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Touristes algériens en Tunisie : Pourquoi la destination Tunisie attire tant d’Algériens ?

15 juillet 2023
10 min

[Touristes algériens en Tunisie] Chaque été, des millions d’Algériens vont passer leurs vacances en Tunisie. Certains prennent l’avion, d’autres utilisent leurs véhicules personnels. Mais le bus est le choix de beaucoup de touristes. Reportage dans l’un d’eux. Un voyage lors duquel notre reporter nous permet de comprendre pourquoi tant d’Algériens choisissent de passer leur vacances en Tunisie.

Touristes algériens en Tunisie : Pourquoi la destination Tunisie attire tant d’Algériens ?
touristes algerien tunisie
Touristes algériens en Tunisie

Bienvenue dans le bus Algérie-Tunisie !

Comme chaque jour pendant la saison estivale, la rue adjacente à la Maison du peuple, sis à la place du 1er-Mai au cœur d’Alger, est pleine de bus ce vendredi 8 juillet. Nous sommes à la mi-journée, et le soleil est au zénith. Ce n’est pas encore la canicule, mais les premières chaleurs écrasent déjà la ville blanche. En ce jour de repos hebdomadaire en Algérie et jour « saint » chez les Musulmans, peu de commerces sont ouverts. Seuls quelques badauds se précipitent pour occuper une bonne place dans l’une des innombrables mosquées du quartier pour y accomplir la grande prière du vendredi.

En marge de ce va-et-vient, des autocars de fabrication chinoise sont alignés tout au long du Boulevard Aissat-Idir. À l’ombre de grands arbres qui longent le trottoir qui fait face au siège de l’Union générale des Travailleurs algériens –UGTA, centrale syndicale- quelques familles attendent patiemment de monter dans un de ces engins en partance pour la Tunisie. Certains s’impatientent de voir les bus ouvrir leurs portes. C’est le cas de Abdelkader, venu avec son épouse, de Rouiba (Est d’Alger). À l’écart des adultes, des enfants courent, insolents et contents enfin de voyager loin de chez eux. 

Pourquoi tant d’Algériens passent leurs vacances en Tunisie ?

algeriens
Des touristes algériens en Tunisie – Souk de Tunis

À peine la prière expédiée, Mohamed saute dans son bus. Ce chauffeur quadragénaire qui compte plusieurs années d’expérience derrière lui, arrive de Sétif (Est) où il exerce dans une société de transport exploitant des lignes longues. Aujourd’hui, il a pour mission de conduire une cinquantaine de touristes algériens pour passer une semaine de vacances dans des complexes touristiques tunisiens. 

Visage rond, mine un peu ferme, l’air tendu, il supervise, avec Amine, le guide envoyé par les agences organisatrices, la liste des présents. Nous prenons place à deux rangées du conducteur. Il est déjà 14h15, plus qu’une famille à attendre et à l’autocar de mettre les gaz. Direction Monastir, à 300 Km au Sud de Tunis, plus de 870 Km d’Alger. « Je préfère aller en Tunisie, pour deux raisons : en plus de découvrir un nouveau pays, les prix y sont beaucoup plus avantageux qu’en Algérie, la qualité du service en plus », explique, spontanément, Abdelkader entre deux cigarettes. Pour une semaine en all inclusive ( tout compris), il a déboursé un peu plus de 150 000 DA (750 Euros). Une somme qui ne permet pas de payer ne serait-ce que l’hébergement dans un hôtel bas de gamme en Algérie. Alors, penser à la formule complète, avec piscine incluse, il ne faut pas rêver… C’est sans doute l’une des raisons qui poussent, chaque année, des milliers d’Algériens à passer leurs vacances en Tunisie. 

Certaines années, comme ce fut le cas en 2018, le nombre de touristes algériens avait dépassé les 2 millions de personnes. De janvier à mars dernier, les services de la police aux frontières ont dénombré 563 000 Algériens qui s’étaient rendus chez les voisins de l’Est pour y passer des vacances. Après un recul entre 2020 et 2022 à cause de la crise sanitaire, cette tendance se confirme pour cette année encore.

Pour une excursion, l’ambiance est plutôt terne. Le chauffeur, qui a pris le soin de bien tenir le bus au propre, a pourtant mis de la musique. À fond. Du folklore algérien, essentiellement celui de l’Est du pays, est diffusé à forts décibels. Des chansons rythmées se succèdent dans l’indifférence des voyageurs. À peine si certains osent taper sur les mains de temps en temps. On quitte Alger, ses immeubles coloniaux, ses tours d’habitations modernes, sa baie… Cap à l’Est. En ce vendredi, la circulation est tellement fluide qu’en quelques minutes, on s’est retrouvé sur l’interminable autoroute Est-Ouest, qui relie les deux frontières algériennes en discontinue. 

Ayoub, huit ans et son frère, Aymen d’un an son aîné, commencent à s’ennuyer. Laissant leurs parents à l’arrière du bus, ils déambulent dans le couloir à la recherche d’un compagnon de jeu. C’est peine perdue. L’ensemble des occupants du bus préfèrent soit dormir, soit regarder les paysages. Et cela ne manque pas. Au fur et à mesure qu’on avance à grande vitesse en direction de l’Est, les paysages aussi variés, étonnants ou parfois déroutants défilent. Étonnantes sont en effet ces images des plaines encore verdoyantes de la Vallée de Lakhdaria (Bouira, Centre-Est) grâce aux pluies de début juin qui ont même maintenu certains cours d’eau en ruissellement alors qu’ils sont d’habitude à sec à cette période de l’année. À d’autres endroits, un autre contraste est saisissant : ces chutes de pluies tardives ont noirci des champs entiers de céréales qui n’avaient pas pu mûrir au printemps à cause de la sécheresse qui avait marqué le pays à cette période charnière du développement des épis. 

Des paysages déroutants…

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L’autoroute Est-Ouest permet à de nombreux Algériens d’aller en Tunisie, par bus ou par voiture

Dans le bus, le climatiseur ronronne à fond et laisse les occupants dans un confortable froid qui contraste avec une chaleur étouffante à l’extérieur. Sur un fond de chants de fêtes, nous pouvons observer de nouveaux immeubles bariolés sortir de terre. À Sétif, l’une des plus grandes agglomérations de l’Est, des cités à pertes de vues sortent de terre et poussent comme des champignons au milieu de vastes champs agricoles que le béton réduit comme peau de chagrin. Durant les deux dernières décennies et à la faveur d’une hausse constante des cours des hydrocarbures, l’Etat algérien a construit des centaines de milliers de logements répartis sur l’ensemble du territoire, au profit de toutes les couches de la société à qui on a trouvé une formule adéquate. 

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Des bâtisses anarchiques ternissent l’image d’un paysage pourtant magnifique

Ces programmes ont absorbé une bonne partie de la crise du logement, même si le nombre demeure insuffisant puisque la demande est toujours énorme. C’est pourquoi, à côté de ces tours construites par l’État, émergent des quartiers entiers d’habitations, faites de briques et de brocs, inachevées. Souvent, ces nouveaux lotissements, faits uniquement de briques rouges d’où sortent des tiges de rond à béton, s’étalent à perte de vue, défigurant carrément le paysage.

C’est le cas par exemple d’une colline de la banlieue de Constantine, cette ville millénaire de l’Est algérien, appelée Cirta à l’époque numide, où s’entassent ces nouvelles maisons qui ne seront probablement jamais achevées. Pour mettre fin à cette anarchie, les autorités algériennes ont promulgué en 2008 une loi obligeant les propriétaires à achever leurs habitations. Depuis, son application est sans cesse repoussée. 

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El Kala est une perle naturelle à la frontière tunisienne

La nuit commence à tomber lorsque nous engageons la dernière étape de la partie algérienne de notre périple. Les étendues verdoyantes du Parc national d’El-Kala (extrême-Est) offrent au visiteur une vue pittoresque. Cette immense forêt de chêne-liège, de lentisques et de milliers d’autres plantes et arbres, est émaillée de plusieurs lacs naturels dans lesquels des dizaines d’espèces d’ oiseaux et autres volatiles rares trouvent leurs aises. Les lieux sont protégés par la convention internationale de la protection de la biosphère et inscrite à la convention Ramsar des zones humides. Mais le bus y passe à grande vitesse malgré des routes plus étroites et sinueuses.

La nuit est largement entamée. Nous nous approchons, à grands pas, du poste frontalier situé sur le territoire de la commune de Ain El Assel lorsque, soudainement, le bus s’arrête. Il est près de minuit. D’autres bus qui nous ont précédés étaient déjà là. Sur la gauche, une seule enseigne attire les regards à première vue : « les magasins de Hadj-Ibrahim ». Anodin. Pourtant, un étrange brouhaha domine les lieux. « C’est le seul lieu où vous pouvez faire le change ! », indique Mohamed, le chauffeur, visiblement fatigué. L’intérieur du magasin ressemble à la caverne d’ Ali-Baba : c’est une supérette où on vend des yaourts, biscuits “made in Algeria”… mais c’est aussi un bureau de change informel.

En Algérie, échanger des dinars contre une devise étrangère est très contraignant dans les banques. Vous ne pouvez obtenir une monnaie forte que si vous voyagez, or l’allocation voyage est d’à peine 120 euros par personne et par an. Alors, les Algériens se débrouillent et vont faire le change chez des particuliers. Ici, ce sont les dinars tunisiens qui sont obtenus contre des dinars algériens. « Cela va vous permettre de prendre des cafés après le passage des frontières », précise le guide. Sauf que dans la supérette, des citoyens tunisiens de passage peuvent acheter des produits algériens avec de la monnaie tunisienne. Ici, chez Hadj-Ibrahim, la fraternité algéro-tunisienne prend tout son sens !

Des policiers algériens régulant la circulation au poste frontalier d'Oum Tboul
Des policiers algériens régulant la circulation au poste frontalier d’Oum Tboul

L’arrivée au poste frontalier est souvent craint par des touristes algériens dans les jours du grand rush à cause des embouteillages et files d’attente qui s’éternisent. Ce n’est pas le cas ce jour de début juillet. Quelques dizaines de passagers attendent le compostage de leurs passeports. Dans le sens inverse, des Tunisiens viennent aussi en Algérie pour y acheter des produits introuvables ou plus chers chez eux. Les formalités étant faites, la Tunisie s’offre à nous. El-Kef, Siliana, ou encore l’historique Kairouan défilent l’une après l’autre.

Il est déjà 9 heures du matin. Les premiers estivants prennent place sur des transats dans les plages au sable fin de Monastir. Le bus arrive et dépose les familles algériennes qui rejoignent d’autres groupes venus les jours précédents. Ce sera un ballet incessant durant tout l’été et même après. Mais pour l’heure, place aux délices de la mer, aux visites dans le port antique de la ville de naissance de Habib-Bourguiba, premier président de la Tunisie indépendante et au repos avant un retour aussi harassant vers Alger une semaine plus tard.

Par Ali Boukhlef

Correspondant à Alger, Algérie