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La Turquie, un allié discret bien implanté en Afrique

17 septembre 2024
6 min

Alors que le rôle de la Russie et de la Chine en tant que partenaires du continent africain est souvent médiatisé, la politique de la Turquie reste discrète. Pourtant, les tournées africaines des responsables politiques turques, le nombre d’ambassades turques en Afrique (elles sont 44 en 2023 contre 24 de la Belgique, 37 du Japon, 44 de la Russie, 46 de la France, 50 des États-Unis et 53 de la Chine, selon une étude de l’Iris) et le volume des échanges commerciaux (passé de 5,4 milliards de dollars en 2003 à 40,7 milliards de dollars en 2022, d’après une déclaration officielle turque) témoignent d’une relation Turquie-Afrique bien établie.

Relation entre la turquie et lafrique

Turquie-Afrique – Quels sont les objectifs de la Turquie sur le continent ? Qu’est-ce qui différencie la stratégie d’Ankara de celle de ses concurrents et comment se matérialise cette relation Turquie-Afrique ?

Dany Komla Ayida, consultant international et fondateur du cabinet Africa Label Group S.A, spécialiste en gouvernance et développement international, nous livre son analyse sur la stratégie turque et ses défis face aux ambitions croissantes de la Chine et de la Russie sur le continent. Entretien.

Tama Média : quels sont les principaux objectifs de la Turquie en matière de politique étrangère en Afrique, et comment ces objectifs ont-ils évolué au cours des dernières décennies ?

Dany Komla Ayida : ces objectifs ne sont pas entièrement visibles, mais des signaux existent qui démontrent quelques ambitions. On peut dire, sur la base de certaines prises de position, que les principaux objectifs de la Turquie en Afrique incluent le renforcement des relations diplomatiques, la promotion du commerce et des investissements, ainsi que l’accroissement de son influence géopolitique. 

Au cours des dernières décennies, ces objectifs ont évolué, passant d’une approche principalement axée sur l’aide humanitaire et le développement à une stratégie plus intégrée incluant également des dimensions économiques et militaires. Désormais, la Turquie cherche à devenir un acteur clé sur le continent, en diversifiant ses partenariats tout en s’impliquant dans des projets d’infrastructure et de développement durable.

Quelles sont les principales différences entre la stratégie africaine de la Turquie et celles d’autres puissances étrangères, comme la Chine ou la Russie ?

La stratégie africaine de la Turquie se distingue de celles de la Chine et de la Russie par plusieurs aspects. En matière de diplomatie, il semble qu’Ankara privilégie une approche basée sur le dialogue et le partenariat, en mettant souvent l’accent sur les valeurs humanitaires et le développement.  Au cours des dernières années, on a vu la mise en place de quelques programmes de coopération dans ce sens.

Contrairement à la Chine, qui adopte une approche plus axée sur les investissements massifs et le commerce, la Turquie cherche à établir des relations bilatérales plus équilibrées et à promouvoir des initiatives de coopération Sud-Sud. En ce qui concerne la coopération militaire, celle-ci se concentre sur la formation et l’équipement des forces armées africaines, tout en proposant des solutions adaptées à des besoins régionaux (on pense notamment aux drones turcs livrés à plusieurs pays africains).

À l’inverse, les échanges avec la Russie sont moins diversifiés. Elle a tendance à s’engager plus dans des relations davantage militarisées, en soutenant souvent des régimes autoritaires pour des intérêts stratégiques.

Quant à la stratégie diplomatique des pays occidentaux, elle est plus rodée et emprunte plusieurs canaux, avec des partenariats avec les États (africains), les ONG et d’autres intervenants locaux, y compris dans le domaine humanitaire et des aspects liés à la gouvernance. 

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Dany Komla Ayida

Comment la Turquie a-t-elle réussi à renforcer ses relations économiques et commerciales avec des pays africains, et quelles sont les industries clés qui en bénéficient ? 

Le gouvernement turc a renforcé ses relations économiques avec des pays africains par le biais de la création de zones de libre-échange, d’accords commerciaux bilatéraux et d’initiatives d’investissement.

Les industries clés qui en bénéficient incluent la construction, les infrastructures, l’agriculture, la technologie de l’information et l’énergie. On a observé cela en Afrique de l’Est et dans quelques pays d’Afrique du Nord et de l’Ouest. 

Les entreprises turques sont également actives dans des secteurs tels que le textile, les produits alimentaires et les services de santé avec la gestion d’hôpitaux dans différents pays du continent. Cette diversification des échanges commerciaux a permis à la Turquie de se positionner comme un partenaire commercial de choix pour de nombreux États africains. C’est pour cela que, de plus en plus, des commerçants d’Afrique s’approvisionnent auprès des fournisseurs turcs. 

La Turquie a investi de manière significative dans le développement d’infrastructures en Afrique. Quels sont les projets phares et quel impact ont-ils eu sur les relations bilatérales ?

La Turquie a investi dans plusieurs projets d’infrastructure majeurs en Afrique, notamment dans la construction de routes, de ponts, d’hôpitaux et d’écoles. Parmi les projets phares figurent le développement d’infrastructures de transport en Éthiopie et en Somalie, ainsi que des initiatives dans le secteur de l’énergie en Afrique du Nord. 

Ces investissements ont non seulement contribué à l’amélioration des infrastructures locales, mais aussi facilité l’accès aux marchés et renforcé les relations bilatérales, en créant des opportunités économiques et des emplois. Les projets d’infrastructures en Afrique, soutenus par des investissements turcs, illustrent parfaitement l’impact positif sur les relations bilatérales. 

Prenons l’exemple du Sénégal, où la Turquie a financé des projets d’infrastructures routières et portuaires. Ces réalisations renforcent non seulement les échanges commerciaux, mais aussi les liens culturels entre les deux nations.

En Éthiopie également, la construction d’un nouvel aéroport à Addis-Abeba par des entreprises turques a facilité le transport et le tourisme, stimulant l’économie locale et favorisant une coopération accrue. 

De même, au Mozambique, les projets d’énergie renouvelable turcs contribuent à l’accès à l’électricité, tout en renforçant les relations diplomatiques.

L’impact de ces projets se traduit par une meilleure perception de la Turquie comme un partenaire de développement fiable et engagé sur le continent africain.