Guinée : Bah Oury à la Primature pour un nouveau départ ?

La junte a provoqué une onde de choc en dissolvant le gouvernement jusque-là dirigé par Bernard Goumou. Cet acte, prévisible pour plusieurs observateurs interrogés par Tama Média, est intervenu dans un contexte de tensions croissantes au sein de l’exécutif et de critiques acerbes contre la gestion du pays par les militaires. Bah Oury, le tout nouveau Premier ministre, a du pain sur la planche.

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Guinée : Bah Oury à la Primature pour un nouveau départ ?

Par Jean-Paul Kaboré


Le couperet est tombé le 19 février 2024. Dans un décret lu à la Radiodiffusion Télévision Guinéenne (RTG, publique), le Général Mamadi Doumbouya, président de la transition, a dissous le gouvernement dirigé depuis novembre 2021 par Bernard Goumou.

Cette décision, loin d’être une surprise pour de nombreux analystes de la scène politique guinéenne, soulève une ribambelle de questions : quelles en sont les causes profondes ? Que signifie-t-elle pour l’avenir de la transition ?

Si les raisons officielles du limogeage de M. Goumou et de son équipe n’ont pas été précisées, les critiques à l’encontre de son bilan étaient légion. Manque de progrès concrets sur la transition, accusations de corruption, incapacité à juguler la crise économique et sociale… Le gouvernement semblait de plus en plus en perte de vitesse.

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Dr. Bernard Goumou, le prédécesseur du nouveau Premier ministre Dr. Amadou Oury Bah.

D’ailleurs, lors de sa rencontre, mardi 20 février 2024, avec les Secrétaires Généraux des départements ministériels qui assurent désormais la gestion des affaires courantes, le Général Amara Camara, ministre, Secrétaire Général de la présidence de la République, a reconnu que « dans l’exercice des fonctions des ministres, il a été constaté qu’il fallait donner un nouveau souffle. »

Cette bouffée d’oxygène, la Guinée en avait grandement besoin parce qu’« on percevait beaucoup de difficultés et de lourdeur dans la coordination de l’action gouvernementale ces derniers temps. On avait l’impression que certains ministères manifestaient énormément d’inefficacité. C’était assez visible. L’ampleur du changement a certes étonné, mais nous nous y attendions », a expliqué Mamadou Alpha Diallo, président de l’Association des Blogueurs de Guinée (Ablogui).

Insistant sur les facteurs de cette décision radicale de la junte, M. Diallo a relevé que le pays a fait face ces derniers temps à une conjonction de crises comme l’explosion de son unique dépôt de stockage de produits pétroliers.

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Mamadi Doumbouya, chef de l’État, rendant un dernier hommage, le 2 février 2024, aux victimes de l’explosion du dépôt d’hydrocarbures de Kaloum.

« Actuellement, nous sommes confrontés à une pénurie de carburant. Plus grave encore, une véritable crise énergétique sévit. Les citoyens peinent à bénéficier d’un approvisionnement régulier en électricité. Le service s’étant considérablement détérioré. À cela s’ajoute une augmentation des prix des denrées de première nécessité telles que le riz, mal vécue par la population. Tout cela survient dans un contexte de restriction des libertés, marqué par la censure d’Internet, notamment des réseaux sociaux, ainsi qu’une attaque plus ou moins directe contre la presse, avec le brouillage des ondes des principaux médias audiovisuels », a noté le président d’Ablogui.

Le bras de fer Goumou – Wright, la goutte d’eau de trop ?

À ces multiples crises se sont ajoutés des désaccords notables entre Alphonse Charles Wright, ministre d’État en charge de la Justice et le Premier ministre, ainsi qu’entre certains ministres et leurs Secrétaires Généraux. « Ces tensions ont été amplifiées par les réseaux sociaux où les différents acteurs s’affrontaient par communiqués interposés », a souligné Sally Bilaly Sow, co-fondateur et directeur de publication de guineechek.org.

Cette division a été exacerbée par des actions entreprises par le Garde des Sceaux comme les poursuites lancées à l’encontre de hauts fonctionnaires et de maires, sans consultation préalable du chef du gouvernement. Des actions d’Alphonse Charles Wright, qui semblait bénéficier jusque-là du soutien du président de la transition, interprétées comme un acte de défiance.

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Alphonse Charles Wright (en boubou) avec le président de la transition Mamadi Doumbouya (en treillis).

« Pas du tout surpris » par la tournure des évènements, Alseny Farinta Camara, responsable à l’organisation du Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC), membre de la société civile guinéenne, est également convaincu que « les tensions entre le ministre de la Justice et le Premier ministre font partie des facteurs de la dissolution du gouvernement de Dr Bernard Goumou. »

Quid du processus de transition ?

S’il est encore trop tôt pour évaluer les impacts de cette sentence sur la transition, Sally Bilaly Sow a toutefois estimé que « nous assistons à une remise à plat de la transition, non pas parce que rien n’a été fait pour y mettre un terme, mais parce qu’il reste encore beaucoup de choses à accomplir. »

Pour M. Sow, ce sont les prochains actes du pouvoir militaire de Conakry, et notamment la composition du gouvernement à venir, qui définiront clairement la nouvelle orientation de la transition.

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Sally Bilaly Sow, co-fondateur et directeur de publication de guineechek.org.

Abondant dans le même sens, Mamadou Alpha Diallo a indiqué que les perspectives dépendront des décisions qui seront prises par la junte. « Si la dissolution du gouvernement conduit à une rupture dans la gouvernance et à un rétablissement du dialogue avec les acteurs nationaux, à la mise en place d’un gouvernement plus ouvert et compétent, cela pourrait apaiser les tensions et favoriser la mise en œuvre des réformes, voire conduire à des élections à court terme. Cependant, je doute de cette première option », a-t-il affirmé.

« La seconde option, plus plausible à mes yeux, poursuit-il, consisterait à remplacer le gouvernement par un autre, possiblement composé de proches de la junte, poursuivant ainsi une politique similaire sans ouverture. De nombreux observateurs partagent l’avis selon lequel la junte utilise la crise actuelle pour se désolidariser de l’action gouvernementale afin d’apaiser la colère populaire, notamment au sein des classes populaires. »

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Mamadou Alpha Diallo, président de l’Association des Blogueurs de Guinée (Ablogui).

Tout compte fait, M. Camara a appelé de ses vœux « un gouvernement de sortie de crise qui aura pour missions le dialogue, l’apaisement et la justice sociale en créant les conditions favorables à l’organisation d’élections libres, transparentes et inclusives. Car la priorité d’une transition est le rétablissement de l’ordre constitutionnel ».

Du rôle important de la communauté internationale

Dans un article intitulé « De Paris à Berlin, le lobbying de Mamadi Doumbouya pour prolonger la transition », diffusé mardi 20 février par le site d’informations Africa Intelligence, on apprend que le tombeur d’Alpha Condé souhaite prolonger la transition d’au moins un an jusqu’à fin 2025, alors que celle-ci est censée se terminer fin 2024.

Pour le Responsable à l’organisation du FNDC, « c’est à ce moment-là que la communauté internationale devrait nous venir en aide pour accentuer la pression sur la junte, qui semble avoir perdu de vue la mission ultime d’une transition politique. »

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Alseny Farinta Camara, Responsable à l’organisation du Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC).

Ces derniers temps, la communauté internationale notamment la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) s’est fait discrète sur la situation qui prévaut en Guinée. Toutefois, est persuadé le président d’Ablogui, elle « a encore un rôle crucial à jouer. Les États-Unis et la France pourraient prendre la relève (de la Cédéao) en exerçant une pression sur la junte pour qu’elle accepte une transition vers des élections crédibles. »

Plus prudent à l’égard des partenaires internationaux, le Directeur de publication de guineecheck.org a préconisé une solution interne. « La situation économique et sociale du pays est telle que nous n’avons pas besoin d’une prolongation de la transition. Cela reviendrait à recourir à toutes sortes de tactiques afin de se maintenir au pouvoir. Les militaires avaient pris l’engagement de rendre le pouvoir fin 2024. Ils doivent respecter cette échéance. En s’immisçant d’une manière ou d’une autre, la communauté internationale risque d’aggraver la situation de la Guinée. Et nous n’avons pas besoin de cela », a-t-il soutenu.

En attendant la constitution tant attendue d’un nouveau gouvernement, le pays est plongé, depuis ce lundi 26 février 2024, dans une autre crise consécutive à l’appel à la grève illimitée des principales centrales syndicales. L’issue de cette séquence historique est incertaine, mais ses conséquences seront certainement déterminantes pour la suite de la transition.

« Aujourd’hui, commence le vrai travail. Cela permettra d’éclaircir les grandes lignes qui nous aideront à communiquer de manière beaucoup plus explicite, avec la population guinéenne, sur les grands axes que nous devrons suivre, avec l’assentiment du président de la République, le général Mamadi Doumbouya. Mon gouvernement s’efforcera de ramener les Guinéens autour de l’essentiel et favorisera la paix dans le pays. Si tout le monde se donne la main, on peut avancer. La Guinée a la capacité d’aller de l’avant », a déclaré Bah Oury, le nouveau chef du gouvernement. Cet ancien premier vice-président de l’Union des Forces Démocratiques de Guinée (UFDG) de l’opposant Cellou Dalein Diallo a aussi eu à occuper le poste de ministre de la Réconciliation nationale durant la transition de 2010

Le dimanche 25 février 2024, la Cédéao a annoncé la levée des sanctions financières et économiques contre la République de Guinée. En 2022, un an après l’arrivée au pouvoir du colonel Mamadi Doumbouya, l’organisation régionale avait décidé « un gel des avoirs financiers » des dirigeants. Les militaires étaient également frappés d’une « interdiction de voyager », la Guinée privée « de toute assistance » des institutions financières de la Cédéao et interdite de « transactions » avec elles.

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