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Fédération du Mali avec le Burkina, l’idée est-elle réaliste ?

03 February 2023
6 min
Une fédération du Mali avec le Burkina est-elle réaliste ?

En visite à Bamako, ce mardi et mercredi, le Premier ministre Burkinabé a évoqué l’idée d’une fédération de son pays avec le Mali voisin. S’agit-il là d’une simple opération de communication et de séduction ou est-ce vraiment une idée réaliste ? Décryptage.


Du mardi 31 janvier au mercredi 1er février, le Premier ministre Burkinabé était en visite de travail et d’amitié à Bamako. A sa descente d’avion, le mardi soir, à l’aéroport international de Bamako, Me Apollinaire Joachim Kyelem de Tambela a été accueilli par son homologue malien Choguel Maïga et plusieurs autres personnalités du pouvoir.

Dans le salon d’honneur de l’aéroport, comme à l’accoutumé, les deux Premiers ministres de transition ont eu un entretien, en présence du marcheur Ibrahim Cissé. Ce dernier avait marché à pied de Bamako jusqu’à Ouagadougou, avec les drapeaux burkinabé et malien et a appelé à la fédération des deux pays. Il est revenu à Bamako avec le Premier ministre Burkinabé dans l’avion. « Nous n’allons pas laisser son acte sans suite. Je vais discuter avec M. [Choguel] Kokalla Maïga et M. [Abdoulaye] Diop qui sont des panafricanistes convaincus parce que nous sommes conscients que, ce que nos devanciers n’ont pas pu faire, nous n’avons pas d’excuse pour ne pas le faire ou en tout cas pour ne pas le tenter. », a déclaré Me Apollinaire Joachim aux côtés de son homologue malien Choguel Maïga dans le salon d’honneur, au micro des journalistes présents.

Deux mentors idéologiques, un antécédent

CHOGUEL PM BURKINA FASO

Le Premier ministre Me Apollinaire Joachim n’a pas manqué de faire un clin d’œil à ceux qu’il a appelés, lui-même, « nos devanciers ». De quels devanciers parle-t-il précisément ? Le Mali comme le Burkina ont tous deux connu de nombreux présidents et Premiers ministres. Il s’avère ainsi difficile de déterminer avec certitude ceux auxquels il fait explicitement allusion à moins que ce ne soit tous.

Dans les histoires politiques des deux pays, il est à rappeler que Choguel Maïga et son hôte ont idéologiquement deux mentors. Choguel, on le sait, c’est une lapalissade de dire qu’il demeure fidèle au pouvoir autocratique du Général Moussa Traoré, qui a dirigé le Mali pendant 27 ans. Vétéran de la classe politique, l’actuel chef du gouvernement malien ne manque pas d’éloge vis-à-vis de la gestion du pays à l’époque de son mentor à chaque fois qu’il en a l’occasion. Le second se revendique de Thomas Sankara. Entre les deux mentors idéologiques, il existe un antécédent, celui de la guerre ayant opposé les deux nations dans les années 1980.


A l’origine de la guerre : une zone frontalière que chaque pays revendiquait : la bande dite d’Agacher, une zone longue de 160 kilomètres et large de 20 kilomètres, qui est réputée être riche en ressources minérales. Les deux États, avec à leurs têtes le Général Moussa Traoré et le Capitaine Thomas Sankara, se la disputaient depuis 1974. Du 25 au 30 décembre 1985, plusieurs combats aériens et terrestres ont lieu entre les deux parties belligérantes.

Après des pourparlers et des cessez-le-feu non respectés, il a fallu attendre janvier 1986 pour voir ce conflit territorial définitivement réglé, à travers notamment un accord conclu entre les deux parties à Yamoussokoro, en Côte d’Ivoire, où les deux présidents d’alors se sont rencontrés. Il s’agit là d’un antécédent qui existe encore dans l’imaginaire collectif dans les deux pays, notamment chez ceux qui l’ont vécu. En parlant des devanciers, le Premier ministre Burkinabé faisait peut-être, sans le dire, référence à cela, bien que ses services de communication ont voulu citer le cas de la fédération du Mali dans leur compte-rendu publié dans les journaux locaux.

Deux autres demandes de fédération

Ces derniers mois, d’autres personnes ont également affiché leurs vœux de voir le Mali et la République de Guinée former une seule fédération. L’artiste-musicien Salif Kéïta en a fait d’ailleurs son cheval de bataille. Ce qui nous rappelle une expérience de fédération que le Mali a connue par le passé, avec le Sénégal. En effet, ces deux pays formaient à l’aube des indépendances une fédération appelée la fédération du Mali : en 1960, le Soudan français (actuel Mali) et le Sénégal constituaient une seule fédération.

Le 4 avril 1960, toujours pour rappel, celle-ci avait proclamé son indépendance et était reconnue comme telle le 20 juin de la même année. Léopold Sédar Senghor est porté à la tête de l’Assemblée nationale et Modibo Keita assurant la fonction de Premier ministre. Cette fédération va vite éclater suite à des différends politiques. Le Sénégal se retire et proclame son indépendance le 20 août 1960, Léopold Sédar Senghor sera son premier président. Le 22 septembre 1960, le Mali proclama la sienne et Modibo Kéita sera son premier président.

Pour certains observateurs, la déclaration du Premier ministre est plutôt une façon de galvaniser les fervents soutiens des deux gouvernements qui se revendiquent panafricanistes et de continuer à les faire espérer. Au Mali, la question du Nord, avec les différentes rébellions, restent manifestes. Malgré cela, l’on revendique d’un côté une fédération du Mali et du Sénégal où la question de Casamance se pose toujours. De l’autre côté, une fédération du Mali avec la Guinée Conakry, deux États avec deux monnaies différentes. Et maintenant l’hypothèse d’une autre avec le Burkina. Les expériences politiques en Afrique prouvent à suffisance qu’il existe encore de nombreux obstacles et défis qui ne permettent pas de voir la réalisation de ces différentes fédérations de sitôt. Ce qui constitue d’ailleurs, après plusieurs décennies d’indépendances, un énorme frein à la réalisation de l’unité africaine ou des États-Unis d’Afrique comme le souhaitaient de nombreux pères des indépendances. Mais le Mali et le Burkina Faso seront-ils l’exception à la règle trouvant le génie d’accélérer cette éventuelle fédération ? Oui, répondent certains fervents soutiens de Bamako et de Ouagadougou. Pour les plus sceptiques, l’idée semble totalement irréaliste et relève du populisme pour “amuser la galerie”. Des sceptiques qui rappellent que les gouvernements à la tête des deux pays sont sensés être provisoires. Quoi qu’il en soit le chemin sera long, en attendant les deux pays peuvent toujours continuer à renforcer leurs relations bilatérales.