Apporte-t-elle vraiment quelque chose dans la stabilisation du Mali ? Doit-elle rester ou partir ? Et si elle reste, ce sera pour combien d’années encore ? Critiquée à l’intérieur du Mali tout comme à l’extérieur, l’avenir de la Minusma, la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali, déployée depuis 2013, est de plus en plus incertain.
Depuis le second coup de force, en mai 2021, il est évident que la posture de Bamako vis-à-vis des forces partenaires étrangères présentes au Mali a beaucoup changé. À la tribune des Nations-Unies, on se rappelle, le Premier ministre Choguel Maïga a dressé à tort ou à raison le bilan de leurs actions au Mali avec des termes peu diplomatiques, décrivant une déception, un bilan loin d’être glorieux. En clair : le manque de résultats suffisants sur le plan sécuritaire. Malgré les efforts déployés par la Minusma, en appui à l’État malien, c’est ce message qui continue d’être martelé par les autorités.
Pour tenter de rectifier en quelque sorte le tir, le commandant en chef et président de la transition, Assimi Goïta a mis en place en décembre 2021 un comité stratégique de suivi du mandat de la mission onusienne. Il est présidé par le Premier ministre Choguel Maïga et compte en son sein plusieurs ministres comme celui de Défense, Sadio Camara. Cela, pour dit-on, évaluer et surveiller les actions des forces étrangères. Au même moment, Bamako a imposé à ses partenaires des conditions de survol du territoire national, rendant notamment difficiles les différentes rotations et déplacements des contingents de la force onusienne. Conséquence : plusieurs pays contributeurs de la Minusma ont annoncé ces derniers mois leur envie de se retirer du pays plus tôt que prévu. Parmi lesquels figurent entre autres la Côte d’Ivoire, le Royaume-Uni, l’Italie, le Danemark, et certains pays ont déjà quitté, c’est le cas de la Suède, l’Egypte a elle suspendu sa participation.
Avec ces départs annoncés, ou déjà effectifs, quel avenir pour la Minusma ? Survivra-t-elle ? Et sur le fond, est-ce que c’est une mission qui a toujours lieu d’être ? Et doit-elle rester alors que les autorités de Bamako semblent ne plus vouloir d’elle ? La question est plus que jamais en débat.
L’ombre des instructeurs russes et l’affaire des 49 soldats ivoiriens
Sur un autre plan, Bamako a dénoncé sur fond de tensions les accords de défense le liant à la France. Une escalade diplomatique qui a abouti au retrait de la force française Barkhane et de la force Takuba, deux forces qui étaient jusque-là des soutiens clés de la mission onusienne. Tout ceci est intervenu dans un contexte où l’ombre des « instructeurs russes » planait sur Bamako. « Instructeurs russes », c’est le terme qu’utilise le pouvoir de Bamako. Moscou et les Occidentaux, y compris les organisations des droits de l’Homme comme Human Rights Watch, soutiennent qu’il s’agit bel et bien de mercenaires russes, opérant pour le compte de la société paramilitaire Wagner déjà présente dans plusieurs pays africains et notamment la Centrafrique. Ce qui est toujours rejeté par Bamako, le dossier est aujourd’hui le principal point de tension entre le pouvoir malien et la communauté internationale, voire sous-régionale comme la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao).
Outre le brûlant dossier Wagner, l’affaire des 49 soldats ivoiriens arrêtés au Mali est venue se mettre dans la danse. Pour Bamako, ce sont des mercenaires qui avaient pour mission de déstabiliser le pouvoir malien. Abidjan de son côté jure que ce sont des soldats de l’armée régulière qui devaient apporter un appui au contingent ivoirien de la Minusma. Après plusieurs mois de négociation, les deux pays ont signé jeudi 22 décembre à Bamako un mémorandum sous l’égide de la médiation togolaise qui devrait permettre la libération prochaine des soldats.
Renouvellement du mandat de la Minusma avec réserve
Malgré ce contexte de crise diplomatique, le 29 juin dernier, le Conseil de Sécurité de l’ONU a renouvelé le mandat de la Minusma pour une année (jusqu’au 30 juin 2023). Ses missions prioritaires — appui à la mise en œuvre de l’Accord de paix et au processus de transition et appui à la mise en œuvre d’une stratégie malienne globale de stabilisation de la partie centre du pays — sont restées les mêmes avec quelques réajustements.
De son côté, le gouvernement malien de transition a indiqué avoir pris acte de la nouvelle résolution. Mais avec réserve. Il se dit être au regret de constater que certaines de ses recommandations n’ont pas été prises en compte. Par la voix du Représentant permanent malien à l’ONU, l’Ambassadeur Issa Konfourou, les autorités maliennes avaient indiqué réitérer leur « opposition ferme à la liberté de mouvement de la Minusma dans l’exécution de son nouveau mandat dans le domaine des droits de l’Homme ». De même, ajoute le représentant de Bamako à l’ONU, « le Mali n’est pas à mesure d’assurer la liberté de mouvement pour des enquêtes [de la mission] sans l’accord préalable du gouvernement ».
Ce sont là entre autres les points de discorde entre la mission onusienne et Bamako.
La Minusma, faire profil bas pour rester en bons termes avec le pouvoir malien ?
Sous pression des autorités maliennes, la Minusma semble aujourd’hui dos au mur et doit composer avec les bonnes et mauvaises humeurs des nouveaux chefs du palais de Koulouba. Faisant preuve de grande diplomatie, les dirigeants de la mission onusienne se gardent de toute critique ouverte contre les autorités de Bamako, au contraire le mot d’ordre depuis quelques mois c’est : faire profil bas. Pour éviter de froisser les autorités de transition, la Minusma n’est pas seule à adopter cette posture. La mission de l’Union européenne au Mali semble l’avoir également adoptée.
3 scénarios sur l’avenir de la Minusma
Le rapport de la revue interne de la Minusma devrait être publié au mois de janvier. Ce qui permettra à coup sûr de connaître les changements qu’il y aurait ou non. Mais d’ores et déjà, Crisis Group dresse — dans La Minusma à la croisée des chemins — les trois possibles scénarios qui pourraient être envisagés par le Conseil de Sécurité de l’ONU concernant l’avenir de la Minusma.
1 – “Maintenir le statu quo sans modification ou se contentant d’apporter des changements mineurs au mandat de la Minusma”.
2- “Transférer progressivement la mission à une force non onusienne”.
3-“Ou encore dissocier la force militaire à venir […] d’une mission politique plus petite et plus axée sur l’utilisation de bons offices”.
Autre hypothèse possible est que les pays ayant annoncé leur désir de retirer leur troupes de la Minusma plus tôt que prévu reviennent sur leurs décisions. Mais pour ce faire, il faudrait que Bamako revoie aussi sa copie. Parmi les dossiers qui pourraient contribuer à rassurer davantage ses partenaires : la résolution effective du dossier des 46 soldats ivoiriens encore en détention au Mali, la garantie de tenir les échéances électorales en 2023. Mais dans tous les cas, pour l’instant, tout porte à croire qu’un départ immédiat de la Minusma n’est pas à l’ordre du jour, bien que la possibilité d’un retrait demeure sur la table du Conseil de Sécurité des Nations unies. Reste à savoir quand il se décidera ou Bamako décidera ?