Chronique littérature – Après l’avènement de la religion monothéiste et de la civilisation occidentale, les sociétés africaines ont connu beaucoup de mutations tant sur le plan économique, politique et social. Les conditions sociales des uns et des autres prennent une autre dimension. Ainsi, les femmes décident de briser le silence en s’engageant dans la politique, dans les association, ou via l’écriture, etc. De ce fait, elles se racontent, parlent et véhiculent des images à travers leurs écritures.
Si certaines sont pour l’égalité et l’émancipation, tel n’est pas le cas chez d’autres. Pour mieux élucider cela, nous allons nous intéresser à une œuvre contemporaine de la littérature malienne écrite par une femme. Il s’agit d’Une femme presque parfaite de Oumou Ahmar Traoré, publiée en 2017 [éd. La Sahélienne, Bamako]. Cette étude imagologique nous permettra de faire la peinture de la femme moderne. Il s’agira alors de donner à voir les différentes casquettes que peut arborer la femme d’aujourd’hui, et principalement, mettre en évidence l’équilibre parfois fragile sur lequel reposent vie de famille et ambition professionnelle.
Partisane de l’équité et de l’égalité
L’émancipation, selon le dictionnaire électronique Robert, est l’action de s’affranchir d’une autorité, de servitudes ou de préjugés. Ce sujet est beaucoup abordé aujourd’hui surtout quand il s’agit de la femme africaine. Cela se manifeste par une femme qui travaille avec amour, courage et abnégation tel le cas de Yaghâré. Dans son roman Une femme presque parfaite, Oumou Ahmar Traoré met l’accent sur une femme travailleuse, engagée et ponctuelle. Son personnage principal Yaghâré est « présente parmi les premiers au service, elle était aussi parmi les derniers à en partir ». Sa seule devise est de « travailler, encore et toujours, avec âpreté et opiniâtré, tel semblait être son unique crédo. » (p.11)
A travers cette image, elle fait ressortir l’aspect assidu d’une femme qui s’est faite une place parmi les hommes en s’imposant grâce à ses efforts. Son caractère fort était connu de tous, inébranlable dans ses certitudes et décisions. Pour plus d’affirmation, le « dépassement de soi était son quotidien. Pétrie de vaillance, imbue de vertus cardinales, elle s’est réalisée elle-même. » (p.12) A travers Yaghâré, la romancière prouve que quand une femme est instruite et est dans de bonnes conditions, elle peut être indépendante. Cela dit, l’école devient un facteur incontournable pour la lutte féminine. Partisane de l’équité et de l’égalité, l’héroïne du roman est une mère qui éduque et met ses enfants sur le même pied d’égalité. Les enfants, étant les représentants de l’avenir, sont pour Oumou A. Traoré une aubaine pour construire l’avenir. Massiri, l’ainé de famille s’est disputé avec sa petite sœur Tièsri — pour cause, cette dernière a refusé de faire la cuisine. Pour les départager, Yaghâré demande à son fils d’aller préparer le petit déjeuner, en lui faisant savoir ceci :
Le monde est en perpétuel mouvement, notre société, chaque jour, évolue. Elle est en proie à des influences multiples et d’inéluctables changements s’y opèrent. Il faudra être proactif, déconstruire les tâches afin de pouvoir émerger de toutes les circonstances. (p.27)
La démystification des travaux de maison semble devenir une nouvelle mission pour des détentrices des plumes. Yaghâré joue le rôle d’une maman ouverte, gentille et équitable. Elle n’a pas hésité à dire à son enfant : « habille-toi, mon fils, de convictions, laisse-toi aller au pragmatisme, et fais tienne la culture de l’équité et d’égalité. » (p.29.) Déjà, dans sa posture de femme moderne, Yaghâré brise le silence et prend la parole. Aussi faut-il le dire, en dehors de son travail, elle est « militante d’une association de la Juste Valeur » ( p.57.)
L’image de la femme moderne se traduit également par le refus de se soumettre au stéréotype consistant à réduire la liberté féminine. Dans une société où le port de certaines tenues porte préjudices, la femme émancipée récuse de se laisser à abattre par des discours sans fondement et pour elle dénudés de sens. Etant une amatrice du sport, elle est critiquée à cause de ses vêtements sportifs. Sans ambages, elle qualifie cet acte de « l’impérialisme religieux, ».
Elle va avec des mots forts en qualifiant des hommes qui sont « calés dans leurs certitudes sans fondements, d’une répulsive consistance, ces apôtres de la haine et de la terreur prêchant la morale mais agissant hors de la vertu… » Sa révolte ne se faisait pas attendre, désormais, elle ne se laisserait pas faire et dirait haut et fort ce qu’elle pense injuste. Elle trouve absurde ceux qui affirment que « la prétention au Salut nécessite la renonciation à l’obsessionnelle recherche de la jeunesse éternelle, de la beauté physique ainsi que de la course éhontée au superflu » (p.62.) L’engagement féministe serait un moyen de restructurer la société.
Femme idéale pour la société, caricaturée
Le sexisme est une « idéologie ou ensemble des croyances en des préjugés associés au sexe ou au genre, et comportements en résultant », selon le dictionnaire électronique Français. Pour Oumou Ahmar Traoré, la société condamne les femmes qui n’acceptent pas de baisser leurs regards et à s’habiller décemment pour éviter la tentation des hommes. En quelque sorte, la femme doit apparaitre comme un être soumis, pieux et être à la disposition de l’homme. Le refus de se conformer et l’insoumission à ces principes l’enverraient dans l’enfer. Oumou Ahmar Traoré fait la peinture d’une société qui attache, enchaîne et empêche la femme de s’épanouir, elle décrit sans langue de bois les discours à la fois sexistes et réactionnaires que certains hommes tiennent pour juste contrôler leur(s) femme(s). A travers Yaghâré, elle rappelle les propos sexistes à ses lecteurs en ces termes :
Sont vouées aux flemmes éternelles les collectionneuses de haram, toutes les femmes qui, par leurs morphologies étourdissantes ou autre étincelle déstabilisatrice, auront fait vaciller les cœurs d’innocents mâles, toutes ces conjointes qui n’auront pas consenti leur vie à se soumettre à leur maître, l’homme, qui n’auront pas épousé le rire modéré, eu la parole basse et gardé leurs cils rivés au sol en présence. (p. 62.)
Pour qu’une femme ait le Salut Eternel, elle doit obligatoirement se soumettre selon les croyants musulmans. Djo-kôro, un personnage vieux, amoureux de Yaghâré tiendrait à son tour un discours sexiste en disant que : « la femme a été créée pour notre perte et c’est d’elle que nous viennent nos misères » p.51. Devant la presse, sans peur, il déclare que Yaghâré est une « déesse dans un corps de tigresse » p76. Cette accusation est classique.
Difficile choix entre travail et famille
Au-delà d’une femme travailleuse et excellente au service, cette dernière peut être une mauvaise épouse pour son mari. Elle est capable d’abandonner sa famille pour se concentrer uniquement sur son travail et cela engendre très souvent des divorces. Tel a été le cas de deux hommes à savoir : Kanda et X6Z. Le premier est le mari de Yaghâré. Après leur mariage, celui aide sa femme à obtenir un travail et à ouvrir son entreprise. Malheureusement pour lui, sa femme devient accro au travail. Elle faisait beaucoup de « réunions nocturnes, de voyages en séries et avec ses ambitions politiques » (p.81). Son indisponibilité a causé un déséquilibre familial car, Yaghâré n’avait plus le « temps à rien, même pas à donner vie » (p.81). Son mari continue en disant à sa femme « nous te voyons si peu ici en famille que nous finissons par ne plus te reconnaitre dans la rue. » (p.82) Contrairement aux idées reçues de la société, Kanda voulait prouver qu’une « femme pouvait assumer de hautes charges sans être veuve, célibataire, séparée, divorcée ou autre ». (p.89). Le résultat escompté n’a pas été atteint, il a été déçu par sa femme.
Le cas similaire est arrivé à M. X6Z, il a été également délaissé par sa femme. Avec prétérition, il accuse la civilisation occidentale d’avoir fait de sa femme une autre personne différente de celle que lui il voulait. Plongé dans la solitude, il cherche une solution auprès des gens. A cause du travail, sa femme l’a abandonné. Désespéré, M. X6Z exprime sa peine : « de toutes les souffrances, la solitude permanente est la pire (…) Certes, le travail ennoblit, mais faut-il sacrifier la famille, les amitiés ? Telle est la question d’époux délaissé, négligé et livré aux pires tentations. » (p.102-103.) Non seulement il en veut à sa femme, mais aussi à son « travail de bureau de l’avoir masculinisée. » (p.104.)
A travers ses différents personnages, la romancière malienne Oumou Ahmar fait une analyse de la femme moderne dans une société en phase de mutation et de changement. Le devoir conjugal s’impose à toutes et à tous pour une meilleure vie de couple. Elle encourage les femmes à travailler, à être plus autonomes, mais, elle leur rappelle leur devoir de femme. Il est important de répondre à la problématique posée par Yaghâré : « doit-on, pour des raisons familiales, sacrifier l’intérêt collectif, la paix et la sécurité générale ? » (p.123.)
Par Ousmane Ambana, titulaire d’un Master de recherche en littérature africaine à l’Université des Lettres et des Sciences Humaines de Bamako (ULSHB). Son mémoire de Master porte sur les : Mutations poétiques dans Ce n’est jamais fini de Fatoumata Keïta.