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Ramener la paix au Soudan, le défi que le diplomate algérien Lamamra Ramtane doit relever

23 décembre 2023
7 min

L’annonce de la nomination de l’ancien ministre algérien des Affaires étrangères est intervenue le 21 novembre 2023. Ramtane Lamamra est chargé par António Guterres d’œuvrer pour la fin de la guerre au Soudan. Un pays de la Corne de l’Afrique déchiré par la lutte pour le pouvoir opposant, depuis le 15 avril dernier, l’armée régulière du général Abdel Fattah al-Burhan aux Forces de Soutien Rapide du général Mohamed Hamdan Daglo dit « Hemetti ». Amener les belligérants à déposer les armes, c’est la tâche principale de l’Envoyé spécial du Secrétaire Général de l’Organisation des nations unies (Onu) pour le Soudan.

Ramener la paix au Soudan, le défi que le diplomate algérien Lamamra Ramtane doit relever

À 72 ans, Ramtane Lamamra hérite d’une mission bien complexe : œuvrer au retour de la paix au Soudan où les militaires du général Abdel Fattah al-Burhan et les paramilitaires du général Mohamed Hamdan Daglo dit « Hemetti » s’entretuent pour le contrôle du pouvoir.

Hier alliés, aujourd’hui ennemis, Burhan et Hemetti se livrent une guerre d’égo meurtrière. En huit mois d’affrontements, « plus de 12.190 personnes ont été tuées » d’après le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (Ocha, sigle en anglais) dans son point de la situation au Soudan du 7 décembre courant.

« 6,6 millions d’individus ont été déplacés à l’intérieur et à l’extérieur du Soudan depuis que les combats ont éclaté entre les Forces armées soudanaises et les Forces de Soutien Rapide », a précisé Ocha, ajoutant par ailleurs que l’épidémie de choléra continue de s’y aggraver.

Pour nouer le fil du dialogue entre les deux parties afin de sauver des vies et tout un pays, António Guterres, le Secrétaire Général des Nations Unies, a jeté son dévolu sur Ramtane Lamamra.

« Ce choix est excellent », souffle Tariq (prénom d’emprunt), un ancien ambassadeur algérien dans différents pays d’Afrique subsaharienne. Sa nouvelle mission consistera à soutenir « les efforts de paix en cours, en étroite coordination et coopération avec l’Union Africaine (UA) et l’Autorité intergouvernementale pour le développement (Igad, sigle en anglais) », a indiqué le document onusien annonçant la nomination de Lamamra comme Envoyé spécial d’António Guterres pour le Soudan.

Alger, à travers son ministère des Affaires étrangères, a accueilli positivement la confiance placée en M. Ramtane. Deux semaines après la désignation de l’ancien patron de la diplomatie algérienne, pour tenter de recoller les morceaux au Soudan, Khartoum n’a pas exprimé d’objections.

Le profil de l’emploi

ramtane lamamra

Déjà membre d’un panel onusien pour le Darfour en 2017, Ramtane Lamamra semble être en terrain connu : « C’est un connaisseur de la région et du confit au Soudan. Il a l’avantage d’être accepté par les parties en conflit au Soudan, mais aussi par les puissances étrangères qui jouent un rôle dans la crise de ce pays, à savoir les États-Unis, la Russie, l’Égypte et l’Arabie saoudite », a analysé sous le couvert de l’anonymat un journaliste algérien spécialisé des questions africaines.

Mieux, a-t-il indiqué, Lamamra « dispose d’une aura certaine et est très respecté des pays membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies ».

D’ailleurs, la France est parmi les premiers pays qui ont « salué » le choix du patron de l’Onu. Dans le réseau social X (ex-Twitter), le diplomate mauritanien El-Ghassim Wane, chef de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) dont le rapatriement des troupes prendra fin ce 31 décembre, a adressé, le 22 novembre dernier, de « chaleureuses félicitations » à Ramtane Lamamra et lui a souhaité « le meilleur pour cette nouvelle mission ».

Sollicité par Tama Média, un diplomate européen, en poste à Alger, reconnaît également que M. Lamamra est « un diplomate de grande qualité, qui a une hauteur de vue et des analyses toujours pertinentes des questions africaines ».

Mais cela peut ne pas suffire à l’ancien Haut-Commissaire pour la Paix et la Sécurité en Afrique pour régler la crise au Soudan. « Lamamra est le genre à préférer la diplomatie du silence à celle du spectacle. La plupart du temps, il ne parle que lorsqu’il obtient des résultats », a relevé le journaliste algérien.

Toutefois, l’issue heureuse des pourparlers soudanais « dépend aussi des acteurs étrangers qui ont souvent d’autres agendas », a tempéré anonymement un ancien diplomate algérien à cause « de l’obligation de réserve » qu’impose sa profession.

« Il est difficile de mener une médiation si on ne connaît pas les particularités économiques, sociales et ethniques du Soudan et plus spécialement les raisons des conflits successifs entre la région du Darfour et les autorités centrales. Et Lamamra le sait très bien », a-t-il estimé.

Début décembre 2023, le Conseil de sécurité a décidé de mettre fin au mandat de la Mission intégrée des Nations Unies pour l’assistance à la transition au Soudan (Minuats) « à la demande des autorités » locales. Celle-ci continuera cependant à s’occuper des questions humanitaires, a précisé l’organisation onusienne.

Un diplomate au long cours

Ramtane Lamamra, né à Béjaïa, dans le Centre-Est de l’Algérie, a une grande expérience dans la médiation et la gestion des conflits, particulièrement en Afrique. Sa nomination comme Envoyé spécial du Secrétaire Général de l’Organisation des nations unies (Onu) pour le Soudan ne doit donc rien au hasard.

Il fait partie des fondateurs du Conseil de Paix et de Sécurité en Afrique dont il a été Haut-Commissaire durant deux mandats. À ce titre, il a conduit avec plus au moins du succès des missions de paix dans plusieurs pays du continent.

De la région des Grands Lacs à Madagascar, en passant par la Mauritanie, le Mali ou encore la Côte d’Ivoire, l’ancien ambassadeur a déployé des trésors de diplomatie pour rapprocher des camps opposés en s’appuyant notamment sur une « solide connaissance » de l’Afrique.

Très fréquemment, ses missions débouchent sur des accords. Mais leur application est une toute autre histoire. C’est le cas au Mali où les Accords d’Alger de 2015 sont sans cesse remis en cause par des signataires.

Les missions internationales de M. Lamamra sont souvent entrecoupées par des « rappels » pour service dans son pays. Ainsi, à deux reprises, de 2013 à 2017 puis de 2020 à 2022, il a occupé le fauteuil de ministre des Affaires étrangères. Durant son premier passage, il a entre autres tenté de combler le vide laissé par le président d’alors, Abdelaziz Bouteflika, grabataire et absent des activités diplomatiques.

À cette époque déjà, il a été choisi pour ses relais dans les grandes capitales et ses connaissances de l’Afrique. « Malgré sa bonne volonté, sa marge de manœuvre était limitée. À titre d’exemple, lors des sommets, seuls les présidents étaient admis. Or, notre président (Bouteflika, NDLR) était toujours absent », a un jour raconté un ancien diplomate ayant longtemps travaillé avec Ramtane Lamamra.

Il a été remplacé en 2017 avant d’effectuer un bref retour en 2019 après le début des manifestations populaires qui ont conduit à la démission d’Abdelaziz Bouteflika en avril de la même année. Beaucoup lui ont prédit un destin présidentiel. Mais il a par la suite disparu des radars.

Pressenti pour devenir l’Envoyé spécial des Nations Unies pour la Libye, M. Lamamra s’est confronté au refus catégorique des États-Unis et des Émirats arabes unis. Ces deux pays jouent un rôle majeur dans cette guerre civile en soutenant financièrement et militairement le maréchal Khalifa Haftar, l’un des belligérants. Lamamra est revenu en 2020 à la tête de la diplomatie algérienne qu’il a quittée en mars dernier au profit d’Ahmed Attaf.

Par Ali Boukhlef

Correspondant à Alger, Algérie