Pendant la campagne pour l’élection présidentielle au Tchad prévue ce lundi 6 mai 2024, la bataille de la communication entre candidats pour convaincre les électeurs notamment indécis aura été féroce. Dans cette bataille politique, le général Mahamat Idriss Itno, président de transition et candidat investi de la coalition « Tchad-Uni », et Dr. Succès Masra du parti Les Transformateurs, représentant le mouvement « Justice-Égalité », se sont distingués par leurs approches de communication diamétralement opposées. Explications.
La campagne électorale pour la Présidentielle du 6 mai au Tchad est officiellement bouclée samedi 4 mai. Trois semaines durant, les dix candidats en lice ont sillonné le pays pour présenter leurs programmes politiques à environ 8 millions d’électeurs. Meeting, pancarte, affiche géante, réseaux sociaux…, toutes les stratégies de communication sont utilisées par les candidats pour atteindre un large public. Parmi les prétendants retenus pour cette grand-messe électorale, deux se démarquent du lot par leurs approches de communication.
Mahamat Idriss Itno, fils du défunt président et candidat de la coalition pour un « Tchad-Uni », bénéficie d’un accès privilégié aux médias traditionnels grâce aux centaines de bureaux de soutien établis à travers tout le pays. Malgré cette visibilité, sa campagne pâtit d’un manque criant de proximité avec l’électorat. Constamment entouré des forces de sécurité, il peine à établir un lien direct avec ses concitoyens, ce qui ternit son image publique et suscite des interrogations quant à sa capacité à répondre aux attentes locales.
Une communication traditionnelle VS une communication moderne ?
Depuis la mort en février 2024 du président du Parti Socialiste sans Frontière (PSF), Yaya Dillo, lors d’un assaut de l’armée, le dispositif sécuritaire du chef de l’État est davantage renforcée. Une vingtaine de gardes rapprochés et des blindés sont régulièrement déployés à chacune de ses sorties. De plus, bien que soutenu par des agences internationales en communication, sa coalition n’arrive pas à s’adapter rapidement aux dynamiques locales, risquant ainsi de paraître déconnectée des réalités du terrain.
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En revanche, Succès Masra, Premier ministre et candidat investi de la coalition « Justice-Égalité », a opté pour une approche plus dynamique et inclusive, selon les observateurs. En exploitant les plateformes numériques, ce docteur en sciences économiques parvient à toucher un public plus large et plus jeune, privilégiant également la proximité avec les populations locales. Sa campagne a été marquée par des rencontres « citoyennes » et des visites de terrain, offrant ainsi une expérience authentique et engageante pour les électeurs. En choisissant de ne pas recourir aux services des spécialistes étrangers en communication politique, l’ancien opposant radical maintient une campagne ancrée dans les réalités locales. Ce qui renforce sa crédibilité et son attrait auprès de l’électorat. La bataille pour la magistrature suprême se joue aussi sur le terrain de la communication. Alors que Mahamat Idriss Itno mise sur sa visibilité médiatique et son héritage politique, Succès Masra compte sur son approche novatrice et sa proximité avec les citoyens.
Qui des deux challengers a adopté « une meilleure stratégie » ?
Pour Chérif Adoudou Artine, consultant en communication, Succès Masra est celui qui a adopté « une meilleure stratégie de communication » face à son challenger Mahamat Idriss Déby Itno. Notant les deux candidats sur 100, il a attribué 63 points au candidat de la coalition « Justice-Egalité » contre 35 à celui de la coalition pour un « Tchad-Uni ». Pour cette notation, il s’est basé sur cinq critères : le programme politique, la lisibilité de la campagne, la clarté des messages, le respect des chartes et la déclinaison de la campagne.
Selon lui, la stratégie du président-candidat « semblait être laborieuse et difficile à lire ». Du côté du Premier ministre, poursuit-il, « il y avait un tempo et des thèmes de discours qui semblaient être préparés et adaptés en fonction des villes. » À en croire ce spécialiste en communication et en écriture journalistique, diplômé de l’European Communication School basée à Bruxelles, en Belgique, autant la campagne de Déby fils a commencé sur un ton offensif et avec des lignes directrices claires (avec la parution d’une biographie et le lancement d’un site personnel), autant elle est retombée (bien avant l’entame de la campagne) dans les travers qu’a toujours connu dans ces périodes pré-électorales le Mouvement patriotique du salut (MPS) fondé par Idriss Déby Itno, à savoir ce manque de lisibilité entre le message de l’état-major officiel du candidat et ceux très singuliers des bureaux de soutien.
C’est pour cette raison d’ailleurs que même s’il y avait une stratégie (des messages, des idées directrices, des narratifs, des chartes, éditoriales et graphiques, et des planifications), explique-t-il, elle serait passée inaperçue tant ces sections indépendantes soutenant le candidat font plus de bruit que les instances de la coalition en elle-même. « J’ai constaté que les porte-paroles officieux de la coalition Justice-Egalité se sont plus exprimés que leurs adversaires politiques. Ces derniers étaient plus dans une sorte d’entre soi, donnant une impression de n’avoir personne à convaincre. Cette manière de se recroqueviller sur soi-même peut être perçue comme un manque de volonté de communiquer », analyse M. Artine.
La campagne électorale a pris fin ce samedi. Il reste aux électeurs tchadiens de juger les programmes des candidats et leurs stratégies de communication, dans les urnes le 6 mai 2024 pour élire leur prochain président de la République. Qui sera choisi au Palais Toumai ? Réponse attendue le 21 mai.