Catégories
Économie Explique-moi La Une de l'actualité africaine par Tama Média Tama Média site d'actualité africaine blog

Économie : comment l’Algérie part à la conquête des marchés de l’Afrique subsaharienne

20 octobre 2023
7 min

Jusque-là, l’Algérie était plus portée sur les pays européens, principalement la France, dans le cadre des relations économiques internationales. Alger, en outre, se tourne maintenant vers l’Afrique subsaharienne pour booster ses exportations. Mais cette volonté politique clairement affichée bute sur d’énormes défis liés notamment aux coûts des transports.

Algerie Afrique du Sud

Actuellement, le commerce intra-africain ne représente que 14,4 % du total des exportations du continent noir. Dans l’Union Européenne (UE), à titre comparatif, les échanges entre États membres sont proches de 60 %. Le déficit d’infrastructures surtout, mais aussi d’autres raisons expliquent cet écart conséquent entre les deux aires géographiques.

Frontalière du Maroc, de la Tunisie, de la Lybie, du Niger, du Mali et de la Mauritanie, l’Algérie effectue par exemple plus de transactions avec la France. Elle est, « avec 11 milliards d’euros d’échanges commerciaux en 2022 dont 4,5 milliards d’euros d’exportations françaises et 6,6 milliards d’euros d’importations, le second partenaire économique de la France en Afrique, avec 16 % des exportations françaises vers l’Afrique et 17 % des importations en provenance de cette zone (essentiellement des hydrocarbures, NDLR) », indique la Direction générale du Trésor français.

Depuis quelque temps, Alger s’oriente vers l’Afrique subsaharienne en employant de gros moyens : ouverture de comptoirs commerciaux permanents, inauguration d’agences bancaires et lancement de nouvelles liaisons aériennes. Le mercredi 20 septembre dernier, la capitale mauritanienne, Nouakchott, a accueilli Laziz Faid, ministre algérien des Finances et son homologue du Commerce et de la Promotion des exportations, Tayeb Zitouni. Les deux officiels étaient accompagnés d’hommes et de femmes d’affaires issus de différents secteurs pour inaugurer l’Algerian Union Bank (AUB). Dotée d’un capital de 50 millions de dollars (32 milliards F CFA), c’est la première institution financière du pays à s’installer à l’étranger.

Le jour d’après, l’Algerian Bank of Senegal (ABS), créditée d’un capital de 100 millions de dollars (65 milliards F CFA), a ouvert ses portes à Dakar, au Sénégal. « Cette nouvelle banque permettra, à travers les différents produits proposés, de développer les relations économiques entre les deux pays et d’accompagner les grandes, moyennes et petites entreprises, tout en contribuant au soutien des efforts de développement du Sénégal », a soutenu devant les journalistes le Directeur Général de l’ABS, Abdelhafid Haned.

Ces deux banques, fruit de la synergie de quatre institutions financières publiques, à savoir la Banque Nationale d’Algérie (BNA), le Crédit Populaire d’Algérie (CPA), la Banque Extérieure d’Algérie (BEA) et la Banque d’Agriculture et de Développement Rural (BADR), donnent ainsi corps aux instructions du président Abdelmadjid Tebboune consistant « à faciliter l’investissement et les échanges commerciaux entre l’Algérie et les autres pays d’Afrique ».

L’exportation des produits locaux

Le chef de l’État algérien veut ouvrir son pays « sur le continent africain » afin de participer « à son développement ». Ses ministres enfilent donc le costume de VRP (Vendeur, Représentant et Placier) des produits et services « Made in Algeria ». Dans la capitale mauritanienne, des entreprises algériennes s’activant dans le domaine de l’électroménager, des pneumatiques, de la pharmacie, de la beauté et de l’hygiène ainsi que dans l’agroalimentaire ont pris part à une foire permanente.

À Nouakchott et Dakar, l’Agence algérienne de la promotion du commerce extérieur (Algex) compte dorénavant deux bureaux dans le but d’aider en premier lieu les entreprises algériennes à y exporter leurs produits et en second lieu à mettre sur pied des unités de production ou tout au moins des showrooms.

« (…) Plusieurs produits de différentes catégories seront exportés vers les pays africains : des engrais, de l’ammoniac, de l’urée, du ciment, de l’acier, des denrées alimentaires, des fournitures scolaires, du mobilier de maison et de bureau. Le pays exporte aussi beaucoup d’appareils électroménagers, surtout des réfrigérateurs et des téléviseurs, notamment vers la Libye, le Mali, le Niger, le Cameroun, le Bénin, la Côte d’Ivoire et la Mauritanie », a précisé en février dernier Classe Export, un magazine en ligne spécialisé dans le commerce extérieur.

Du 30 septembre au 2 octobre dernier, l’Ouganda, pays de l’Afrique de l’Est, a également abrité une foire dédiée aux produits algériens et organisée par le ministère du Commerce et de la Promotion des exportations. Mais le succès de ces opérations n’est pas si évident.

« Les exportations algériennes vers l’Afrique devaient être, pour l’exercice 2023, en phase d’amélioration. Malheureusement, elles ont été handicapées par la logistique puisque les exportateurs payent plein tarif pour le fret maritime ou terrestre », analyse pour Tama Média Si Ramdane Larab, export manager. En Algérie, le Fonds Spécial pour la Promotion des Exportations (FSPE), qui devait en principe subventionner le coût des transports de marchandises, a été gelé par les autorités.

La relance des liaisons aériennes

La conquête des marchés subsahariens passe aussi par la reprise de nombreuses lignes aériennes. Dans cet esprit, Air Algérie se redéploie à nouveau vers Libreville (Gabon), Addis-Abeba (Éthiopie), Abuja (Nigeria), Douala (Cameroun) et Johannesburg (Afrique du Sud). Sous l’impulsion du président Abdelmadjid Tebboune, « cette année, nous avons ouvert quatre nouvelles lignes internationales vers l’Afrique. Nous annonçons l’ouverture des 46e et 47e lignes internationales, et 9e et 10e en Afrique. Ce qui renforce la position de la compagnie aérienne nationale dans le continent et dans le monde », a déclaré le Président Directeur Général de la compagnie, Yacine Benslimane, le 21 septembre dernier.

L’Algérie espère tirer profit de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf). À terme, ce sera un marché de 1,2 milliard de personnes avec un Produit Intérieur Brut (PIB) global estimé à 2500 milliards de dollars. En 2021, Alger a ratifié l’accord portant création de la Zlecaf. Pour faire partie de la première phase de la mise en œuvre de l’initiative, des discussions sont en cours avec le Secrétariat de la Zlecaf.

En 2022, l’ancienne colonie française a exporté vers les pays africains pour près de 600 millions de dollars, soit environ 9 % du total de ses exportations du pays hors hydrocarbures. C’est famélique au goût des dirigeants algériens qui veulent augmenter les volumes des échanges intra-africains. Sur le continent, leurs entreprises devront notamment faire face au voisin et rival marocain, à la Russie, à la Chine et la Turquie.

De plus, la volonté politique visant à rattraper le temps perdu est contrariée par un arsenal juridique contraignant pour les entrepreneurs algériens. « Installer des banques et des comptoirs est une excellente chose. Mais il faut dépénaliser le non-rapatriement des revenus de l’exportation et se contenter d’amendes », a proposé sous le couvert de l’anonymat un membre du patronat algérien. En fait, un exportateur algérien peut être poursuivi au pénal et même séjourner en prison dans ce cas de figure alors que certains opérateurs économiques sont tout simplement « victimes de mauvais payeurs », a précisé notre interlocuteur.

Par Ali Boukhlef

Correspondant à Alger, Algérie