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Macky Sall : « Je termine ma mission à la tête du Sénégal le 2 avril 2024 »

25 février 2024
16 min

Le 15 février 2024, après avoir constaté l’impossibilité de tenir l’élection présidentielle à la date initiale du 25 février, le Conseil constitutionnel a invité les autorités compétentes à l’organiser « dans les meilleurs délais ». S’il a pris acte le 16 février de la décision des sept sages, Macky Sall n’a toujours pas pris le décret convoquant le corps électoral. Le chef de l’État sortant s’en remet à un dialogue national prévu en début de semaine prochaine. Malgré la volée de critiques dont il fait l’objet, le chef de file de l’Alliance Pour la République (APR) a réitéré, au cours d’un entretien télévisé accordé jeudi dernier à quatre médias locaux, sa volonté de quitter le pouvoir au terme de son mandat. [1/2]

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Macky Sall : « Je termine ma mission à la tête du Sénégal le 2 avril 2024 »

Monsieur le président, tout le pays reste suspendu à la date du 2 avril 2024 qui correspond à la fin de votre mandat à la tête du Sénégal. Que comptez-vous faire à l’expiration de ce délai ? Quelle date préconisez-vous pour la tenue de l’élection présidentielle ?

Je voudrais d’emblée remercier mes compatriotes qui m’ont fait confiance depuis 2012. J’ai été élu pour un mandat de sept ans renouvelé pour cinq ans en 2019. J’ai prêté serment le 2 avril 2019. Ce qui fait que le 2 avril 2024 sera le terme de mon second mandat et la fin de ma relation avec le peuple sénégalais en tant que président de la République.

Je voudrais que ce débat soit clairement tranché. Il ne devait d’ailleurs pas avoir lieu. Malheureusement, dans notre pays, tout le monde est expert en tout. On a voulu me faire un procès sur des intentions de briguer un troisième mandat. On a vu que je n’étais pas candidat. On a dit que je voulais rester à la tête du pays. Je dis ici très clairement que le 2 avril 2024 ma mission se termine à la tête du Sénégal.

Ayant prêté serment le 2 avril 2019, le 2 avril 2024 boucle les cinq années calendaires. C’est donc la fin du mandat. Et je compte m’en arrêter à ce mandat. Après le 2 avril, je prévois de quitter mes fonctions de président de la République.

Maintenant, il est clair que le pays ne peut pas rester sans président de la République. Le dialogue qui vient devra certainement trancher. Un consensus sera recherché. Je souhaite que les acteurs, devant se réunir autour de moi, regardent l’intérêt supérieur de la nation. Qu’ils se demandent ce qu’ils peuvent faire dans ce contexte bien particulier. J’écouterais ce que le dialogue dira. Après, le Conseil constitutionnel pourrait certainement être amené à se prononcer.

En réalité, n’eut été le débat ambiant, la Constitution a réglé la question de l’après 2 avril 2024. Mais comme tout le monde n’est pas d’accord sur l’alinéa 2 de l’article 36, il appartiendra en dernier ressort au Conseil constitutionnel, après toutes les interprétations, de dire ce qui doit être fait. Tout le monde devra s’y accorder.

En ce qui me concerne, encore une fois, il n’a jamais été question de dépasser le terme de mon mandat malgré les procès d’intention. Je m’en tiens à cela. Je le dis très clairement et très solennellement : le 2 avril 2024, je termine ma mission à la tête du Sénégal. La suite, on verra. Pour ce qui est de la date du scrutin, on verra qu’est-ce que le dialogue nous proposera.

Quels sont les contours du dialogue que vous appelez de vos vœux ? Qui va y participer ? Les acteurs ciblés ont-ils donné leur accord ?

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Mariama Dramé (RTS), Alassane Samba Diop (Emédia) et Mouhamadou Diallo (Seneweb)

C’est d’abord les acteurs politiques, les candidats dont les dossiers ont été acceptés par le Conseil constitutionnel et ceux recalés. Il faut tenir compte de l’avis de ces derniers et ne pas les mépriser. Il y a également comme acteurs les partis politiques, la majorité, l’opposition, les non-alignés, mais aussi la société civile qui est un acteur vivant de la scène politique sénégalaise.

Ce n’est pas la première fois qu’on tient un dialogue au Sénégal. Il y a quelques mois, nous avons fait les conclusions d’un dialogue antérieur. Il me semble que les candidats en lice ont exprimé la volonté de répondre au président de la République. Les partis politiques sont aussi prêts à discuter. Je veux bien qu’on discute parce que c’est seul le dialogue qui peut nous permettre de dépasser cette situation. Je ne connais pas un candidat qui refuse le dialogue.


Quand l’élection présidentielle va se tenir ? Avant le 2 avril, une date sera-t-elle retenue pour que le peuple aille aux urnes afin de choisir votre successeur ?

Il y a eu un problème. N’eut été cela, on serait allé aux urnes ce 25 février. Si on avait voté à cette date, tout le processus électoral allait prendre fin avant le 2 avril. Il n’y aurait eu aucune difficulté à ce que le nouveau président élu puisse prêter serment le 2 avril. Nous ne sommes plus dans ce cas de figure.

Le Conseil constitutionnel l’a clairement dit après avoir notamment annulé la loi portant dérogation à l’article 31 de la Constitution. Les sept sages ont indiqué aux autorités compétentes, en premier chef le président de la République, de prendre le décret convoquant le collège électoral et de fixer une nouvelle date pour le scrutin.

Mais ce décret ne peut être pris avant que la concertation nationale n’ait lieu. J’ai convoqué ce dialogue le lundi 26 février 2024. Je pense que sur deux jours au maximum on devrait terminer. Il n’y a pas beaucoup de sujets qui doivent être traités : quelle date pour l’élection et qu’est-ce qu’il faut faire après le 2 avril ?

Ce sont des sujets qui peuvent être simples si les gens mettent en avant l’intérêt supérieur de la nation dès lors que ma participation n’est plus en jeu. Elle ne l’a jamais été d’ailleurs. Si on trouve ce consensus, je prendrai immédiatement le décret pour fixer la date. À défaut, je soumettrai le problème au Conseil constitutionnel.

Le 2 avril, vous allez passer le témoin si une date est retenue pour l’élection présidentielle ?

Il ne peut y avoir de successeur tant qu’il n’y a pas d’élection. Il faut que le processus électoral arrive à terme avec l’élection d’un président de la République qui va prêter serment devant le Conseil constitutionnel. En ce moment-là, on fait la passation du pouvoir.

Peut-on le faire avant le 2 avril ? Il y a des mécanismes à trouver. Il y a quand même le Code électoral, un certain nombre de lois qui définissent des délais, mais on peut trouver le moyen de passer outre.

Il serait alors possible que je passe le témoin au président élu. Si le processus ne finit pas en cas de second tour, le président élu prendra le témoin de celui qui va gérer la transition entre le 2 avril et l’installation du nouveau président.

Monsieur le président, nous sommes le 22 février 2024. D’ici le 2 avril, il se passera 40 jours. Pensez-vous qu’il soit possible d’organiser un dialogue, s’accorder sur quand et comment tenir la Présidentielle pour qu’il n’y ait pas un vide juridique le 3 avril ?

En ce moment précis, il ne m’appartient pas de donner une date tant que les forces vives de la nation, les candidats retenus par le Conseil constitutionnel, ceux recalés, les partis politiques, la société civile, les religieux, le secteur privé, les syndicats…, ne se réunissent pas.

Lorsque ces assises vont se tenir lundi prochain, on verra compte tenu du contexte et du risque de vacuité après le 2 avril. Que les gens mettent en avant la République, le pays, sa stabilité pour voir si on peut finir le processus d’ici le 2 avril. Je ne le pense pas. Mais ce n’est pas ce qui est essentiel.

Pour le faire, il faut se demander par quels moyens il faut passer, les raccourcis si on tient absolument à tenir l’élection avant le 2 avril. Il y a le Code électoral qui fixe des délais. C’est la loi. Tout cela nécessite un dialogue.

S’il y a un consensus. Il va prévaloir. On pourra alors passer outre les lois qui fixent les délais. Par contre, si le dialogue indique qu’on ne doit pas se précipiter au point de faire des erreurs et d’aboutir à une élection pouvant aussi présenter des tares, les participants feront des propositions pour la date de l’élection. En cas de consensus, le président fixe rapidement la date par décret.

Je dois faire la dichotomie entre l’élection présidentielle et la fin du mandat. Ce sont deux choses liées, mais différentes. Le 2 avril, le président de la République finit son mandat. C’est clair. Il n’y a pas de discussions là-dessus. Le scrutin peut se tenir avant ou après cette échéance. Tout dépendra du consensus issu du dialogue. À défaut de cela, l’arbitre constitutionnel décidera.

Vous avez évoqué tantôt l’article 36 de la Constitution qui dispose que le président de République doit rester en fonction jusqu’à l’arrivée de son successeur. Si l’élection se tient au-delà du 2 avril, allez-vous démissionner ou rester à l’écoute du Conseil constitutionnel ?

Il ne peut y avoir de démission dès lors que je viens jusqu’au terme de ma mission. À la fin de celle-ci, ce que dit la Constitution dans son article 36, alinéa 2, ne fait pas l’unanimité. Tout le monde n’a pas la même compréhension de cette disposition.

Je n’ai pas envie, pour tout ce que j’ai fait pour ce pays comme efforts pour le développement économique et social, comme sacrifices pour mettre notre pays là où il est aujourd’hui, d’être l’objet d’une polémique stérile par rapport à des ambitions qui ne sont pas les miennes.

Je considère avoir fini mon travail à la tête du pays. À la fin de mon mandat, il appartient à toutes ces composantes du dialogue, et au Conseil constitutionnel en dernier ressort, de voir comment ils vont gérer la suite du processus.

Ce qui est sûr, il n’y aura pas de vide. On ne peut pas laisser un pays sans président. C’est évident. Il faut donc attendre le dialogue. On ne peut pas fixer la date de l’élection sans connaître les arguments des uns et des autres. Il faut patienter. D’ici lundi ou mardi, on aura une idée précise de la date et de ce qui se fera après le 2 avril.

Vous avez abrogé le décret convoquant le corps électoral pour le 25 février. À l’origine de cette décision, des soupçons de corruption. Au même moment, vous avez renouvelé votre confiance au Premier ministre Amadou Ba, votre candidat, accusé d’être le corrupteur par le Parti Démocratique Sénégalais (PDS). Ce n’est pas contradictoire ?

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Yakham Mbaye (Le Soleil)

Il y a deux choses dans votre question. Vous dites accusation. Une accusation ne veut pas dire qu’il y a un coupable. Il y a la présomption d’innocence. Ensuite, le report n’est pas dû à ces accusations, mais à la proposition de loi de l’Assemblée nationale.

Celle-ci a informé le président de la République de l’enclenchement d’une procédure pour décaler la date de l’élection. D’ailleurs, si vous lisez bien les motifs dans la note de présentation du décret portant abrogation du décret portant convocation du corps électoral, on dit que ce décret s’est appuyé sur la saisine de l’Assemblée nationale.

Le processus était déjà enclenché. On devait s’arrêter puisqu’il y avait l’imminence du démarrage de la campagne électorale. La décision du Conseil constitutionnel est intervenue bien après. Nous serions en plein milieu de la campagne électorale. On allait dire aux gens de ne plus aller à l’élection. C’est pour éviter ce processus qui démarre sans avoir la certitude de nous mener au scrutin du 25 février que j’ai abrogé le décret convoquant les électeurs. La question de la confiance ou de la présomption d’innocence n’a rien à voir avec le décret qui a été pris. C’est un volet politique qu’il faut séparer de cette question institutionnelle.

Monsieur le président, en décidant d’arrêter le processus électoral, peut-on dire que vous avez évité le pire pour notre pays ?

Je suis convaincu que si nous avions continué en fermant les yeux sur ce qui était en train de se faire, nous pourrions le regretter. Dieu seul sait et l’Histoire pourra nous juger par rapport à ce qui s’est passé et aux actes qui ont été posés.

Je l’ai fait au détriment de ma réputation, de ma propre personne. J’insiste sur l’inclusion car si on ne veut pas d’un processus ouvert, transparent et inclusif, nous pourrons vivre des conséquences qui ne seront pas les meilleures pour notre pays.

Si le problème est le président de la République, il termine sa mission le 2 avril. Ce n’est plus un sujet. Prenons le temps quand même de regarder les problèmes et de décider d’une date qui va être la plus proche possible. On ne peut plus attendre très longtemps. Que le pays aille vers cette élection de façon apaisée, c’est mon souhait le plus ardent. La seule ambition qui me reste à réaliser à la tête du pays.

Lundi prochain s’ouvrira le dialogue. Combien de temps va-t-il prendre ?

Je pense qu’on peut finir en deux jours. On ne vient pas pour discuter de tout. On parlera de la date de l’élection, de l’après 2 avril pour voir comment on va faire. C’est tout. La date de l’élection dépendra des positions conciliées entre ceux qui veulent absolument une élection avant le 2 avril et ceux qui pensent qu’on doit aller au-delà. Dans tous les cas, avant le mois de juin. Ça c’est clair. On ne va pas parler d’autres choses. C’est bien campé.

Il n’est pas question de reprendre le processus électoral ?

Le dialogue se saisira de cette question. Il devra donner des indications. S’il n’y a pas de consensus, le Conseil constitutionnel pourra donner un avis. Le dialogue concerne tous les acteurs y compris ceux qui sont d’accord, ceux qui ne le sont pas. Il s’agit de trouver une solution qui permettra à notre pays d’aller aux urnes le plus rapidement possible et dans la paix. Et tous les acteurs sont donc concernés.

Monsieur le président, on parle beaucoup de « meilleurs délais » pour la tenue de l’élection. Quelle est selon vous l’échéance appropriée ?

C’est le meilleur délai. C’est ce qui peut être fait. L’urgence est là. Tout le monde le sait, le voit. Il faut tout faire pour qu’on ne soit pas dans une incertitude. En fait, c’est ça. Il faut qu’au sortir du dialogue, mardi prochain, qu’on ait une date.

Il ne m’appartient pas de dire que l’élection se tiendra le 3 mars ou je ne sais quelle autre date. Lundi, la concertation nationale sera saisie. Les candidats retenus seront les premières personnes que j’écouterai. Avant même le dialogue. Nous discuterons de tout cela. S’il y a un consensus, il sera appliqué quel qu’il soit. Si on n’y arrive pas, on fixera une date ou on se référera au Conseil constitutionnel.

Parmi les candidats retenus, certains sont soupçonnés d’avoir une double nationalité alors qu’il fait être exclusivement de nationalité sénégalaise. Que vous suggère cette polémique ?

C’est un sujet très sérieux et très important. La Constitution, dans son article 28, précise que pour être candidat à l’élection présidentielle, il faut être exclusivement de nationalité sénégalaise. Dès lors que la Charte fondamentale fixe ce dispositif, on doit pouvoir procéder à des contrôles. Il est vrai que ce n’est pas facile.

Il faut savoir que le monde est composé de plus de 193 pays ou États. Mais je pense qu’on doit pouvoir régler cette question. Ce serait catastrophique, d’ici l’élection, si on découvre encore qu’il y a des candidats binationaux.

Ceux qui sont dans ce cas, pour des raisons évidemment personnelles, peuvent retirer leurs candidatures et éviter au pays un traumatisme. Je pense quand même qu’un contrôle devrait être fait pour nous assurer que les dispositions de la Constitution, en ce qui concerne la nationalité exclusive, sont vraiment respectées par l’ensemble des candidats.

Est-ce que cela ne reviendrait pas à remettre en cause la décision du Conseil constitutionnel qui n’est susceptible d’aucune voie de recours ?

Le Conseil constitutionnel vient de rendre une nouvelle décision. Après la parution de la liste définitive, il est apparu qu’il y a un candidat binational. Les sept sages ont après reçu la démission de la personne concernée. Le Conseil constitutionnel a par la suite pris une nouvelle décision en actualisant la liste des candidats.

S’il y a des choses nouvelles, pouvant perturber ou entacher la sincérité du scrutin parce qu’une disposition majeure de la Constitution aura été violée, je pense que les sept sages seront dans leur devoir d’aviser et de prendre des décisions.