer que les pays du continent comptant le plus de musulmans – le Nigeria et l’Égypte – affichent actuellement des positions pour le moins nuancées. Il faut savoir par exemple que la frontière du Sinaï avec le territoire de Gaza est fermée. Cela démontre que même si le facteur religieux est déterminant dans l’appréciation de la situation en Palestine, il y a aussi l’incidence du réalisme politique dans les positions dictées par ce conflit », ajoute le Professeur Lat Soucabé Mbow, agrégé de géographie.
« D’autres pays africains, en observant les dynamiques du conflit, se sont rendu compte qu’ils ont beaucoup plus à gagner avec Israël dans les domaines de la sécurité, de l’agriculture et de l’ingénierie. Ils ont aussi compris que ce qui devrait constituer le territoire d’un futur État palestinien ressemble aujourd’hui à un fromage gruyère avec les trous constituant les colonies juives. Cela éloigne la possibilité d’un territoire unifié pour la Palestine à moins qu’Israël ne démantèle toutes ses colonies », analyse M. Niang ayant vécu une décennie dans l’État hébreu.
En marge de la 78e Assemblée Générale des Nations Unies, tenue du 19 au 26 septembre 2023 à New York (États-Unis), Félix Tshisekedi, le président de la RDC, a déclaré à l’occasion d’une conférence de presse avec Benjamin Netanyahu que son pays allait déplacer son ambassade à Jérusalem et qu’Israël ouvrirait après une représentation diplomatique à Kinshasa.