Réputée dans le monde pour son architecture soudanaise remarquable et sa trame urbaine, la ville malienne de Djenné est l’une des destinations privilégiées des touristes étrangers. Mais ça, c’était avant la crise multidimensionnelle dans laquelle le pays est embourbé. Depuis 2012 le tourisme international s’est net arrêté ici, laissant à leur propre sort des dizaines de guides touristiques. En attendant le retour des touristes étrangers, les autorités tentent de combler le vide par le développement du tourisme local. Reportage. Épisode 1
Ibrahim Cissé, marié et père de cinq enfants, dont l’aîné est âgé de 24 ans, est un guide professionnel établi à Djenné. Cela fait environ 35 ans qu’il évolue dans le secteur du tourisme. Il en a fait son activité principale, après avoir abandonné l’école. « Les touristes venaient et nous distribuaient des bonbons, quand on était enfant. C’est comme cela que nous avons abandonné l’école pour les suivre », se rappelle-t-il. « Au début, les Blancs, surtout les Allemands, quand ils venaient, ils partaient visiter la Grande mosquée de Djenné. Et nous, à l’époque tout petits, veillons sur leurs chaussures dehors. Une fois la visite terminée, ils nous donnaient 100 francs malien (monnaie créée le 1er juillet 1962 mais qui ne résistera pas longtemps, NDLR) et, souvent, 1000 francs malien », se remémore-t-il toujours.
Devenu guide expérimenté, Ibrahim indique avoir représenté 4 à 5 agences de voyage dans la ville. « Je ne connais pas un autre métier que celui de guide. Je vivais que du tourisme, il m’a permis de fonder une famille en me mariant. J’ai même commencé à construire des maisons avant que tout ne s’arrête », précise-t-il.
L’enceinte de la Grande mosquée de Djenné Crédit photo : Bilal Sagaïdou pour Tama Média
Pour joindre les deux bouts, dans l’état actuel du tourisme dans la localité, certains guides ont pu se reconvertir, tandis que d’autres espèrent toujours retrouver leurs situations d’antan. « Tout le monde bénéficiait du tourisme à Djenné. Maintenant on se casse la tête pour vivre. Certains de nos amis ont eu des aides. Et il y a ceux qui se sont reconvertis dans le maraîchage et le petit commerce. Ils se débrouillent ainsi, mais ce sont des activités peu rentables par rapport à ce qu’ils gagnaient en tant que guides », témoigne Ibrahim Cissé.
« Ils n’ont pas su exploiter le tourisme »
« Les guides fonctionnent avec le tourisme. Quand le tourisme n’est pas là, eux aussi sont à l’arrêt. Malheureusement, il n’y a plus d’activité les concernant. Ils sont bloqués par ce facteur », déplore également Moussa Moriba Diakité, chef de la mission culturelle de Djenné en charge de la promotion et la conservation du patrimoine matériel et immatériel de cette ville malienne, située à 130 km au sud-ouest de la capitale régionale Mopti.
« L’État a tenté plusieurs fois de trouver des formations ou des reconversions pour eux. Mais certains sont toujours cramponnés à faire le métier de guide touristique », poursuit-il. Les guides devraient s’adapter au contexte actuel, insiste-t-il, en se lançant dans d’autres activités génératrices de revenus : « Chaque temps a ses réalités. Il faut avoir la latitude de changer de fusil d’épaule. Quand ça ne va pas dans un secteur, il faut aller voir dans un autre. C’est pour cela que, à l’époque, on a organisé des formations pour eux pour leur permettre de changer d’activité, par exemple, pour devenir des éleveurs, vu que nous sommes dans une ville d’éleveurs. Mais il faut reconnaître que certains n’ont pas cette envie de reconversion. »
Pour le chef de la mission culturelle de Djenné, les guides auraient pu être plus malins et prévoyants, en investissant leurs économies. « Les revenus dans le secteur du guide touristique sont substantiels. Pour la petite histoire, à Djenné ici, les guides disaient à un certain moment : quand ils ont un million de francs CFA en poches (environ 1.531 euros), cela veut dire qu’ils n’ont même pas d’argent. Ce qui veut dire que leurs revenus étaient très importants et leur permettaient d’investir de l’argent dans d’autres domaines. Parmi les guides, il y en a certains qui ont amassé énormément d’argent. Il faut le reconnaître. Malheureusement, ils n’ont pas su exploiter le tourisme parce qu’ils pensaient que c’est quelque chose qui va durer dans le temps », soutient-il. « Mais c’était sans compter sur les aléas. Dès que les touristes étrangers ont cessé de venir (suite notamment à la crise entre le Mali et les Occidentaux, NDLR), le tourisme est tombé patatras et comme cela peut arriver dans tous les secteurs », ajoute-t-il.
« Tout ce qui est produit dans l’année était quasi automatiquement liquidé »
À quelques pas du grin du guide Ibrahim Cissé, se trouve une boutique spécialisée dans la broderie à la main. Ousmane Traoré en est le propriétaire. Malgré le poids de l’âge, ce maître-brodeur passionné exerce toujours son activité.
Il a été bercé dans ce métier, une pratique traditionnelle très en vogue à Djenné. « J’ai grandi dans ce métier. À l’époque, la broderie à la main est l’activité la plus prisée. Tout le monde la fait à Djenné. Si l’enfant est inscrit par exemple à l’école coranique, il alterne entre des cours coraniques et des cours de broderie. Si l’enfant va ce mercredi à l’école coranique, les parents l’amènent le mercredi suivant apprendre la broderie à la main. Donc, je pratique la broderie à la main depuis mes sept ans. Nous l’avons héritée de nos parents et nos enfants sont aussi initiés », raconte-t-il.
« Auparavant, les locaux en font la commande et continuent de le faire même aujourd’hui. Toute personne qui souhaite porter des beaux habits traditionnels choisit nécessairement les meilleurs brodeurs à la main de la place. Certains clients, nous viennent aussi d’ailleurs », précise-t-il.
« Les Blancs venaient et cela nous profitait. J’ai confectionné beaucoup d’habits brodés (chemises, robes, etc.) pour eux. Ils aiment beaucoup notre coton. À l’époque, je ne me faisais pas de souci pour la vente de mes articles. Tout ce qui est produit dans l’année était quasi automatiquement liquidé, quand ils arrivaient. Mais les choses ont changé depuis car ils ne viennent plus. Ce qui impacte nécessairement notre capacité de production et de vente », témoigne Ousmane Traoré.
Comme beaucoup d’artisans de Djenné, le septuagénaire s’était spécialisé lui aussi dans la confection d’habits et autres produits artisanaux prisés par les touristes occidentaux. Puisque ses clients étrangers ont cessé de venir dans la ville à l’histoire millénaire, il s’est en conséquence adapté à la situation, dit-il.
Désormais c’est aux locaux qu’il s’adresse. « Comme ils ont arrêté de venir maintenant, nous avons adapté nos produits aux demandes locales, en faisant des habits traditionnels prisés ici, tels que les boubous et consorts », précise-t-il.
C’est ce qui fait redire à Moussa Moriba Diakité, chef de la mission culturelle de Djenné, que « le tourisme était la première source de revenus pour les Djennékés (habitants de la ville), bénéficiant, presque, à toutes les familles. Mais aujourd’hui, force est de constater qu’il n’est pas en état de fonctionnement ».
En plus de la situation sécuritaire, indique-t-il, d’autres facteurs entrent en ligne de compte comme l’entretien et l’offre des produits touristiques. « Djenné est une ancienne ville. L’ancienneté de cette ville, avec des constructions en banco, était l’un des atouts qui attiraient les touristes ici. Djenné était pratiquement la seule ville au monde où toutes les maisons étaient en terre. En plus de cela, il faut signaler que la Grande mosquée de Djenné, qui est le plus grand bâti en terre au monde, éveille la curiosité des uns et des autres à venir visiter la localité. Mais aujourd’hui les sites touristiques à Djenné ne répondent plus aux normes de sécurité. Les sites sont en train de tomber en ruine, il faut avoir le courage de le dire. Les entretiens ne se font plus comme il le faut, à part la Grande mosquée (qui mobilise chaque année des centaines de milliers de personnes pour son crépissage). Il n’y a pas de nouveaux produits touristiques. Le secteur privé à Djenné ne fonctionne pas aussi. Ce sont des facteurs qui empêchent le tourisme de se développer », explique le chef de la mission culturelle de Djenné. La ville est inscrite sur la Liste du patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1988.
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