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Uranium au Niger : quelles parts pour les exportations vers l’Europe et la France ?

23 octobre 2023
10 min

Une crise sociopolitique agite actuellement le Niger. Mohamed Bazoum, le président élu démocratiquement en 2021, vit reclus depuis le coup d’État dont il a été victime le 26 juillet 2023. Dans un contexte où l’attitude de l’Occident, particulièrement de la France, est disséquée, des informations foisonnent sur les réseaux sociaux par rapport à l’exportation de l’uranium nigérien, constituant avec le pétrole, les deux principales ressources naturelles du pays sahélien.

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Site d’exploitation d’uranium

Le 30 juillet dernier, soit quatre jours après le putsch du général Abdourahamane Tiani, un influent compte sur X (ex-Twitter) a indiqué que « le Niger va arrêter ses exportations d’uranium » puis affirmé que « 25 % de l’uranium » utilisé dans l’Union Européenne (UE) provient de ce pays. Une affirmation qui n’est pas totalement fausse. On vous explique tout dans cette vérification au cours de laquelle il sera aussi question des exportations d’uranium du Niger vers la France, également sujet à controverse.


Par Sagaïdou Bilal et Youga Ciss


La communauté internationale, dans la lignée de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao), a fermement condamné le coup de force et appelé à la libération du président déchu ainsi qu’au retour à l’ordre constitutionnel. L’Union Européenne (UE), très présente au Niger, a dans ce sens annoncé le 29 juillet la suspension de sa coopération sécuritaire et financière avec Niamey.

Correspondant de la chaîne de télévision américaine CNN, le journaliste kenyan Larry Madowo a relayé en anglais, sur le réseau social X, la nouvelle dans une série de publications où il cite le patron de l’UE, Joseph Borell.

Dans les centaines de milliers de réactions que sa publication a suscitées, il y a un commentaire de ce compte suivi par 252.913 abonnés : « Niger will halt its Uranium exports ! 25 % of EU relies on Niger’s Uranium. [Le Niger va arrêter ses exportations d’uranium ! 25 % de l’uranium de l’UE proviennent du Niger] ». On y mentionne le tweet du journaliste Larry Madowo, mais sans indiquer la source de l’affirmation faite.

Origine de l’uranium livré à l’UE en 2021 et 2022

Yellow Cake Uranium Wikimedia
Uranium du Niger

Le Niger est réputé être l’un des principaux fournisseurs d’uranium naturel à l’UE. Des données du comité technique Euratom, consultées par Tama Média, le confirment. En 2021, les exportations d’uranium naturel du Niger vers l’espace communautaire européen sont estimées à 24,3 %. Dans le classement de cette année-là, le Kazakhstan (23 %), la Russie (19,7 %), l’Australie (15,5 %) et le Canada (14, 3 %) sont les autres principaux fournisseurs de l’UE.

En 2022, toujours d’après la même source, le Kazakhstan arrive en tête des pays fournisseurs d’uranium à l’UE. Sa part est évaluée à 26,82 %. Le Niger (25,38 %), le Canada (21,99 %), la Russie (16,89 %), l’Ouzbékistan (3,76 %) et l’Australie (2,79 %) complètent le tableau. [Voir graphiques]

EU Uranium supply sources in 2021
Uranium origin 2022

Le Niger, cette année-là, a contribué « à la fabrication du combustible destiné aux quelques 103 réacteurs en activité dans 13 pays membres de l’UE, dont la moitié sont en France (56 réacteurs) », a indiqué Euratom à l’Agence France Presse (AFP) repris par TV5 Monde.

Sur les deux années considérées, la moyenne du Niger est de 24,84 %. Quand on arrondit à l’unité, on obtient 25 %. Par conséquent, l’affirmation, objet de notre première vérification, n’est pas fausse dans ce registre. Cependant, l’auteur n’a pas précisé son année de référence.

Quelle place pour le Niger sur la liste des fournisseurs de la France ?

Paris soutient toujours le président élu Mohamed Bazoum et ne reconnaît pas les putschistes. D’aucuns justifient la position radicale de la France dans la crise au Niger par sa dépendance à l’uranium de ce pays. Mais que disent réellement les chiffres ?

En France, 56 réacteurs nucléaires répartis dans 18 centrales fonctionnent à l’uranium. Dans l’Hexagone, a fait savoir l’Institut français de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN), « l’industrie de l’uranium s’est développée au lendemain de la Seconde guerre mondiale (1939-1945). Elle a vécu son apogée au cours des années 80 pour décliner ensuite. La dernière mine d’uranium française a ainsi fermé ses portes en mai 2001. »

Le gouvernement français a entamé une politique de diversification de l’approvisionnement en uranium depuis les années 2000. Le Niger « a été le troisième fournisseur de la France, contribuant pour 19 % de ses approvisionnements entre 2005 et 2020 », selon le comité technique Euratom. Les 138.230 tonnes d’uranium naturel importées par la France sur cette période, nous dit Futura, provenaient du Kazakhstan (27.748 tonnes, 20,1 %), de l’Australie (25.804 tonnes, 18,7 %), du Niger (24.787 tonnes, 17,9 %) et de l’Ouzbékistan (22.197 tonnes, 16,1 %). Ce pourcentage du Niger, 17,9 %, correspond à celui que l’on retrouve dans une note interne concernant tout type d’approvisionnement d’EDF (Électricité de France) datée de mai 2022.

Le Niger n’est plus « le partenaire stratégique de Paris comme il a pu l’être dans les années 1960-70 », a soutenu Alain Antil, directeur du centre Afrique subsaharienne à l’Institut français des relations internationales (Ifri), dans un article mis en ligne par BFM TV. Cette thèse est néanmoins contredite par les chiffres de 2020 et 2021. Dans un papier d’Ouest France, qui cite la Direction générale de l’énergie et du climat, « le Niger a représenté 35 % des importations françaises d’uranium concentré en 2020 et 34 % en 2021. Soit le premier rang en 2020 et le deuxième en 2021 derrière le Kazakhstan. »

D’après un article de vérification publiée le 5 juillet 2022 par Libération, « sur les 6286 tonnes d’uranium importées en France en 2020, près d’un tiers vient du Niger (34,7 %). Le reste provient du Kazakhstan (28,9 %), d’Ouzbékistan (26,4 %), d’Australie (9,9 %). » Tout bien considéré, ni les États français et nigérien, ni EDF, ni Orano (ex-Areva) ne semblent pas jouer la carte de la transparence à propos des exportations d’uranium vers l’Hexagone. Avec ce flou artistique, il est difficile voire impossible de se faire une idée précise sur la question à partir des données disponibles que nous avons consultées.

Évolution de l’exploitation de l’uranium au Niger

« C’est juste avant l’indépendance, en 1956, que naquirent les premiers espoirs concernant la présence de ce minerai (l’uranium, NDLR), à la suite de l’enregistrement d’anomalies notables dans les affleurements sédimentaires de la bordure occidentale de l’Aïr. Mais ce n’est qu’à partir de 1958 qu’une véritable campagne de recherches a été entreprise après la reconnaissance par le Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM) d’indices radioactifs à Azelik. Elle aboutit à la mise en évidence des gisements d ‘Azelik (environ 4000 tonnes d’uranium métal) et de Madaouéla (environ 2600 tonnes d’uranium métal) considérés comme insuffisamment rentables en raison de la faiblesse de leurs réserves, puis à la découverte en 1966-1967 des gisements d’Arlit (20 à 25.000 tonnes d’uranium métal) et d’Akouta (45.000 tonnes d’uranium métal) beaucoup plus importants », détaille Pallier Ginette dans un article scientifique intitulé « L’uranium au Niger » publié dans le numéro 146 des Cahiers d’outre-mer, en avril-juin 1984.

Dès 1969, poursuit cette étude de Pallier Ginette, « le gouvernement du Niger a accordé au Commissariat français à l’Energie Atomique (C.E.A.), pour une période de 75 ans, une concession de 360 km2 couvrant les gisements d’Arlit et d’Akouta ».  Mais il a fallu attendre une dizaine d’années pour que débute l’exploitation proprement dite. Entre 1971 et 1981, le Niger a produit 21.693 tonnes d’uranium dont 21.650 ont été exportées pour un total des ventes chiffré à 402,6 milliards F CFA.

« En 1981, avec une production de 4336 tonnes, le Niger était le quatrième producteur mondial d’uranium, après les États-Unis, le Canada et l’Afrique du Sud. Le minerai apparaissait comme sa principale ressource. Le total des ventes, alors égal à 91.645 millions de F CFA, représentait en effet plus de 90 % de la valeur globale des exportations, et les prélèvements effectués par l’État se présentaient, après les aides extérieures, comme le principal moteur du développement », affirme Pallier Ginette dans le document susmentionné.

Depuis plus de 50 ans, Orano, ex-Areva, exploite des gisements situés au Nord-Ouest du pays, plus précisément dans la région désertique de l’Aïr. La mine à ciel ouvert de Somaïr (Société des mines de l’Aïr), dont « les activités devaient s’arrêter en 2029 », devrait fonctionner « jusqu’en 2040 » en vertu d’un accord conclu entre l’État nigérien et la société nucléaire française, selon Africanews. La mine souterraine de Cominak (Compagnie minière d’Akouta), quant à elle, « a arrêté sa production en mars 2021 suite à l’épuisement des ressources », lit-on sur le portail d’informations d’Orano consulté par Tama Média.

Si un site se ferme, un autre sera bientôt ouvert. En effet, à Imouraren, à 80 kilomètres au Sud d’Arlit (Nord du Niger), « des essais vont débuter en 2024 dans l’un des plus grands gisements au monde », renseigne Jeune Afrique (JA) dans un article intitulé « Orano cible 2028 pour exploiter le gisement d’uranium d’Imouraren au Niger », publié le 15 mars 2023. « La décision d’exploiter (…), avec la méthode ISR (In situ recovery – extraction de l’uranium par pompage), sera prise en 2028 », a annoncé dans ledit média Matthieu Davrinche, directeur d’Imouraren SA, coentreprise du groupe français Orano et de l’État nigérien.

Les réserves de ce gisement ont été estimées à environ 200.000 tonnes. Son exploitation « aurait dû débuter en 2015, mais la chute des prix de l’uranium sur le marché mondial après la catastrophe nucléaire de Fukushima, au Japon, en 2011 a gelé le projet », a rappelé JA.

À en croire l’Association Nucléaire Mondiale, la production minière a été de 3865 tonnes en 2011, 4667 en 2012, 4528 en 2013, 4057 en 2014, 4116 en 2015, 3477 en 2016, 3449 en 2017, 2911 en 2018, 2186 tonnes en 2021.

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Source : site internet World Nuclear Association (Association Nucléaire Mondiale). Tableau inséré dans sa publication intitulée « Uranium in Niger (L’uranium au Niger) » – dernière mise à jour, mai 2023.

Ce qu’il faut retenir

Si les exportations d’uranium du Niger vers l’Europe sont facilement vérifiables, il en est autrement pour la France. Les chiffres confrontés de plusieurs sources disent tout et son contraire.

La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao), dont fait partie le Niger, n’exclut pas de recourir à la force pour rétablir Mohamed Bazoum dans ses fonctions. Malgré cette perspective, la Commission européenne ne craint pas une pénurie : « Il n’y a pas de risque d’approvisionnement en ce qui concerne l’UE. Les opérateurs de l’UE disposent de stocks suffisants d’uranium naturel pour atténuer tout risque d’approvisionnement à court terme », a indiqué à l’Agence France Presse, un porte-parole de l’exécutif européen lors d’une conférence de presse.