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Sénégal : l’inquiétude subsiste malgré le renoncement de Macky Sall

07 juillet 2023
12 min

Au terme de 12 ans d’exercice du pouvoir, le chef de l’État ne briguera finalement pas un 3e mandat. Un renoncement salué au-delà des frontières du Sénégal. Cependant, le ton martial employé par Macky Sall, dans son message à la nation de lundi dernier, fait craindre une nouvelle explosion de violences.

Sénégal : l’inquiétude subsiste malgré le renoncement de Macky Sall
Dakar – Quartier Grand-Yoff

Grand-Yoff, commune grouillante de Dakar, ressent encore les effets de l’Aïd-el-kébir, la principale fête musulmane célébrée la semaine dernière. Son fameux marché, une véritable caverne d’Ali Baba, n’attire pas grand monde. Les rideaux de nombreux commerces sont encore baissés. L’ambiance, un peu morne, tranche avec les jours de négoce florissant.

Juste derrière la station Shell, dans le coin des chauffeurs de taxis, “ cars rapides ” et “ Ndiaga Ndiaye ”, le message à la nation du président est au menu des discussions. Mor Diop, chapelet à la main droite, magnifie un discours historique : « C’est ce qu’on attendait de lui. Normalement, à cette période, un débat sur le 3e mandat n’aurait jamais dû se poser. Si Macky Sall a pu un jour être élu président de la République, c’est parce que le Sénégal est une démocratie. Et il doit le rester. »

Kara Sy, assis sur sa moto Jakarta, a aussi écouté le locataire du palais. « Sa décision de ne pas se présenter à l’élection présidentielle de 2024 est un acte fort qui témoigne de son amour pour le Sénégal. S’il avait dit le contraire, la situation aurait été compliquée pour tout le monde. Une 3e candidature pouvait embraser le pays », affirme ce trentenaire né à Bakel, à la lisière de la Mauritanie et du Mali.

Joint au téléphone par Tama Média, Mamadou Mbodj, Coordonnateur de la  plateforme de lutte des forces vives (F24), lancée le 16 avril 2023, ne cache pas son soulagement. « Le président évite le chaos au Sénégal. Il faut saluer son courage. Des faucons le poussaient à violer la loi, à commettre un coup d’État constitutionnel. » Remarquable dans le Mouvement du 23 juin (M23) qui avait fait face à Abdoulaye Wade en 2011-2012, ce membre de la société civile a néanmoins un grief contre Macky Sall.

« On peut se désoler de sa posture qui ne nous semble pas être celle d’un homme d’État. En renonçant au 3e mandat, il aurait dû déclarer que la Constitution en vigueur ne le lui permet pas. Ça aurait clos définitivement la controverse. Mais en disant qu’il en avait le droit, c’est comme si la charte fondamentale autorise quelqu’un à exercer plus de deux mandats consécutifs. Ce n’est pas vrai. Nous exprimons donc notre déception sur ce point », a-t-il expliqué.

Un sentiment partagé par Ayoba Faye, Rédacteur en chef de PressAfrik, site d’informations générales. « C’est contradictoire avec ses discours de campagne pour le référendum du 20 mars 2016 et la Présidentielle du 24 février 2019. Mais au moins, il nous enlève une grosse épine du pied. » Essayant de comprendre les raisons ayant poussé Macky Sall à faire marche arrière, M. Faye pense que « la communauté internationale a joué un grand rôle dans cette décision. Car la question du 3e mandat est indéfendable dans les sphères internationales où l’on promeut la démocratie et l’État de droit. Et comme Macky aspire certainement à une carrière internationale après le pouvoir, cette ambition a pesé sur la balance. Il y a aussi les évènements de juin dernier. »

Le spectre de la violence

Sénégal : l’inquiétude subsiste malgré le renoncement de Macky Sall
Dakar – affrontements entre manifestants et policiers

Depuis 2021, le Sénégal a connu des épisodes sanglants dans le cadre d’affaires politico-judiciaires impliquant Ousmane Sonko, le principal opposant. Début juin 2023, sa condamnation à deux ans de prison ferme pour « corruption de la jeunesse », sur une masseuse d’un salon de la capitale qui l’accusait de « viols répétitifs » et « menaces de mort », a déclenché trois jours d’émeutes ayant fait 16 morts selon un bilan officiel contre 23 décès d’après le décompte d’Amnesty International.

Jusque-là silencieux sur le sujet, Macky Sall a voulu se rattraper. La première partie de son message à la nation avait l’air d’une diatribe. « Pour beaucoup d’entre nous, nous venons de célébrer la Tabaski, cette fête de la foi, de la solidarité et de la convivialité, en compagnie de ceux et celles que nous aimons et qui emplissent nos vies de bonheur, d’espoir et d’amitié. Pour certains de nos concitoyens cependant, la fête s’est déroulée dans l’ombre du deuil, parce que leurs chers enfants faisaient partie de ceux et celles qui ont perdu la vie dans des violences insoutenables, injustifiables et inexcusables. Des violences qui ont mis à l’épreuve notre cohésion sociale et notre longue et enviable tradition de paix et de stabilité en Afrique. Vous aurez donc compris la tristesse et la douleur qui sont miennes », a-t-il dit en introduction.

Après s’être incliné devant la mémoire des défunts, le président a soutenu qu’ « aucun de nos fils, aucune de nos filles, ne doit payer de sa vie les désaccords qui s’expriment dans nos sociétés. La vie de nos concitoyens ne peut être sacrifiée sur l’autel d’intérêts politiques. Nous avons l’obligation de protéger la vie et la dignité de tous les Sénégalais, de toutes les Sénégalaises. »

Pour Macky Sall, « les scènes de violence et de pillages auxquelles nous avons assisté et leur coïncidence avec une cyberattaque contre des sites stratégiques du gouvernement et des services vitaux, tels que l’eau et l’électricité, n’ont rien à voir avec une quelconque manifestation politique. L’objectif funeste des instigateurs, auteurs et complices de cette violence inouïe était clair : semer la terreur, mettre notre pays à l’arrêt et le déstabiliser. C’est un crime organisé contre la nation sénégalaise, l’État, la République et ses institutions. » 

Dès lors, le chef de l’État a affiché une fermeté. « Les auteurs, commanditaires et complices répondront de leurs actes inqualifiables devant la justice. En attendant, les enquêtes se poursuivent. Nous ferons toute la lumière sur ces événements et sur les forces occultes qui veulent ébranler notre pays. Pour ma part, j’affirme ici que je ne transigerai pas avec des fossoyeurs de la nation, de l’État et de la République. Ce serait trahir mon serment constitutionnel », a promis Macky Sall.

« Il reprend les éléments de langage de ses ministres qui, depuis quelques années, nous parlent de forces occultes sans aucune preuve. Nous sommes déçus et inquiets non seulement parce qu’il pointe un doigt accusateur sur des forces qui n’existent que dans leur imagination, mais aussi parce qu’il profère des menaces. Cela montre que pour le temps qu’il lui reste à gouverner, il va continuer à garantir l’impunité à ses proches et réprimer sévèrement les voix dissonantes. Il risque de nous enliser dans la violence. Ce n’est pas le bon chemin s’il veut sortir par la grande porte », analyse M. Mbodj.

De la tension dans l’air

Sénégal : l’inquiétude subsiste malgré le renoncement de Macky Sall
Des partisans de l’opposant Ousmane Sonko

Sentant que dans l’opinion nationale et internationale, certains commençaient à le voir comme le méchant de l’histoire, Ousmane Sonko a accordé ce jeudi une interview à nos confrères de France 24. « Nous sommes des patriotes. Nous aimons ce pays. Nous sommes prêts à faire les sacrifices qu’il faut pour l’apaiser. (…) Mais on ne discute pas le couteau à la gorge. Nous résisterons comme nous l’avons toujours fait. Le président Macky Sall a dit à certains qu’il empêchera vaille que vaille ma candidature. Il n’y aura pas d’élections dans ce pays ou alors ce sera dans un chaos indescriptible si par des combines il veut atteindre ce but », a martelé le maire de Ziguinchor (Sud).

Outre l’affaire de mœurs, l’ancien Inspecteur des Impôts et Domaines a été condamné à six mois de prison avec sursis et à une amende de 200 millions F CFA (environ 305.000 euros) pour diffamation et injures publiques envers le ministre du Tourisme, Mame Mbaye Niang. C’est dire que pour Ousmane Sonko la première manche de l’élection présidentielle du 24 février 2024 se jouera devant les tribunaux.

Le transporteur Mor Diop, paré d’un tee-shirt jaune, d’un pantalon noir et de lunettes de la même couleur vissées sur la tête, estime que Macky Sall peut éviter l’impasse au pays. « S’il veut ce qui ne peut pas arriver, ce qui ne doit pas arriver, il sera responsable de tous nos maux. Ousmane Sonko est aimé par des Sénégalais qui croient en son projet de société. On ne doit pas ruser pour qu’il ne soit pas candidat. Les affaires Mame Mbaye Niang et Adji Sarr ne reposent sur rien de solide. L’objectif est simplement de lui barrer la route. Le leader de l’opposition ne doit pas être éliminé pour des broutilles. La ficelle est un peu grosse. Nous n’accepterons pas que la justice soit utilisée à des fins politiques », a-t-il averti.

Visiblement passionné par le débat politique, M. Diop souligne que « ceux qui disent au président Macky Sall de s’en prendre à Ousmane Sonko ne l’aiment pas. Dans son entourage, certains étaient avec Abdou Diouf et Abdoulaye Wade. Ces gens n’aiment personne. Ils ne défendent que leurs intérêts. Demain, Macky sera seul. Chacun essayera de rejoindre un candidat qui a des chances de l’emporter. »

Kara Sy, le jakartaman, abonde dans le même sens : « S’il laisse Sonko tranquille, le pays sera en paix. Il faut qu’on lui permette de participer à cette élection. Sa candidature doit être acceptée. C’est un citoyen sénégalais très aimé par les jeunes. Je l’admire beaucoup. Mon souhait est qu’il succède à Macky Sall qui, malgré tout, a signé de belles réalisations dans la quête de l’émergence. Nous voulons que la paix règne au Sénégal. Parce que nous sommes tous des frères et sœurs. »

La main tendue du président

Sénégal : Macky Sall ferme la porte à un 3e mandat
Macky Sall ferme la porte à un 3e mandat

Convaincu que « jamais la violence n’a permis à un pays de répondre aux aspirations de sa population », Macky Sall, dans son message à la nation, a interpellé toute la classe politique, sans exclusive : « Notre pays nous demande de regarder ensemble vers l’avenir afin que nous soyons les bâtisseurs du Sénégal de demain. Consolidons les forces de nos institutions tout en remédiant à leurs faiblesses. Abandonnons les postures populistes, nihilistes, extrémistes qui tentent de présenter notre pays comme un désert sans loi. »

Si, soutient-il, « chaque nation peut être éprouvée, chaque société peut être traversée par des tensions », « nous sommes condamnés à une solidarité susceptible de préserver l’unité de notre nation, malgré les tensions et divergences qui peuvent nous opposer. Cette solidarité ne signifie pas une totale convergence des points de vue, une uniformisation des consciences, une domination des uns sur les autres. Cette solidarité est celle qui nous empêchera de traduire nos désaccords, nos dissonances dans des violences meurtrières, justement parce que nous aurons su nous abreuver dans les sources démocratiques, morales, spirituelles et culturelles du grand peuple sénégalais. Nous pouvons être des adversaires, mais jamais des ennemis. » Ayoba Faye, journaliste à PressAfrik, se permet alors de saisir la balle au bond en invitant Macky Sall et Ousmane Sonko à « trouver une solution à leurs problèmes » car « le Sénégal mérite d’aller vers une Présidentielle apaisée. » 

C’est aussi l’objectif de la plateforme de lutte des forces vives (F24). « Il y a assez de morts. Il faut arrêter les tueries et libérer les prisonniers politiques. Il est possible de s’entendre sur un certain nombre de points. Tout dépendra de l’attitude du président de la République. S’il opte pour la violence, je crois qu’il n’y aura pas d’autres alternatives que la lutte, des morts… Et ce n’est pas souhaitable. Nous voulons la paix adossée à la vérité. La vérité est qu’il ne peut pas sélectionner les candidats à la Présidentielle. Il ne peut pas éliminer qui il veut sur la base d’une justice vassalisée avec des procès aux verdicts commandités. Ce n’est pas possible. Il faut qu’il choisisse la voie d’une élection inclusive et transparente », plaide Mamadou Mbodj, le Coordonnateur du cadre d’unité d’actions pour la défense de la démocratie et des libertés ayant prévu d’organiser, le 14 juillet prochain, une grande manifestation à Dakar.