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Niger : pourquoi le Premier ministre Ali Mahamane Lamine Azeine nommé par les putschistes s’est rendu au Tchad voisin ?

24 août 2023
7 min

Depuis sa nomination, le 7 août dernier, le chef du tout nouveau gouvernement nigérien est sur le pont. Jusque-là en poste au Tchad où il représentait la Banque africaine de développement (Bad), le Premier ministre Ali Mahamane Lamine Azeine est retourné le 15 août à N’Djaména pour sa première visite officielle. Qu’est-ce qu’il est allé chercher dans ce pays voisin, également dirigé par des militaires ? Éléments de réponse.

PM Niger
Ali Mahamane Lamine Azeine au Tchad : quels étaient les contours de la visite du Premier ministre du Niger ?

L’heure est aux alliances pour le Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP), groupe de militaires qui tient captif le président Mohamed Bazoum depuis le 26 juillet dernier. Les chefs d’état-major des armées de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao), récemment fixés sur les modalités d’une potentielle intervention militaire pour libérer le président Bazoum, attendent désormais le feu vert des présidents de l’espace communautaire.

Dans ce contexte, le Tchad déploie sa diplomatie de bon voisinage. Assuré du soutien du Burkina Faso du capitaine Ibrahim Traoré, du Mali du colonel Assimi Goïta et de la Guinée du colonel Mamadi Doumbouya, le général Abdourahmane Tchiani, nouvel homme fort autoproclamé du Niger, a envoyé son Premier ministre, âgé de 58 ans, pour prendre la température au Tchad.

« Nous sommes porteurs d’un message du chef de l’État nigérien qui exprime sa fraternité, sa solidarité au peuple tchadien. Nous sommes dans un processus de transition. Nous avons expliqué les tenants et aboutissants. Nous réitérons notre disponibilité à rester ouverts au dialogue et à échanger avec toutes les parties. Mais nous insistons sur la nécessaire indépendance de notre pays », a déclaré Ali Mahamane Lamine Azeine à N’Djaména, au sortir de son audience avec Mahamat Idriss Déby Itno.

Le président tchadien de transition, dès les premiers jours ayant suivi le coup d’État, s’était rendu au Niger pour y mener une mission de bons offices. Depuis l’échec de cette initiative, Mahamat Idriss Déby Itno n’est pas, en tout cas publiquement, le plus actif dans les efforts de résolution de la crise sociopolitique.

Position du Tchad

Contre, pour ou neutre, par rapport au putsch, N’Djaména préfère agir pour le moment en sourdine. Pourtant, certains spécialistes pensaient que son armée, aguerrie au combat, allait être mise à contribution par la Cédéao dans l’éventualité de l’intervention militaire brandie comme ultime recours pour rétablir Mohamed Bazoum dans ses fonctions de président de la République.

Ali Mahamane Lamine Azeine, civil choisi par la junte nigérienne pour occuper le poste de Premier ministre, est issu de l’ethnie touboue. Présent dans l’Est nigérien et le Sud libyen, ce peuple pasteur et nomade se trouve en majorité dans le Nord du Tchad.

« Il y a un calcul géopolitique et géostratégique qui peut influer sur les choix stratégiques des autorités tchadiennes. Elles se sont précipitées à accueillir le Premier ministre du Niger pour son tout premier voyage », analyse pour Tama Média Azoudoum Aweina Gédéon, journaliste politique tchadien.

Enjeux sécuritaires

Alors que les putschistes nigériens subissent une terrible pression de la Cédéao et d’une grande partie de la communauté internationale, M. Gédéon considère que le Tchad a décidé de suivre sa propre voie : « Accueillir le chef du gouvernement des putschistes, très contestés par la France, la Cédéao et l’Union Africaine (UA), peut être perçu comme une émancipation du Tchad vis-à-vis de la France. En plus, N’Djamena refuse de servir de base arrière à la force en attente de la Cédéao ».

Pour cet analyste politique, l’attitude des gouvernants tchadiens peut s’expliquer aussi par des raisons sécuritaires. « Ils ont compris qu’ils gagneraient à charmer les putschistes vu que ces derniers sont partis pour s’installer au pouvoir. Mais ce changement de position doit être scruté avec beaucoup de prudence », ajoute-t-il.

Le Tchad et le Niger, tous deux exposés au grand banditisme, partagent une frontière longue de 1175 kilomètres. Si le chaos s’installe à Niamey, N’Djaména sera sans nul doute affecté. « Il ne reste qu’un seul pays par lequel la France peut déstabiliser le Niger. C’est le Tchad », renseigne Azoudoum Aweina Gédéon. Dès lors, on comprend aisément pourquoi Ali Mahamane Lamine Azeine, ministre des Finances sous la présidence de Mamadou Tandja (1999-2010), a réservé sa première visite au pays de Mahamat Idriss Déby Itno.

Réaction de la Cédéao

Après sa prise du pouvoir par la force, le Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie a envoyé ses émissaires, des hauts gradés de l’armée, au Mali, au Burkina Faso et en Guinée. Leurs délégations ont été reçues par les militaires aux commandes dans ces pays.

Pour rendre la pareille, Bamako et Ouagadougou ont également missionné des officiels à Niamey. Autant dire que, face à la volonté de la Cédéao de restaurer à tout prix l’ordre constitutionnel au Niger, la solidarité de corps est plus que jamais une réalité sur cet axe où les hommes en treillis ont le vent en poupe.

Le général Abdourahamane Tchiani, lui, déroule son plan pour mettre sous l’éteignoir les tentatives pour stopper le régime militaire qu’il semble décidé à installer. L’ex-patron de la Garde présidentielle à la tête du CNSP, dans une déclaration lue samedi 19 août à la télévision nationale, a entre autres annoncé la mise en place d’un dialogue national inclusif.

Ce cadre de concertation des forces vives de la nation, à l’en croire, sera chargé de déterminer la durée de la transition ne devant pas dépasser trois ans et de formuler des « propositions concrètes » pour poser « les fondements d’une nouvelle vie constitutionnelle » dans un délai de 30 jours. La Cédéao laissera-t-elle faire ? Pour l’heure l’organisation sous-régionale se dit tout aussi déterminée à obtenir le rétablissement de l’ordre constitutionnel par tous les moyens.

Dans une interview accordée à Al Jazeera, la chaîne qatarie d’informations en continu, Dr Abdel-Fatau Musah, Commissaire aux affaires politiques, paix et sécurité de l’organisation régionale, a indiqué qu’ « une période de transition de trois ans est une plaisanterie. Et la Cédéao ne l’acceptera jamais ».

Poursuivant, le diplomate ghanéen a assuré que la période d’instabilité au Niger « ne devra même pas durer un an » car, au cas où les putschistes ne reviennent pas à la raison, « le jour, les objectifs stratégiques, l’équipement nécessaire et l’engagement des États membres », pour une éventuelle intervention militaire, sont déjà fixés. La Cédéao le sait, sa crédibilité se joue dans le bourbier nigérien.

Par Christian Allahadjim

Correspondant à N'Djamena au Tchad