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Gabon : où en est la transition trois mois après la chute d’Ali Bongo ?

13 novembre 2023
8 min


Le général de brigade Brice Clotaire Oligui Nguema, instigateur du coup d’État du 30 août 2023, préside aux destinées du pays depuis le 4 septembre suivant. Dans son discours d’investiture, l’ex-commandant de la Garde républicaine s’est engagé à remettre le Gabon sur les rails durant une transition à l’issue de laquelle le pays sera doté d’ « institutions fortes, démocratiques et crédibles ». En attendant cette échéance, quels sont les actes posés par le tombeur d’Ali Bongo Ondimba ? Éléments de réponse.

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Aux aurores du 30 août dernier, le Gabon a tourné une page chargée de son histoire. Le clan Bongo – le père Omar (1967-2009) puis le fils Ali (2009-2023) – est tombé de son piédestal après avoir régné 55 ans sans partage sur le pays.

Une aube nouvelle s’est donc levée sur un putsch que d’aucuns pensaient être au début une simple révolution de palais. Car c’est le général de brigade Brice Clotaire Oligui Nguema, patron de la Garde républicaine en charge de la sécurité du Palais du bord de mer, et non moins parent éloigné d’Ali Bongo, qui a renversé sans effusion de sang le président chancelant depuis un Accident Vasculaire Cérébral (AVC), survenu le 24 octobre 2018, à Riyad, en Arabie saoudite.

Dans un contexte de manifeste chute libre de la cote de popularité du chef de l’État sortant, sa désignation comme vainqueur du scrutin du samedi 26 août 2023, par le Centre Gabonais des Élections (CGE), avec 64,27 % des suffrages valablement exprimés contre 30,77 % des voix pour Albert Ondo Ossa, son principal challenger, a été perçue comme un énième hold-up électoral. Ainsi, de l’aveu du général Nguema, « les Forces de Défense et de Sécurité ont pris leurs responsabilités ».

Acte de libération

Le coup de force, dans les rues de Libreville, Franceville ou encore Port-Gentil, a été accueilli par une liesse de citoyens persuadés que leur pays était depuis trop longtemps tenu en otage. C’était la manifestation des « sentiments de joie, de liberté et de fierté nationale d’un peuple qui, pendant plusieurs décennies, a vécu l’oppression et la dictature », a souligné Guy Pierre Biteghe, Directeur de publication du journal Le Mbandja, contacté par Tama Média.

Dans le costume de sauveur, tel un messie, le général Brice Clotaire Oligui Nguema, 48 ans, s’est présenté lors de ses premières apparitions publiques comme l’homme du peuple venu redresser un pays englué dans une dérive autocratique.

Intronisé le 4 septembre, au cours d’une cérémonie empreinte de solennité, le nouvel homme fort du Gabon a promis de « remettre le pouvoir aux civils en organisant de nouvelles élections libres, transparentes et crédibles dans la paix » au terme de la période transitoire. Mais avant cela, il imprime sa marque à ce pays pétrolier de l’Afrique centrale, habité par seulement 2,3 millions d’âmes.

Nettoyage au sommet de l’État

À la tête du Comité pour la Transition et la Restauration des Institutions (CTRI), mis en place par les putschistes, le général de brigade Brice Clotaire Oligui Nguema a jugé bon de laisser libre le président déchu et de lui permettre même, s’il le souhaite, de se rendre à l’étranger pour y effectuer des contrôles médicaux.

Mais sa femme Sylvia a été incarcérée, dans la nuit du mercredi 11 au jeudi 12 octobre, à la prison centrale de Libreville. L’ancienne première dame avait été inculpée et placée sous mandat de dépôt pour « blanchiment de capitaux, faux et usage de faux ». Son fils Noureddin Valentin, en prison depuis le premier jour du coup d’État, est poursuivi avec plusieurs autres ex-membres du cabinet présidentiel pour « corruption active » et « détournements de fonds publics ». Tout cela entre-t-il dans le cadre d’une chasse aux sorcières ou d’une réelle volonté de reddition des comptes ?

« Sylvia, Noureddin et ses amis ont tenu le pays d’une main de fer durant ces dernières années. Ils avaient pris la lourde décision de truquer les élections générales (Présidentielle, Législatives et Locales) afin de confisquer le pouvoir au prix du sang des Gabonais. On parlerait de chasse aux sorcières si tous les cadres et acteurs de l’ancien régime avaient été inquiétés, mais ce n’est pas le cas. Les Gabonais, dans leur grande majorité, souhaitent qu’ils rendent compte de leur gestion », a affirmé M. Biteghe.

À l’en croire, les personnes arrêtées ont allégrement profité des « soucis de santé » d’Ali Bongo pour commettre « des malversations » et favorisé « la mauvaise préparation » des scrutins. « Sylvia et ces jeunes ont assuré une sorte de régence jusqu’à piller les caisses de l’État. Toutefois, la première dame n’avait aucun rôle institutionnel. C’est pourquoi le cas Ali Bongo pose problème. Tout ce que Sylvia a pu faire comme fautes de gestion, c’était sous le couvert de son époux de président. Dès lors, on ne doit pas demander des comptes à l’un et épargner l’autre », a regretté le Directeur de publication du quotidien Le Mbandja.

Outre la mise en branle de la justice, Marie-Madeleine Mborantsuo, présidente de la Cour constitutionnelle de sa création en 1991 à 2023, a été démise de ses fonctions. La magistrate a été la maîtresse d’Omar Bongo avec qui elle a eu deux enfants. Des nominations sont aussi intervenues dans l’administration centrale. « Il y en a qui les trouve injustifiées et critiquables dans le sens où certains ténors de l’ancien régime ou leur fils reviennent à des postes de responsabilité, y compris au gouvernement et au parlement. Le président de l’Assemblée nationale de transition, par exemple, est un notable de l’ex-régime », a rapporté notre interlocuteur.

Calendrier électoral provisoire

Le général Brice Clotaire Oligui Nguema a confié la mise en œuvre de sa feuille de route à Raymond Ndong Sima, nommé Premier ministre le 7 septembre, soit trois jours après sa prestation de serment. « Il y a des erreurs de casting par-ci, par-là, mais une fois que son pouvoir se sera solidifié, le président de transition trouvera les équilibres nécessaires », est convaincu Guy Pierre Biteghe.

Avant d’organiser des « élections locales et nationales libres, démocratiques et transparentes », la junte entend procéder à la refondation de l’État, à la mise en place de réformes, à l’adoption d’une nouvelle Constitution par référendum ainsi qu’un Code électoral et un Code pénal fiables, garantissant à tous les mêmes chances. « Cela correspond aux attentes des Gabonais dans leur ensemble. Reste à s’accorder maintenant sur la durée de la transition », a fait remarquer notre source.

La période transitoire n’est pas définitivement fixée. À titre provisoire, les grandes lignes du calendrier électoral ont été dévoilées à travers une annonce faite, ce 13 novembre sur la télévision publique gabonaise, par le colonel Ulrich Manfoumbi Manfoumbi, porte-parole de la junte.

Dans le détail, les contributions de la population seront recueillies jusqu’au 30 novembre. En janvier 2024, un rapport sera remis aux autorités pour adoption. Après quoi, un nouveau dialogue national inclusif, sous l’égide de l’archevêque de Libreville, débutera en avril 2024. L’Assemblée nationale de transition, installée en septembre dernier, sera transformée en Chambre constituante.

L’objectif est de présenter aux Gabonais, un an avant l’élection présidentielle, une première version de la nouvelle loi fondamentale. Celle-ci sera soumise à référendum en octobre 2024. Les listes électorales seront révisées et les cartes d’électeurs distribuées pour la tenue du scrutin en août 2025. « Le CTRI réaffirme son engagement à garantir un processus transparent, efficace et inclusif », a assuré le colonel Ulrich Manfoumbi Manfoumbi.

« Deux ans pour une transition me paraissent raisonnables. Les militaires n’ayant pas vocation à s’éterniser au pouvoir », a réagi M. Biteghe. Pour lui, « il est prématuré de faire en ce moment un bilan de la transition. Cela dit, les Gabonais apprécient, à leur juste valeur, les premiers actes posés par le président de transition. L’espoir est permis ».