Les États-Unis ont accueilli, à Washington, du 13 au 15 décembre 2022, les dirigeants de 49 pays africains et de l’Union africaine pour un sommet Afrique-États-Unis. Le politologue camerounais Christopher Fomunyoh, Directeur régional pour l’Afrique du think-tank américain National Democratic Institute, qui était présent au sommet, analyse pour Tama Média le bilan et les perspectives d’évolution des relations Afrique-États-Unis, dans un contexte de percée de la Russie et de la Chine sur le continent.
Quel rôle avez-vous joué lors de ce sommet ?
Ce sommet était avant tout gouvernemental, mais il a permis à certaines structures et personnalités de la société civile d’être impliquées dans la réflexion concernant le contenu du sommet et l’identification des sujets prioritaires à débattre. Ce fut mon cas. À Washington, les opinions de la société civile et des structures non gouvernementales pèsent aussi dans le calcul de chaque administration, que ce soit du côté de l’exécutif ou du législatif avec le Congrès américain.
Que faut-il retenir du sommet Afrique-États-Unis 2022 ?
À mon sens, ce sommet a été un succès sur plusieurs plans : Sur le plan économique, plusieurs pays africains rentrent de Washington avec pas mal de contrats, des conventions, des contrats d’assistance technique mais également des engagements de soutien d’entreprises du secteur privé autant que de l’administration Biden.
L’administration Biden entend dégager cinquante-cinq milliards de dollars pour l’Afrique, qui seront distillés sur les trois prochaines années avec un versement sur la première année de quinze milliards de dollars.
Sur le plan diplomatique, les relations États-Unis-Afrique, qui s’étaient relâchées pendant le mandat de Donald Trump, se réchauffent. Même si le président Biden n’a pas fait de déplacement sur le continent pendant les deux premières années de son mandat, ce sommet lui donne l’occasion de renouer avec les leaders politiques et les peuples du continent.
Le sommet a servi de plateforme pour la redynamisation des relations dans l’optique de donner un nouveau souffle aux intérêts des Américains pour l’Afrique. Et la juxtaposition des acteurs des services publics, du secteur privé, des organisations de la société civile pendant le sommet, va constituer une base solide qui permettra aux dossiers africains d’être traités avec plus de sérénité pendant cette deuxième partie du premier mandat de l’administration Biden.
Comment s’assurer que les engagements pris seront respectés ?
Ce point a été soulevé par plusieurs observateurs. Les impacts du premier sommet, tenu en 2014, sous l’égide de Barack Obama, n’ont pas été mesurés et ne semblent pas avoir été significatifs.
Tirant les leçons de cette expérience, l’administration Biden veut s’assurer que les engagements pris seront respectés.
Le président Joe Biden a nommé l’ancien ambassadeur américain, Johnnie Carson, envoyé spécial rattaché à la Maison Blanche et chargé de s’assurer de la bonne exécution des engagements pris des deux côtés. Quarante ans d’expérience en relations diplomatiques avec l’Afrique ont fait de Johnnie Carson une personnalité connue et respectée aussi bien à Washington DC que sur le continent. Il fut plusieurs fois ambassadeur des États-Unis dans différents pays africains et sous-secrétaire des affaires africaines sous Barack Obama.
Quelles sont les perspectives d’avenir des relations entre les États-Unis et l’Afrique ?
Le sommet a été organisé sous la bannière des valeurs partagées, il sera donc impératif de veiller à ce que les valeurs de la bonne gouvernance, de la démocratie, de la transparence, de la responsabilité en matière de gestion soient mises en œuvre sur le continent et notamment au niveau de l’Union africaine qui reste un partenaire de choix pour l’administration Biden. Pour rappel, l’une des promesses de l’administration Biden est de faire en sorte que l’Union africaine soit reconnue comme un membre actif et permanent du G20 qui est une structure économique à travers laquelle des orientations et même des décisions de grandes envergures sont souvent prises.
Il faudra également voir, sur le plan international, comment les pays africains vont se faire entendre sur les questions globales qui ont été évoquées. Ont été cités le changement climatique, la sécurité alimentaire ou l’insécurité. Ces sujets, entre autres, pourront être débattus devant les instances comme les Nations-unies.
Les États-Unis souhaiteraient probablement une concordance de points de vue avec les pays africains sur ces différents points. À l’avenir, certaines actions diplomatiques communes pourraient être considérées comme des acquis de ce sommet.
Que pensez-vous de l’adaptation des États-Unis aux évolutions géopolitiques complexes du continent africain
Il y a parmi les conflits déstabilisateurs du continent l’intrusion des groupes djihadistes, dont certains sont affiliés à Al-Qaïda et autres. Après ce sommet, les États-Unis devraient être beaucoup plus engagés aux côtés des pays africains pour contrecarrer ces groupes djihadistes en soutenant les pays impactés par ces différentes crises sécuritaires. C’est une évolution significative, car, jusqu’alors les États-Unis semblaient laisser cette responsabilité aux pays européens.
Pensez-vous que ce sommet va aussi permettre de positionner les États-Unis dans une meilleure relation avec l’Afrique, face à la lutte d’influence qui s’exerce aujourd’hui entre la Chine et la Russie ?
Les relations bilatérales ne se limitent pas à la participation à un sommet, mais leur amélioration va faciliter le dialogue et la concertation entre les États-Unis et les différents pays africains.
L’administration Biden a bien conscience du fait que les Africains s’attendent à un véritable partenariat basé sur des relations saines et durables et non uniquement sur la base d’un jeu géopolitique entre les grandes puissances.
Ce sommet a aussi permis à certains des leaders politiques africains de se faire entendre, notamment ceux qui sont venus à Washington avec des dossiers bien préparés. La balle est désormais dans le camp des leaders africains. C’est à nous, africains, de pouvoir jouer notre partition pour bénéficier au maximum de cette compétitivité retrouvée sur la scène internationale.
Je suis convaincu que les leaders africains les plus éclairés et les plus éveillés seront tout à fait en capacité d’influencer les démarches de Washington, comme celles de Pékin ou de Moscou.