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La Tunisie étranglée par une crise financière, comment remonter la pente ?

15 February 2023
7 min
tunisie crise financiere
Manifestation contre le président Kaïs Saïed

Chaque mercredi dans notre rubrique “Le Lab Afrique” Tama Média publie un article qui évoque une problématique et des pistes de solutions pour y faire face. Cette semaine, focus sur la crise économique en Tunisie et comment le pays peut remonter la pente.


« La Tunisie est au bord du gouffre ». Le jugement peut paraître excessif, mais dès que la question sur la situation de l’économie tunisienne est posée, tous les interlocuteurs donnent, quasi unanimement, ce sévère constat sur un pays qui n’arrive toujours pas à sortir de la crise politique qui dure depuis 2011.

Le FMI sollicité

Depuis des années, les gouvernements tunisiens n’arrivent presque pas à boucler leur budget. Et l’année 2023 n’est pas en reste. « 2023 va être une année compliquée si on n’a pas d’accord avec le Fonds monétaire international, avait prédit Marouane El Abassi, président de la Banque centrale tunisienne début janvier. Et un mois et demi plus tard, rien ne pointe à l’horizon. La Tunisie peine à obtenir un prêt de 4 milliards de dollars demandé au Fond monétaire international. Après d’âpres négociations, l’institution de Bretton Woods a accepté de ne donner que 1,9 milliards de dollars. Mais ce fonds n’est toujours pas débloqué, parce que « le FMI exige des réformes » que le gouvernement de Najla Boudène ne « parvient pas à mener », précise à Tama Media Ghazi Boulila, professeur d’université et membre du Conseil d’Administration de la Banque centrale de Tunisie. 

En attendant le prêt du FMI qui doit surtout servir de « garantie » pour les autres emprunts que le gouvernement tunisien doit solliciter auprès des partenaires étrangers, ce sont les banques locales qui comblent le déficit budgétaire estimé à plus de 8%. Ce chiffre augmente d’année en année tandis que la dette, interne et externe, dépasse désormais les 100 % du PIB (la dette externe est à hauteur de 80% du PIB). Et la Tunisie « n’a pas les moyens de faire face » à ces charges qui s’ajoutent à un chômage dont le taux est évalué à plus de 16% d’après les statistiques officielles.

Selon des observateurs tunisiens, ces problèmes de trésorerie s’expliquent par plusieurs raisons. Il s’agit d’abord d’une absence de « réformes structurelles » de l’économie tunisienne, observe le journaliste Mourad Sellami, qui rappelle que depuis 2011, « aucune décision audacieuse n’a été prise ». « L’esprit partisan a primé sur les réformes », juge pour sa part Hichem Ben Yaïche, expert en géopolitique et éditeur de presse économique établi à Paris. Les experts estiment en effet que les autorités redoutent un nouveau soulèvement populaire. C’est pourquoi, aucune réforme n’a été engagée, le gouvernement préférant la fuite en avant et la poursuite de la politique des subventions des produits alimentaires et même des carburants, « alors que l’Etat n’a plus les moyens de subventionner » note Hichem Ben Yaïche.

Mais il y a pire : durant les onze ans de la révolution de Jasmin, les gouvernements successifs ont recruté une pléthore de fonctionnaires. « Les gouvernements ont fait en sorte de recruter en masse, d’augmenter les salaires des fonctionnaires alors que le pays manque de ressources », se désole Mourad Sellami qui explique ce fait par des considérations idéologiques. «Le pays a hérité d’une bureaucratie handicapante qui empêche toute avancée », regrette également Hichem Ben Yaïche. 

La Compagnie des phosphates de Gafsa en difficulté

Tunisien Tama media
Mine de phosphate en Tunisie

Pour illustrer le degré du déclin de l’économie tunisienne, Mourad Sellami cite la GPS, la Compagnie des phosphates de Gafsa qui se débat dans d’énormes problèmes. «Jusqu’à 2011, cette compagnie était  quatrième exportateur mondial de phosphate. Elle est arrivée, des années après, à la limite de la faillite puisqu’elle ne parvenait même pas à payer ses employés. En 2010, elle a repris un peu en produisant 8 millions de tonnes par an avec 8000 employés ». Mais pour calmer la colère sociale de ce bassin minier en proie à un chômage massif et une protestation qui montait crescendo, les autorités ont sommé la GPS de recruter à la pelle. Résultat : la compagnie qui ne produit plus que 2,5 tonnes de phosphates, emploie 21000 salariés. Pis, elle fait face à l’explosion du coût de production. « Elle est revenue, depuis 2020, à l’équilibre financier, mais cela reste précaire », tonne Mourad Sellami.

Un pays difficile à réformer ?

L’autre difficulté à laquelle fait face l’économie tunisienne est le recul de tous les secteurs qui généraient des devises et des revenus à l’Etat. Le tourisme ne vit que grâce à un flux timide des Algériens et des Russes, qui se font désormais rares à cause de la guerre en Ukraine, et l’agriculture subit les contrecoups de l’inflation mondiale. « L’activité agricole est peu rémunératrice, indique Ghazi Boulia, à tel point que des éleveurs sont obligés de vendre leurs vaches ». Cela s’ajoute à un stress hydrique devenu chronique ces dernières années. Il en est de même de l’industrie de transformation dont les entrepreneurs quittent le pays à cause du manque d’incitations fiscales et parafiscales. 

Même les investissements publics manquent. « La dette plombe l’économie tunisienne. Le peu d’argent qui rentre est dépensé dans le service de la dette et l’Etat n’est même plus capable d’importer des biens de consommation de première nécessité », s’alarme Hichem Ben Yaïche qui rappelle que « des réformes exigent de l’argent, mais cet argent, la Tunisie ne l’a pas ». Plus que cela, Mourad Sellami pointe du doigt l’absence de « cap « économique » des autorités tunisiennes qui préfèrent gérer la crise politique et sociale en évitant d’entamer les réformes structurelles « impopulaires ». 

Des solutions existent

Kais Saied
Le président tunisien Kaïs Saïed

La Tunisie est-elle pourtant un pays impossible à réformer ? Beaucoup pensent que des axes de travail existent, mais il faut « un consensus politique » pour cela. A commencer par « un dialogue avec les forces politiques, les syndicats et la société civile », préconise Hichem Ben Yaïche qui insiste : « mais tout le monde doit accepter que cela passe par des mesures douloureuses ». Pour cela, il faut probablement régler la crise politique en cours. Depuis juillet 2021, en effet, le président Kaïs Saïed impose à son pays des réformes politiques rejetées par la majorité de la classe politique et des organisations de la société civile, réduisant ainsi toute possibilité de consensus.

Tout n’est pourtant pas perdu. Pour Ghazi Boulila, des pistes de travail peuvent être explorées par les autorités tunisiennes pour sortir de la crise. Il préconise par exemple d’accroitre « les exportations des ressources naturelles comme le phosphate, le gypse et l’énergie renouvelable. Il est important d’accélérer les projets d’énergie renouvelable offshore qui attirent les IDE( investissements directs à l’étranger). Ces projets attirent actuellement les pays européens. » et il suggère d’investir dans l’énergie renouvelable pour « accroître la prospection de nouveaux puits de pétrole et investir dans le gaz de schiste ». Il en est aussi du tourisme et de l’agriculture. Mais ces pistes de solutions seront-elles explorées par les autorités ? 

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By Ali Boukhlef

Correspondant à Alger, Algérie