A l’heure de la guerre en Ukraine, alors que le prix des matières premières flambe, les regards se tournent vers les alternatives possibles notamment en termes de farines pour remplacer le blé. Mil, Fonio, sorgho, banane plantain, l’Afrique regorge de farines jusqu’à présent limitées à l’utilisation pour les plats traditionnels. Si l’utilisation de ces farines dites « alternatives » reste limitée, elles attirent de plus en plus d’aficionados aguerris.
Pour comprendre comment ces farines africaines peuvent être une alternative à la farine de blé, dont il faudrait développer l’utilisation sur le continent, nous avons interrogé le chef camerounais Nathalie Brigaud Ngoum. Nathalie est tombée dans la farine quand elle était petite. Issue d’une lignée de femmes meunières et cuisinières, son parcours la conduit vers une profession à la croisée de l’écriture et de la création culinaire. A la recherche permanente de recettes innovantes, mêlant tradition africaine et originalité, elle utilise depuis plus de trente ans des farines issues du continent dont elle vante les mérites dans ses recettes, son livre, son blog, les animations culinaires qu’elle réalise pour de grandes sociétés françaises. Et elle vient de lancer une formation en ligne pour former les professionnels à l’utilisation de ces produits hors du commun. Elle répond aux questions de Tama Media.
Pouvez-vous nous retracer votre parcours ?
Je suis née au Cameroun. Mes grands-parents cultivaient du manioc que ma grand-mère transformait en farine. Elle en faisait toutes sortes de plats, beignets, que j’ai très vite appris à faire avec elle. J’ai donc été bercée à l’utilisation de farines autres que le blé très tôt. En arrivant en France après des études de littérature comparée, j’ai décidé de me former pour écrire sur ma passion des cuisines antillaises et afro-descendantes, tout en faisant des expériences culinaires en autodidacte avec des farines africaines diverses.
J’ai validé en parallèle un CAP cuisine à l’École Hôtelière de Paris.
Tout en écrivant, c’est, plébiscitée par des personnes qui goutaient à ma cuisine, que j’ai commencé à faire des animations et des formations autour de l’utilisation des farines africaines dans des recettes originales et saines. En 2019 assistée par une nutritionniste, j’ai écrit un livre de recette dans lequel j’explique la valeur nutritionnelle de chaque matière première, de sa version transformée, avec des recettes originales et très faciles à faire. De grands groupes m’ont contactée pour des animations, formations et petit à petit je me suis fait connaître comme le chef aux farines africaines et recettes originales. J’ai donc décidé de créer en 2023, une formation en ligne pour accompagner les professionnels de la cuisine, de la santé et de l’agriculture, à l’utilisation de ces farines.
Quels échos avez-vous de votre travail sur ces farines « alternatives » ?
J’anime beaucoup d’ateliers, j’interviens comme traiteur, je fais du consulting culinaire pour des particuliers et de grands groupes. Des maisons comme Les Galeries Lafayettes, Le Musée du Quai Branly Jacques Chirac, Ikéa, le CNRS, l’Agence Française de Développement, la Sorbonne, ont fait appel à moi pour des ateliers ou des services de traiteur. Les médias s’intéressent également à cette utilisation de farines nouvelles et « bonnes pour la santé ». Plusieurs médias comme TF1, RFI, TV5MONDE, France Info, Amina, etc, m’ont invitée pour partager mon expertise. Je suis l’un des rares chefs en France à orienter ma cuisine sur l’utilisation au maximum de ces farines en associant l’aspect créatif, nutritionnel et multiculturel. Je voudrais que nous soyons de plus en plus de professionnels et de particuliers dans cette démarche, notamment sur le continent. Mon livre de recettes et astuces « mes imprécis de cuisine » a reçu le prix World Cookbook Awards 2020 et le prix du livre à la foire de Paris 2019, délivré par l’Organisation Mondiale de Gastronomie.
Quelles sont ces farines africaines que vous utilisez et pour quelles raisons ?
J’utilise beaucoup de farines différentes, patate douce, mil, fonio, banane plantain, manioc, sorgo, maïs, pour les plus connues, et également du niébé un peu moins répandu. Que ce soit pour la pâtisserie, des recettes salées ou même du pain, nos farines sont une source incroyable de nutrition et de possibilités que nous devons exploiter. Ce sont des produits qui se trouvent très facilement sur tout le continent à des prix plutôt faibles. Prenons le simple exemple du mil que l’on retrouve quasiment partout sur le continent. La FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’Agriculture) a publié récemment un article expliquant pourquoi il faudrait le remettre au goût du jour.
Les raisons qu’elle met en avant sont les suivantes ; c’est un aliment qui pousse dans les milieux arides, une source d’antioxydants, de minéraux et de protéines qui apporte une alimentation équilibrée et, il ne contient pas de gluten ! A tous les points de vue, c’est donc une céréale très intéressante. Malheureusement comme beaucoup d’autres farines du continent elle n’est utilisée que pour des recettes traditionnelles. C’est là que la créativité entre en jeu. Nous avons les matières premières, à nous de savoir bien les réutiliser.
Pourquoi pensez-vous que ces farines ne sont pas autant utilisées ou valorisées sur le continent ?
Sur le continent, ces farines sont connues mais réservées à une utilisation dans la cuisine traditionnelle donc de plus en plus délaissées par les jeunes générations qui veulent aller vers des produits plus occidentalisés. Les utilisations les plus communes de farine sont la baguette de pain ou la pâte à pizza qui ont cette image occidentale qui attire en Afrique comme ailleurs. Pourtant en France on parle de plus en plus de « supers aliments », ces produits qui sont vendus en magasins bio à des prix exorbitants car reconnus comme « bons pour la santé ».
De plus en plus de boulangeries, restaurants, lieux d’expérience dits « sans gluten », « végétalisés » ou « Végan » voient le jour et utilisent ces « supers aliments ». Pour beaucoup, ce sont des farines comme celles dont je parle qui y sont utilisées, des produits qui viennent du continent, que nous ne valorisons malheureusement pas nous-mêmes dans une alimentation autre que traditionnelle. Il faut changer de paradigme et se nourrir en conscience aussi sur le continent. Arrêtons de toujours attendre que l’occident valorise nos produits pour nous-mêmes, avant de reconnaître leur valeur.
Comment pensez-vous que l’utilisation de ces farines pourrait soutenir le continent dans cette conjoncture économique et alimentaire actuelle ?
Au-delà de soutenir l’Afrique dans son besoin indéniable d’auto-suffisance alimentaire, l’utilisation des farines du continent est incontournable à plusieurs niveaux. A la fois sur un plan écologique, nutritionnel, économique et créatif, nous avons tout intérêt à produire et utiliser des farines de céréales qui poussent sur nos propres terres. En cultivant ces céréales qui sont adaptées aux particularités du continent, tout comme le mil, nous pourrons limiter l’importation des autres produits acheminés par cargos et conteneurs vers nos pays donc avoir un impact écologique important.
Cette utilisation pourra relancer des micro-entreprises agricoles. Beaucoup de pathologies comme le diabète ne sont pas bien soignées en Afrique et ces farines qui, pour beaucoup, ne contiennent pas de gluten peuvent être un très bon soutien à la lutte contre ces maladies. Si nous pouvons arrêter ou limiter l’importation des farines exogènes, la population pourra prendre de nouvelles habitudes alimentaires qui lui coûteront bien moins chères. C’est également l’opportunité pour l’Afrique de s’imposer avec des nouvelles créations culinaires qui seraient des signatures propres au continent.
Vous avez lancé une formation en ligne, quel est votre objectif ?
Mon projet sur l’utilisation des farines alternatives est considéré comme la première école du genre dans le monde.
Cette formation est à destination des particuliers et des professionnels en France et surtout sur le continent. Elle est à la fois théorique et pratique. J’y enseigne tout ce que je sais sur les farines que j’utilise, autant sur un plan nutritionnel que créatif. Mon objectif à terme est de pouvoir démocratiser ces farines et former à la fois des professionnels de la santé, de la gastronomie et accompagner des agriculteurs. Bientôt, je voudrais aller directement sur le continent pour sensibiliser le plus grand nombre.
Pour montrer la simplicité d’utilisation de ces farines au quotidien, quelle recette pouvez-vous partager avec nos lecteurs ?
Je vous partage une recette issue de mon livre « Mon imprécis de cuisine », ma brioche tressée à la farine de patate douce de Côte d’ivoire (sans gluten). D’abord un petit mot de la nutritionniste : la patate douce est riche en vitamines A, C, B6. Elle contient aussi des minéraux comme le manganèse, le potassium. C’est un glucide qui ne va pas compromettre l’équilibre hormonal des patients diabétiques, car il a un faible index glycémique. En manger favorise une belle peau, une bonne vision, et un meilleur système immunitaire.
Pour 4 personnes/Préparation : 10 minutes/Repos 30 minutes/ Cuisson : 30 minutes/Difficulté : Facile
Ingrédients :
– 215 g de farine de patate douce de Côte d’ivoire + 10 g pour travailler la pâte
– 12 cl d’eau tiède
– 1 œuf
– 1 c à soupe d’huile neutre
– 1 c à soupe de levure boulangère (5g)
– 1 c à soupe de sucre de coco
– 1 pincée de sel
Réalisation :
1–Dans un saladier, disposer la farine additionnée à la levure. Ajouter le sucre, le sel, l’huile. Verser l’eau tiède tout en mélangeant, ajouter l’œuf et pétrir 1 minute.
2– Sur un plan de travail fariné, diviser la pâte en 3 pâtons puis les rouler pour les transformer en boudins de
même taille (environ 45 cm)
3– Tresser ensemble les boudins et les tourner en boule (sur eux-mêmes) pour en faire une brioche ronde et la
laisser reposer 30 minutes
4– Badigeonner la brioche de jaune d’œuf et faire cuire 10 minutes à 100° C et 20 minutes à 200° C
Astuces /conseils /variantes :
*Avant la cuisson, saupoudrer de graines de pavot, de sésame, de pralin ou de sucre perlé.
*Badigeonner la brioche chaude (après la cuisson) de miel dilué ou de sirop d’agave
*Essayer les vermicelles arc-en-ciel sur la brioche chaude, les enfants les adorent
* Petit déjeuner, brunch, goûter, merci qui ? 😉
*J’utilise aussi une farine, nécessitant moins d’eau (trouvée au Cameroun).