Mali : la difficile mise en route du tourisme local comme alternative au tourisme international

La ville malienne de Djenné, réputée dans le monde pour son architecture soudanaise remarquable et sa trame urbaine, est l’une des destinations privilégiées des touristes étrangers. Mais ça, c’était avant la crise multidimensionnelle de 2012. Situé dans le centre du Mali,  à environ 570 km au nord-est de la capitale Bamako, le tourisme international n’y est plus en état de fonctionnement pour diverses raisons. En attendant, dans le cadre de la relance durable du secteur, les autorités tentent de le combler par le développement du tourisme local.


Reportage – Épisode 2 Mali : la difficile mise en route du tourisme local comme alternative au tourisme international


Moussa Moriba Diakité, chef de la mission culturelle de Djenné déplore l’absence de mobilisation des agences touristiques pour essayer de sauver le secteur.

Un autre facteur important qui entrave la relance du tourisme, poursuit-il, est que « pendant l’hivernage, Djenné est difficile à sillonner. Il y a de la boue partout. Les rues ne sont pas propres. Il y a des eaux usées partout. Une fois, on a échangé avec un touriste qui a dit ceci : ‘’À Djenné, on ne sait même plus où se mettre les pieds. Tout est sale.’’ Ce sont des choses venant d’un touriste, difficiles à entendre pour nous habitants de la ville. Mais le constat est réel, et il faut trouver une solution. »

Mali : Djenné, là où le tourisme international s'est net arrêté, les guides touristiques entre amertume et résignation. Épisode 1
La Grande mosquée de Djenne. La ville est située dans le centre du Mali, à environ 570 km au nord-est de la capitale Bamako.

En mars 2014, du 10 au 15, une mission conjointe de l’Unesco et des autorités maliennes a été réalisée pour faire un état des lieux de la conservation du bien culturel de Djenné, « suite à la crise dans les régions nord du Mali qui a considérablement affaibli les moyens d’intervention des autorités étatiques et locales sur la gestion et la conservation du site ».

De façon détaillée, cette mission dans la ville inscrite sur la Liste du patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1988 sous le référent « Villes anciennes de Djenné », consistait « notamment à évaluer les attributs liés à l’intégrité et à l’authenticité des deux composantes du bien, à savoir le tissu urbain ancien et les quatre sites archéologiques (Djenné Djeno, Hambarketolo, Tonomba et Kaniana) ».

Non sans faire des recommandations, cette mission conjointe a livré ses conclusions en ces termes : « À l’issue de ces travaux, la mission a notamment constaté que la crise socio-politique qu’a connu le Mali a eu un impact considérable sur la gestion et la conservation du site et qui va au-delà des attentes. […] L’accueil de populations déplacées dans la ville en raison de la crise a exercé une pression supplémentaire sur les infrastructures d’assainissement et exacerbé l’insalubrité. À cela s’ajoutent les problèmes d’entretien des bâtiments en terre dont certains sont assez dégradés en raison des difficultés économiques des populations qui se sont accentuées et qui ne favorisent pas l’accès aux matériaux de restauration de ces bâtiments. À cela s’ajoute l’arrêt complet du tourisme qui constitue la principale source de revenus de la ville. Cette situation engendre un manque à gagner considérable pour les populations et la municipalité. Les sites archéologiques ne sont pas épargnés. Des velléités de pillage ont été constatées, sans doute du fait de la crise qui a amplifié le problème de chômage. Ces problèmes s’ajoutent à ceux identifiés lors des précédentes missions de suivi réactif et qui demeurent irrésolus : pression urbaine, empiètement par les animaux, érosion, ravinement. »

Le tourisme local comme alternative

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Le 26 mai 2024 une centaine d’enfants visite l’exposition “Mali Kanu” au Musée National du Mali, dans le cadre du Festival international Sogobô de Bamako.
Reportage -  Épisode 2 Mali : la difficile mise en route du tourisme local comme alternative au tourisme international

Malgré le contexte sécuritaire difficile et tous ces problèmes sus-relevés, quelques touristes étrangers ont pu se rendre sur place ces dernières années. « Des Japonais sont venus en 2019-2020. Des Russes se sont également rendus ici. Après ces visites, je n’ai pas constaté la venue d’autres touristes », indique à Tama Média  M. Diakité.

« L’année dernière, un groupe de touristes russes est venu. Le guide qui était avec eux est de Tombouctou (dans le nord du Mali). Il ne connaît pas tellement le tourisme de Djenné. Quand ils étaient en route, au niveau du barrage (à une dizaine de kilomètres de la ville), ils voyaient les pirogues. Curieux, ils voulaient faire des photos pour immortaliser l’instant alors qu’il est interdit de prendre des images à cet endroit. Les militaires qui gardaient les lieux, ce jour-là, les ont fait retourner », relate le guide Ibrahim Cissé. Il pense que « c’est à cause de cela qu’on ne voit plus de touristes ».

Mais pour le chef de la mission culturelle, « chaque pays a ses réalités. Il y a aussi des textes qui régissent le tourisme. Peut-être que ceux qui ont ce raisonnement n’ont pas connaissance des textes régissant le tourisme. En tous les cas, nous sommes dans une situation d’insécurité et l’État a la responsabilité de protéger la population et les touristes. Si les responsables jugent qu’il faut passer par des normes pour arriver à Djenné, je ne pense pas que cela soit un facteur de blocage. C’est une réalité, il faut protéger les gens contre la situation actuelle. Et c’est évident que l’État a un contrôle sur les entrées et les sorties. Donc, quand on dit que l’État empêche les gens d’entrer, ce n’est pas une réalité. »

Djenné est un cas parmi tant d’autres. Quasiment sur tous les principaux sites touristiques du Mali, le constat est le même. « Avec la surmédiatisation des incidents sécuritaires comme les prises d’otages, les attentats, entre autres, nous avons assisté à une baisse drastique du volume des touristes qui venaient par le passé au Mali. La clientèle internationale se fait de plus en plus rare sur un certain nombre de sites touristiques principalement au pays dogon, à Tombouctou et à Djenné. », reconnaît Sidy Keita, directeur de l’Agence de promotion touristique du Mali, communément appelée « Mali Tourisme » et créée en 2014 dans un contexte de relance du secteur avant d’être opérationnelle à partir de 2016. 

« Parallèlement, nous assistons au retour de la diaspora malienne. Ce sont des milliers de personnes qui voyagent chaque année avec leurs familles sur le Mali. Malheureusement, le poids économique de ces retours au niveau de la destination Mali n’est pas aussi important parce que la plupart des dépenses sont générées directement dans des cellules familiales. Ce qui ne profite pas nécessairement à l’industrie du tourisme. Qu’à cela ne tienne, nous sommes en train de travailler sur ces Maliens de la diaspora pour faire en sorte que leur arrivée massive puisse véritablement profiter aux entreprises et à l’industrie du tourisme. », rassure le chef de « Mali Tourisme ».


En l’absence du tourisme international, les autorités ont adopté comme alternative plusieurs stratégies pour favoriser davantage le tourisme local et faire découvrir aux Maliens leur patrimoine.

« L’État malien, dans son plan d’action 2022-2026, a toujours parlé de cette alternative : réorganiser le tourisme intérieur pour permettre aux gens de visiter les localités du Mali. Pour ce qui concerne Djenné, ces visites sont un peu rares. C’est surtout au niveau des lycées que nous constatons des jeunes qui viennent, peut-être pas en touristes mais pour voir leur patrimoine », selon Moussa Moriba  Diakité.

Il estime qu’« en donnant des facilités aux agences pour greffer le tourisme local au tourisme international, c’est une alternative qui peut permettre aussi aux guides de se tirer d’affaires et de ne pas rester toujours à remuer les pouces. »

« L’objectif affiché, c’est de construire le tourisme de demain »

Reportage -  Épisode 2 Mali : la difficile mise en route du tourisme local comme alternative au tourisme international

Le directeur de Mali Tourisme poursuit : « En attendant le retour du tourisme international, nous travaillons sur le développement du tourisme interne. Aujourd’hui, je pense que les destinations africaines, dans une certaine mesure, n’ont pas le choix. Il faut travailler sur la clientèle de demain. C’est la raison pour laquelle le gouvernement à travers le ministère en charge du tourisme a pris un certain nombre  d’initiatives dont Bamako city tour, le voyage intégrateur, le programme de tourisme scolaire et universitaire. L’objectif affiché, c’est de construire le tourisme de demain, faire en sorte que dans 15 ans, nous puissions avoir une masse de clientèle locale assez importante et qui soit en mesure de pouvoir participer activement à l’activité touristique. Les activités comme le voyage intégrateur et Bamako city tour sont des programmes qui sont subventionnés pratiquement à 90% par l’État pour permettre aux enfants de découvrir leur patrimoine, leur culture, les sites touristiques du Mali ».

Au Mali, la part du tourisme dans l’économie nationale est estimée dans les années 2009-2010, avant donc la crise que connaît le pays depuis 2012, à peu près 3% selon les chiffres fournis par l’Agence de promotion touristique du Mali. Mais avec les crises sécuritaire et sanitaire (Covid-19), la donne a foncièrement changé. Toujours est-il difficile d’évaluer avec précision cette contribution de l’industrie du tourisme à l’économie locale pour des raisons d’ordre logistiques.

« Dans les années fastes, la part du tourisme dans la formation du Produit Intérieur Brut (PIB) était estimé à peu près à 3%. Mais aujourd’hui, avec le contexte sécuritaire notamment, cette proportion a baissé et nous n’avons pas le 1%. Là aussi, il faut relativiser étant donné que nous n’avons pas tous les instruments nécessaires pour faire cette évaluation, parce qu’il faut disposer de ce qu’on appelle le compte satellite du tourisme qui nous permet d’évaluer avec précision l’apport de l’activité touristique à l’économie nationale », indique-t-il en s’appuyant sur des données internes obtenues de l’Institut national de la statistique (Instat-Mali).

Ainsi, à la date d’aujourd’hui, les actions de l’Agence malienne de promotion touristique « s’inscrivent dans le cadre de la relance durable de l’activité touristique parce qu’il faut travailler sur la clientèle locale » selon son directeur qui reste après tout optimiste.

« Nous espérons pouvoir atteindre un seuil assez important à partir de 2030 pour que progressivement nous puissions arriver à réduire la dépense du tourisme malien au flux du tourisme récepteur. C’est d’arriver à une proportion là où le volume des activités touristiques générées par la clientèle nationale pourra atteindre 60 à 65% et le reste étant réservé au flux du tourisme récepteur », espère-t-il. En attendant le développement du tourisme interne et le retour du tourisme international, « à Djenné, on ne sait même plus où se mettre les pieds ».

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