La disparition de l’émérite universitaire, survenue le 9 juillet 2024 à Paris (France) des suites d’une longue maladie, a laissé un vide immense dans le monde des sciences sociales. Les contributions du Professeur Momar Coumba Diop, figure incontournable du savoir africain, ont marqué la sociologie, les études religieuses, les sciences humaines et sociales.
Par Jean-Charles Kaboré
À travers les hommages de ses pairs, se dessine le portrait d’un penseur dont l’héritage intellectuel et humain continue de résonner. De ses analyses révolutionnaires sur l’État sénégalais à ses travaux pionniers sur les religions, l’impact du défunt transcende les frontières académiques.
La perte du Professeur Momar Coumba Diop a provoqué un émoi considérable dans le monde académique. « Nous venons de perdre un véritable frère. Au moment, où nous aurions commenté les résultats des élections législatives françaises, tel un couperet, la nouvelle tomba : Momar-Coumba Diop, le grand sociologue, est décédé ! Dès que l’appel de son frère Yabsa s’afficha sur l’écran de mon portable — il était 18 h45 —, nous comprîmes que le pire était arrivé, […] mais nous refusions obstinément la réalité : Momar ne pouvait pas mourir comme ça ; nous en avions perdu notre énergie. Il est parti un peu trop tôt, car il avait encore des chantiers à achever. Par exemple celui de la réédition de cet ouvrage collectif si important : +Le Sénégal et ses voisins, ou encore celui de +L’histoire de l’université de Dakar+ », raconte l’historienne Penda Mbow.
L’Afrique et la communauté internationale, avec la mort de Momar Coumba Diop, portent le deuil d’un Sénégalais dont le travail a non seulement réformé la pensée sociale, mais a aussi enrichi la compréhension des dynamiques politiques, culturelles et religieuses.
À travers les témoignages poignants et les analyses perspicaces de ses contemporains, on entrevoit l’image d’un chercheur dont la pensée novatrice et la rigueur méthodologique ont marqué un tournant dans les sciences humaines et sociales sur le continent. En intégrant des perspectives interdisciplinaires, le Professeur Momar Coumba Diop a réussi à ouvrir de nouveaux horizons dans la compréhension des phénomènes sociaux complexes.
Un voyage interdisciplinaire au cœur des sciences sociales
Le parcours académique de l’ancien enseignant à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines (FLSH) de l’Université Cheikh Anta Diop (Ucad) de Dakar de 1981 à 1987 est un modèle de diversité et de profondeur. Sa capacité à transcender les frontières disciplinaires pour aborder les questions sociales et politiques avec une perspective intégrative est ce qui le distingue.
« Professeur Momar Coumba Diop a offert une lecture novatrice de la formation de l’État sénégalais, en analysant les transitions politiques et sociales avec une acuité rare. À travers ses œuvres essentielles comme +Sénégal : Trajectoires d’un État (1960-1990)+, il a exploré les dynamiques internes du Sénégal tout en contribuant aux débats globaux sur la gouvernance, la démocratie et le développement en Afrique », écrit Godwin R. Murunga, Secrétaire exécutif du Conseil pour le développement de la recherche en sciences sociales en Afrique (Codesria).
M. Murunga, en outre, a précisé que l’impact de ce chercheur prolixe réside dans sa capacité à intégrer des perspectives variées pour offrir une vision holistique des phénomènes sociaux et politiques. « Ses études sur les migrations et l’identité ont mis en lumière les défis contemporains du Sénégal, tout en enrichissant les débats panafricains », a-t-il expliqué.
« Un défricheur de sources et de ressources documentaires »
Pour le Professeur Mamadou Diouf de l’Université Columbia de New York, aux États-Unis, le travail de Momar Coumba Diop est comparable à une exploration minutieuse et systématique des sources et références. D’ailleurs, il le décrit comme un « défricheur de sources et de ressources documentaires » dont l’engagement envers l’archivage et la systématisation des connaissances a été crucial.
L’historien sénégalais, directeur et enseignant chercheur à l’Institut d’études africaines de l’Université de Columbia, a notamment souligné l’importance du travail de Momar Coumba dans le développement des études sociales au Sénégal, en mettant en avant son rôle clé dans la préservation et l’organisation des archives historiques et politiques. À l’en croire, la méthode rigoureuse de recherche et le souci du détail du sociologue ont permis de construire une base solide pour les recherches académiques.
Il se souvient particulièrement des contributions du Professeur Diop à la publication des autobiographies politiques sénégalaises, jouant ainsi un rôle précurseur en facilitant l’accès à des documents historiques précieux et en mettant en place des méthodologies pour leur analyse critique.
Une vie consacrée à la transmission et à l’innovation
« Un homme de savoir, féru de culture, mais d’une humilité et générosité extrême ». C’est par ces mots que la Professeure Penda Mbow, historienne à l’Université Cheikh Anta Diop, a résumé la vie et l’œuvre du disparu. Dans son hommage, elle a surtout mis en avant la dimension aristocratique de la pensée de son mentor dont l’humilité et la générosité ont marqué ses interactions avec ses collègues et étudiants.
L’historienne se souvient particulièrement de l’attention méticuleuse de Professeur Diop aux détails et de son dévouement à transmettre un savoir de qualité qui se manifestait par son soutien constant aux jeunes chercheurs et à l’innovation académique.
« Momar Coumba Diop ne se contentait pas d’être un chercheur éminent ; il était également un mentor inspirant, engagé dans la formation des futures générations d’intellectuels. Il a soutenu des initiatives académiques comme les Gender Institutes et les études sur le genre, contribuant ainsi à la formulation de nouvelles approches critiques dans les sciences sociales. Son influence dans ces domaines a permis de faire avancer les discussions sur les questions de genre, de pouvoir et de société, introduisant des perspectives nouvelles et critiques dans la recherche sociale », a affirmé Penda Mbow.
Très marquée par la triste nouvelle, elle a soutenu que « Momar va nous manquer » et espéré que l’État du Sénégal lui décernera, à titre posthume, l’Ordre national du Lion. « Une décoration méritée et qu’il a tant attendue », a-t-elle fait savoir.
Un des précurseurs de la réflexion sur la Sociologie des religions
En fin observateur de la société sénégalaise, Momar Coumba Diop ne pouvait guerre faire abstraction des différentes confréries soufies qui dominent la vie religieuse du pays de la téranga (hospitalité, en langue wolof). Alors que les travaux qui en parlent étaient rarissimes, il s’y est lancé en consacrant sa thèse à l’influente communauté des Mourides dont le fondateur n’est autre que Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké.
Dans sa thèse de doctorat de 3e cycle, intitulée « La confrérie mouride : organisation politique et mode d’implantation urbaine », il a jeté un éclairage nouveau sur « l’organisation politique et le mode d’implantation urbaine » de cette confrérie, en utilisant des données sociologiques pour analyser les dynamiques religieuses et politiques au Sénégal, souligne Lat Soucabé Mbow, Professeur agrégé de Géographie à l`Université Cheikh Anta Diop de Dakar.
Dans son texte d’adieu publié sur Facebook, M. Mbow a expliqué comment le sociologue a su contextualiser les pratiques religieuses au sein des structures sociales et politiques, offrant une perspective innovante sur le rôle des confréries religieuses dans le tissu socio-politique sénégalais.
Le « Diderot sénégalais »
Dans un entretien accordé au quotidien national sénégalais Le Soleil, en date du 8 août 2024, Jean Copans, professeur émérite de Sociologie à l’Université Paris Descartes, n’a pas tari d’éloges à l’endroit de son désormais ex-codisciplinaire. Pour lui, « Momar Coumba Diop a été une source inépuisable de conseils pour des doctorants et de jeunes chercheurs ».
M. Copans, d’ailleurs, a rappelé à juste titre qu’il a été qualifié de « Diderot sénégalais » pour avoir su bâtir, à sa façon, une véritable encyclopédie collective. « L’image est judicieuse, mais il faut préciser que les mécènes des Lumières ne courent plus les rues au XXIe siècle. Si Momar a brillamment réussi son projet en surmontant les faiblesses académiques africaines, sénégalaises et françaises, c’est grâce à une rigueur professionnelle et à une honnêteté scientifique fondées sur une obstination savante et militante personnelle, tout à fait unique et impossible à dupliquer, me semble-t-il, aujourd’hui », a-t-il relevé.
Pour le sociologue, il faut se poser une question après le décès de Momar Coumba Diop : comment faire pour que son pays reste au firmament des sciences sociales africaines ? Car, a-t-il dit, telle la mer Rouge qui se referme après le passage de Moïse, les eaux troubles du présent risquent d’effacer les traces fragiles de ce meneur d’esprits pragmatique au refus de toute volonté de puissance.
« Cela faisait des années qu’il me répétait qu’il était enfin en train de se mettre à la récollection de ses propres travaux et de ses idées. À nous tous d’essayer de lui offrir ce cadeau, sa famille étendue éternellement reconnaissante », a conclu Jean Copans.