L’ancien chef de la junte guinéenne Moussa Dadis Camara répond ce mercredi avec une dizaine de co-accusés pour la première fois devant un tribunal de l’effroyable massacre commis le 28 septembre 2009, un procès historique attendu depuis 13 ans par les victimes.
L’actuel chef de l’Etat, le colonel Mamady Doumbouya, arrivé au pouvoir par un putsch en 2021, est annoncé à la cérémonie d’inauguration précédant l’audience criminelle proprement dite.
Une ribambelle d’officiels guinéens mais aussi étrangers sont attendus à l’inauguration du tribunal construit exprès pour ce procès inédit en Guinée, et à peine achevé.
Le capitaine Camara, éphémère et extravagant président autoproclamé, et une dizaine d’autres anciens officiels militaires et gouvernementaux répondront d’une litanie d’assassinats, violences sexuelles, enlèvements, incendies, pillages, des qualifications ne rendant pas compte des abominations commises il y a 13 ans.
Ce jour-là, les Bérets rouges de la garde présidentielle, des policiers, gendarmes et miliciens ont fait couler un bain de sang avec une cruauté effrénée et une froideur inhumaine lors du rassemblement de dizaines de milliers de sympathisants de l’opposition, réunis dans un stade de la banlieue de Conakry pour démontrer pacifiquement leur force et dissuader M. Camara de se présenter à la présidentielle de janvier 2010.
Les exactions ont continué les jours d’après, contre des femmes séquestrées et des détenus torturés.
Ces jours-là, au moins 156 personnes ont été tuées et des centaines blessées, au moins 109 femmes ont été violées, selon le rapport d’une commission d’enquête internationale mandatée par l’ONU.
“Honneur”
Les chiffres réels sont probablement plus élevés. Les actes commis sont constitutifs de crimes contre l’humanité, a conclu la commission trois mois après les faits.
La commission impute au capitaine Camara une “responsabilité criminelle personnelle et une responsabilité de commandement”. Les officiers et les unités impliqués répondaient à son commandement. Qu’il ait ou non donné l’ordre de perpétrer les crimes, il n’a rien fait pour les empêcher.
Porté au pouvoir par un coup d’Etat neuf mois auparavant, écarté quelques mois après le massacre, exilé depuis au Burkina Faso, le capitaine Camara, 58 ans aujourd’hui, est rentré dans la nuit de samedi à dimanche à Conakry pour participer à son procès et, selon ses proches, “laver son honneur”.
Il a pour la première fois dormi en prison. La justice a ordonné mardi son placement en détention ainsi que celui de ses co-accusés encore libres.
“Boussole” –
Les victimes attendaient depuis longtemps le premier procès du genre dans un pays dirigé pendant des décennies par des régimes autoritaires, où l’impunité de forces de sécurité quasiment intouchables a été érigée en “institution”, selon la commission internationale.
Les atermoiements du pouvoir ont longtemps fait douter que ce jour advienne.
Les organisations de victimes, les défenseurs des droits humains et la Cour pénale internationale ont maintenu la pression sur les autorités. Karim Khan, procureur de la CPI, institution susceptible de se substituer à l’Etat guinéen si celui-ci manquait à rendre justice, ainsi que la représentante spéciale de l’ONU sur les violences sexuelles en période de conflit, Pramila Patten, seront présents au tribunal.
“C’est un moment que le peuple de Guinée attendait. Nous attendons que le procès des événements de 2009 puisse se tenir de façon crédible puisque les gens ont les yeux rivés sur la Guinée”, a dit Karim Khan à son arrivée à Conakry mardi.
Le manque de volonté politique et la peur apparente de ranimer de vieux démons dans un pays à l’histoire politique troublée ont été mis en cause pour expliquer les retards. Des accusés ont occupé des postes élevés sous la présidence Condé (2010-2021). La crainte de tensions communautaires a aussi été évoquée.
C’est finalement sous un nouveau chef de junte que doit se tenir le procès, érigé en marqueur de la lutte contre l’impunité.
Le colonel Doumbouya a demandé que le procès ait lieu cette année avant la date anniversaire. Arrivé au pouvoir par la force, il a proclamé faire de la justice sa “boussole”.
Les défenseurs des droits font cependant observer que les derniers mois ont vu les nouvelles autorités donner un sévère tour de vis aux libertés. Et ils réclament que le procès ne soit pas un faux-semblant.
Au-delà de la symbolique de l’ouverture, le procès “ne pourra être considéré comme une réussite que s’il permet d’établir les faits de façon rigoureuse, d’entendre les victimes, de poursuivre l’ensemble des personnes inculpées en leur présence, de garantir à ces dernières un procès équitable, et au final de rendre justice”, a dit Amnesty International dans un communiqué.
La rédaction avec l’AFP