Dans ce pays de l’Afrique centrale, la fracture numérique n’est point une vue de l’esprit. Confrontés au service défectueux des fournisseurs d’accès, aux restrictions imposées par les autorités étatiques et au coût exorbitant de la connexion, les internautes tchadiens crient leur ras-le-bol.
« Pour publier une vidéo de six minutes sur Instagram, me voilà en train de patienter depuis deux heures. Mais non les gars, nous sommes au 21e siècle », a pesté Pamgué Bienvenu, Community Manager du journal Le Ndjam Post.
Comme lui, chez beaucoup de Tchadiens, surtout ceux pour qui Internet est incontournable, il est impossible de faire passer la pilule tant les désagréments dépassent l’entendement. Au Tchad, un territoire de 17 millions d’habitants contrôlé d’une main de fer par la famille Déby depuis 1990 avec le père Idriss mort en 2021 et actuellement le fils Mahamat, l’accès à Internet s’avère difficile.
Dans le sillage de l’Afrique centrale, pointant à la quatrième place des régions du continent noir (27,9 %), le taux de pénétration d’Internet au Tchad est de seulement 17,9 % avec 3,22 millions d’internautes selon Data Reportal. « Le pays compte plus de 491.700 utilisateurs de médias sociaux en janvier 2023, soit 2,7 % de la population totale », a ajouté ce site de référence « conçu pour aider les personnes et organisations du monde entier à trouver les données, les informations et les tendances dont ils ont besoin pour prendre des décisions plus éclairées ».
Parler d’accès à Internet au Tchad revient à remuer le couteau dans la plaie des usagers. Dahouta Stéphane de Tchadinfos TV en a fait l’amère expérience : « Pour téléverser des fichiers d’un volume de 25 gigas, j’ai dû patienter pendant trois jours ». En fait, les plaintes sont le lot quotidien des Tchadiens. Si ce n’est pas la qualité du service qui est déplorée, c’est « le vol » de données qui est décrié.
Réseau défectueux et coûts jugés exorbitants
« Nous vous présentons nos excuses pour le désagrément causé par un problème technique. » « Nous nous excusons pour les perturbations dues à la coupure de la fibre optique au Cameroun. Des travaux de rétablissement sont en cours. » Ces genres de messages, les clients des fournisseurs d’accès à Internet, notamment ceux des compagnies Airtel Tchad et Moov Africa, les reçoivent très souvent.
Ces deux opérateurs sont dominants dans le marché local de la téléphonie mobile comptant 11,49 millions d’abonnés, d’après Data Reportal. Ce qui équivaut à 63,9 % de la population totale du pays. Au Tchad, même la fibre optique, censée garantir une connexion optimale, ne donne pas entière satisfaction.
« Heureusement pour ces compagnies que la fibre optique venant du Cameroun ou du Soudan n’a pas la bouche pour se défendre. Sinon… », a ironisé Mbaigolnoudji Mborodé, informaticien de son état. Pour lui, la piètre qualité du service est sans appel.
En outre, les coûts d’accès sont parmi les plus élevés de la région. En 2017, par exemple, un giga de connexion coûtait 12.000 F (18,29 euros). Il a fallu attendre plusieurs années pour que la lutte des associations de consommateurs n’aboutisse partiellement.
Sur ordre des autorités de régulation, les fournisseurs d’accès à Internet ont revu les prix à la baisse. En décembre 2021, le coût d’un giga utilisable en 24 heures a diminué jusqu’à 550 F CFA (84 centimes d’euros). « C’est toujours cher. Je dépense en moyenne 1500 F CFA (2,29 euros) par jour pour la connexion. Ce qui me fait 45.000 F CFA (68,60 euros) par mois. C’est trop », a estimé M. Mborodé.
En Afrique, les gouvernants mettent un point d’honneur à maîtriser les moyens de communication. Avec l’avènement des technologies de l’information et de la communication, les médias classiques ne sont plus les seuls à partager des nouvelles. Désormais, les réseaux sociaux, où se mêlent le vrai et le faux, vont plus vite.
Ces dernières années, au Tchad, le régulateur des télécommunications, sous la dictée du pouvoir politique en temps de crise, a procédé à des restrictions d’Internet. En 2016, après la proclamation des résultats contestés de l’élection présidentielle, l’accès aux réseaux sociaux a été coupé pendant 235 jours. Bis repetita en mars 2018 pour une durée de 16 mois. Un record dans le pays en matière de censure d’Internet.
À cette époque, les autorités ont justifié la mesure liberticide par « les menaces terroristes et la propagation de la haine ethnique ». Pour contourner le blocage, les internautes ont alors eu recours à un réseau privé virtuel communément appelé VPN (Virtual Private Network) permettant de se connecter en toute sécurité et de façon anonyme avec le masquage de l’adresse IP (Internet Protocol).
L’État pas encore à la hauteur des enjeux
Face à la réalité implacable, le gouvernement tchadien a néanmoins annoncé un vaste programme d’interconnexion à la fibre optique. Mais ce projet, qui date de 2011, peine à être réalisé dans les grandes largeurs.
Déployée à partir du Cameroun et du Soudan, la fibre optique devait couvrir la totalité du territoire national. En une dizaine d’années de travaux, les villes de N’Djamena, Abéché, Amdjarass et Moundou sont uniquement couvertes par ce réseau filaire. « La fibre optique, la 4G, la 5G, que du bluff de la part de nos opérateurs », a réagi Mbaigolnoudji Mborodé.
Début 2023, l’entreprise Starlink, filiale de la société SpaceX du milliardaire américain Elon Musk, s’est intéressée au Tchad. Son Directeur Général avait été reçu par le président de transition Mahamat Idriss Déby Itno dans la capitale en février 2023.
Les dirigeants de Starlink, spécialisée dans la fourniture d’accès à Internet haut débit par satellite, ont exprimé le souhait de s’implanter dans ce pays de l’Afrique centrale. Le chef de l’État tchadien avait donné son accord de principe pour que des négociations soient entamées.
Alors que la demande de licence est encore en étude au niveau de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep), les produits de Starlink sont commercialisés et utilisés frauduleusement au Tchad.
Dans un communiqué daté du 22 septembre 2023, les contrevenants ont été rappelés à l’ordre par la Direction Générale de l’Arcep : « Nous invitons toute personne commercialisant les terminaux et/ou les services de Starlink à cesser immédiatement ces activités qui nécessitent au préalable les autorisations des autorités compétentes. »
Aux termes de l’article 113 de la Loi 14/PR/2014, la fourniture au public d’un service de communication électronique sans accord préalable de l’organe régulateur est puni d’une peine d’un à cinq ans de prison et d’une amende de 10 à 200 millions F CFA.
Le régulateur du secteur des télécoms a aussi pointé les interférences des réseaux d’opérateurs du Cameroun. Car à N’Djamena, des habitants des quartiers comme Sabangali, Farcha, Kabalaye, Ngueli, Moursal… utilisent des réseaux du pays voisin pour se connecter à Internet. « Quand il y a de la concurrence, la qualité du service est rehaussée et les prix tirés vers le bas. Le consommateur y trouvera forcément son compte », a indiqué M. Mborodé. En tout cas, les Tchadiens veulent se connecter au reste du monde via Internet et entrer de plain-pied dans l’ère de l’économie numérique pour capter ses opportunités.