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Rencontre avec le sculpteur Nald Kib, un “Captif, libre ?”

02 juillet 2023
9 min

Nald Kib est un artiste peintre sculpteur pluridisciplinaire. Natif du Congo, il réside depuis plusieurs années en région parisienne. Ce touche-à-tout a un CV bien rempli (enseignant, décorateur d’intérieur, pilote d’avion, réalisateur, musicien) qu’il complète aujourd’hui avec une première exposition à Paris baptisée “Captif, Libre ?”.

L'exposition Libre, Captif ?
L’artiste Nald Kib

Formé à  la prestigieuse école des Beaux-Arts à Paris, Nald Kib ne s’est pas laissé enfermer dans un genre mais s’est  intéressé à toutes les disciplines: la vidéo, la photographie, l’architecture ou encore la décoration. Une exposition touchante à l’esthétisme puissant et raffiné dans laquelle il expose de grandes œuvres faites avec passion: des colosses, des peintures, des statuettes de femmes libres  qui renvoient à la période sombre de la traite négrière. 

L'exposition Libre, Captif ?
L’exposition Libre, Captif ?

“Quand j’ai commencé à travailler sur ce sujet, il y a une vingtaine d’années, j’avais une haine, une violence par rapport à ce qui a été fait. J’en ai encore la gorge nouée. Avec le temps, je me suis assagi, aujourd’hui, je suis en paix avec moi-même. J’ai donc décidé de travailler le sujet autrement, sans en montrer l’horreur. Cela aurait été encore trop difficile pour moi. J’ai donc pris le parti de construire une exposition qui m’apaise et qui va peut-être aussi apaiser les autres et en même temps qui me permet de transmettre un message.”

Pourquoi avoir ressenti le besoin de mettre sur pied cette exposition qui rend hommage aux esclaves morts pendant la traite négrière ?

L'exposition Libre, Captif ?

J’étais à la recherche de mon identité. Il y avait ce sujet qui m’intéressait depuis longtemps. J’ai ouvert des livres, regardé des films sur la traite négrière parce qu’on n’apprend pas ce sujet à l’école à mon époque et aujourd’hui encore. Ce qui me peinait, c’était le traitement fait à ces personnes qui n’ont rien demandé, qui ont été prises en otage et ramenées en Europe pour faire fonctionner l’économie européenne. Quand j’ai commencé à travailler sur ce sujet, il y a une vingtaine d’années, j’avais une haine, une violence par rapport à ce qui a été fait. J’en ai encore la gorge nouée. Avec le temps, je me suis assagi, aujourd’hui, je suis en paix avec moi-même. J’ai donc décidé de travailler le sujet autrement, sans en montrer l’horreur. Cela aurait été encore trop difficile pour moi. J’ai donc pris le parti de construire une exposition qui m’apaise et qui va peut-être aussi apaiser les autres et en même temps qui me permet de transmettre un message. À l’école des Beaux-Arts, je me demandais quel peintre j’allais être: je voulais être un artiste qui va apporter quelque chose à l’humanité, qui va contribuer à quelque chose et qui ne va pas se contenter de vendre des œuvres. Aujourd’hui, je suis ravi de présenter cette exposition parce que quelque part je me suis livré. Il y a eu l’esclavage et il y a aussi la façon dont nous nous pensons et nous représentons ce que nous sommes. Qu’attendons-nous des autres? Ces questions douloureuses me mettent en émoi.

Vous interrogez la représentation de la personne noire ?

La représentation de l’homme noir, la représentation de l’Africain. Un jour, j’étais dans un magasin avec ma fille et mon neveu. Une petite fille a demandé à son papa: “Pourquoi ces gens-là sont noirs?” J’ai pris conscience à ce moment-là que nous avions encore beaucoup de travail à faire. C’était extrêmement violent. Quand j’étais professeur d’arts plastiques dans un collège, on attendait une personne autre que moi. Les professeurs d’arts plastiques aujourd’hui en France ne sont pas noirs, ils sont pour la plupart blancs. J’ai vécu une expérience similaire dans un grand hôtel parisien qui m’avait recruté pour refaire la décoration de son établissement. On pense que je suis là pour prendre le balai jusqu’à ce que je me présente et étonnamment les attitudes changent, on ne me prend plus de haut. Pourquoi devons-nous être confrontés à ce genre de propos? Certains ne semblent pas prêts à nous voir mais nous, nous sommes prêts à faire tout ce que l’on peut faire dans cette société parce que l’on vit ici. Ce sont toutes ces expériences qui m’ont amené à chercher mon identité. À l’école des Beaux Arts, je faisais des tableaux de grands peintres comme Ingres, mais quand je vais au musée du Louvres, je ne m’y retrouve pas. Je me suis dit qu’avec mes connaissances et ma capacité à reproduire des œuvres, je pouvais amener les Européens à regarder une autre histoire.

En visitant l’exposition, on est frappé par la beauté de ces œuvres notamment de ces bustes, de cet homme que l’on retrouve en sculpture et en peinture.

L'exposition Libre, Captif ?

L'exposition Libre, Captif ?
L’artiste Nald Kib en pleine explication de l’exposition à un visiteur

L’exposition était pour moi un point de liberté. Cette exposition m’a permis d’être en paix avec moi-même, de pouvoir montrer la qualité de mon travail. Ce buste en feuilles d’or me concerne aussi. Dans les peintures, on voit cet homme une fois assis sur le djembé, une autre fois représenté en train de jouer du djembé. On pourrait penser au penseur de Rodin. J’étais à ce moment-là en pleine interrogation.  À chaque fois que  j’allais quelque part on me disait que j’étais un artiste africain alors que je n’avais encore rien montré de mes œuvres. C’est par ma couleur de peau que j’ai été catégorisé. Ma couleur est sur moi, je ne peux pas l’enlever et je ne le veux pas non plus ! En partant de là, j’ai cherché mon identité. Cet homme assis sur le djembé est en train de se demander comment il pourrait se transformer et transformer son monde et sa vision du monde.

L'exposition Libre, Captif ?
L’exposition Libre, Captif ?

L'exposition Libre, Captif ?
L’exposition Libre, Captif ?

Les femmes sont également représentées dans votre exposition dans des formes plus petites mais avec les bras tendus vers le ciel. Pourquoi ce choix ?

L'exposition Libre, Captif ?
L’exposition Libre, Captif ?

Je voulais rendre grâce et honneur à la femme. Elles sont plus petites mais elles sont majoritaires, elles sont plus nombreuses que les colosses. Il y en a une qui lève les bras au ciel. Pour moi, elle porte le monde. Au départ, elle portait une carte de l’Afrique mais je l’ai retirée pour qu’elle puisse porter le monde, mon monde imaginaire. Ces femmes ont une grande valeur pour moi car elles représentent ma mère, ma sœur. J’y tiens énormément et en même temps j’avais envie de façonner ma propre vision de la femme, de ce qu’elle est, de ce qu’elle endure, où elle va, où elle ira. Il ne peut y avoir un monde sans femmes.

Que souhaitez-vous que le visiteur retienne de votre exposition ?

L'exposition Libre, Captif ?
L’exposition Libre, Captif ?

Quand on voit le buste de ce colosse entièrement recouvert de feuilles d’or avec la fissure, le message est très clair: l’être humain (femme ou homme) a de la valeur, on a plus que de la valeur. La fissure ne se refermera jamais, il y aura toujours une cicatrice mais c’est à nous de pouvoir traverser cette fissure, d’aller vers un nouveau monde et de le changer afin qu’on puisse nous respecter et en même temps respecter les autres. Il faut que cette fissure se transmette, elle fait partie de cette période atroce et abominable qu’est l’esclavage. Mon exposition parle de cette partie-là de l’histoire mais elle apporte aussi une vision moderne : comment nous pensons-nous? Comment réagissons-nous? Comment nous nous traitons nous-mêmes? L’esclavage moderne existe encore et les choses continuent. C’est à nous, à nos enfants de prendre le relai. Mon travail, c’est justement de montrer qu’il est possible de pouvoir parler d’une histoire qui s’est produite, de pouvoir lier toutes les pensées négatives pour pouvoir dire qu’on est tous unis. Il n’y a qu’une seule diaspora, on va créer une synergie pour que nous puissions enfin éclore. L’unité de l’Afrique est pour moi un point qui est également crucial. Si l’on veut réussir dans tout ce que nous faisons, il faut une unité assez solide. Cela demande de la confiance et un respect sincère avant de passer par une unité économique. 

Votre exposition s’appelle “libre ou captif” ? Nald Kib est un artiste libre ou captif ?

L'exposition Libre, Captif ?
L’artiste Nald Kib

Définitivement libre. Parce qu’au départ on est captif et donc on va systématiquement à l’opposé chercher la liberté. Captif, libre, ce  sont deux mots qui sont diamétralement opposés mais personne ne veut être privé de liberté, on va toujours chercher une porte de sortie. Pour moi cette exposition est ma porte de sortie.  J’ai été pris par des angoisses, des questionnements, par mes propres propos violents. J’ai été en contradiction par moment  avec moi-même donc il y a eu tout un chamboulement  interne. Au fur et à mesure de mon existence et de mes expériences, j’ai commencé à ouvrir les portes une à une jusqu’à me dire que j’étais prêt et prêt à exposer. 

Pour plus d’informations:

naldkibmanagment@gmail.com

Instagram: NaldKib