Quatre mois après son accession au pouvoir à la faveur d’un coup d’État, le capitaine Ibrahim Traoré marque un nouveau coup d’éclat en exigeant le retrait de la force française Sabre. L’annonce a été officialisée le lundi 23 janvier 2023 sur la Radio-Télévision du Burkina (RTB) par le porte-parole du gouvernement, Jean-Emmanuel Ouédraogo, après que l’Agence d’information du Burkina Faso ait déjà révélé quelques jours auparavant que le Faso avait dénoncé l’accord de coopération militaire le liant à la France.
«Ce que nous dénonçons, c’est l’accord qui permet aux forces françaises d’être présentes au Burkina Faso. Il ne s’agit pas de la fin des relations diplomatiques entre le Burkina Faso et la France». Ces quelques mots soigneusement choisis par Jean-Emmanuel Ouédraogo dans une interview accordée à la RTB lundi 23 janvier, ont sonné le glas des relations militaires entre le Burkina-Faso et la France. Une décision politique qui met fin donc à la présence militaire française dans le pays des hommes intègres. Conformément aux accords de défense signés entre les deux pays en 2018, après la dénonciation, la France dispose d’un mois pour rapatrier ses militaires. Cette dernière, après avoir demandé “des clarifications” au capitaine Traoré, a finalement annoncé qu’elle “respectera les termes de l’accord en honorant la demande” formulée par les autorités burkinabées.
400 soldats d’élites basés au Kamboinsin
Le camp Bila Zagré de Kamboinsin situé en périphérie de Ouagadougou vit donc ses derniers jours. Depuis une dizaine d’années, la France a installé une base militaire dans ce lieu stratégique qui lui permet de mener la lutte contre les groupes terroristes implantés dans la bande sahélo-saharienne et qui sévissent notamment dans la zone (des trois frontières) entre le Burkina-Faso, le Mali et le Niger. Les 400 militaires français déployés dans le cadre de la “Force Sabre” sont essentiellement des membres des forces spéciales habituées aux opérations stratégiques. A leur actif selon les autorités françaises : la neutralisation d’importants chefs terroristes : Adnane Abou walid al Sahraoui, fondateur et chef de l’État Islamique au Grand Sahara (EGIS) tué le 17 août 2021 par les forces françaises et maliennes, Abdelmalek Droukdel, fondateur d’AQMI, la branche d’Al Qaïda au Maghreb islamique abattu le 3 juin dans le nord du Mali. Cette unité d’élite est présente au Sahel depuis 2009, sa force réside dans la discrétion de ses hommes et leur capacité à se déployer rapidement et agir avec précision lors d’interventions millimétrées. La France pourrait décider de les redéployer au Niger voisin si ce pays en manifestait l’intérêt.
Après le départ de la force Barkhane du Mali, la France perd avec la force Sabre, une deuxième base stratégique en Afrique de l’Ouest.
Une force civile pour pallier les insuffisances de l’armée
Au Burkina-Faso, les autorités de transition se veulent rassurantes quant à leurs capacités à assurer la sécurité du pays et indiquent attendre des pays amis un soutien “sur le plan matériel”. Si certains experts annoncent un rapprochement de Ouagadougou avec Moscou et les mercenaires de Wagner, d’autres experts en sécurité soulignent l’empressement des nouveaux dirigeants burkinabés à s’affranchir d’un soutien militaire de l’ex-puissance coloniale pour pouvoir satisfaire son opinion publique.
“La rue a accéléré le processus et c’est ça vraiment que je trouve dommage parce que normalement un Etat, un gouvernement, devrait quand même prendre le temps. Pour moi on aurait du prendre le temps, même si on va dénoncer ces accords, prendre le temps de mieux se préparer et de ne pas être dans l’émotion. Parce que lorsqu’on est dans l’émotion on fait beaucoup d’erreurs et aujourd’hui la question que je me pose: étant acculé de toutes parts, est-ce qu’on est prêts à être auto-suffisants sur le plan militaire ? Et est-ce qu’on est prêts à assumer cette conséquence ?”, s’interroge ainsi Mahamoudou Sawadogo, expert burkinabé en sécurité, avant d’ajouter : “La force Sabre a contribué à maintenir le Burkina debout, mais aussi elle a contribué à dédouaner les politiques et les politiciens. Parce que, à cause d’elle, comme elle était disponible au besoin et au gré des politiques ; ils n’ont pas vu la nécessité d’armer, d’équiper, au contraire, l’argent qui était prévu pour ça allait à autre chose. Et on s’est retrouvés après plusieurs années de lutte, sans aucun équipement militaire. Donc la force était, si vous voulez, une roue de secours qui a même servi de roue principale au lieu de servir comme roue de secours. Il y aura un vide mais il faut noter que depuis que ce gouvernement est arrivé, depuis que le Président Ibrahim a pris le pouvoir, ils n’ont jamais fait appel à la force Sabre. Donc ça veut dire qu’ils ont appris dès le départ à se passer de cette force.”
Les autorités de transition avaient en effet lancé en octobre dernier, un appel à une mobilisation civile pour recruter plus de 50 000 volontaires pour la défense de la patrie (VDP) afin de renforcer l’armée burkinabè. Et renforcer par la même occasion la fibre patriotique des Burkinabés. Le dimanche 29 janvier, des milliers de manifestants ont défilé dans les rues de la capitale et dans d’autres villes du pays pour saluer le retrait des forces françaises et soutenir la décision des autorités de transition. Sur les pancartes, les messages étaient explicites: “Vive la transition, vive le capitaine Traoré”, “La France dégage”.
Le capitaine Ibrahim Traoré se rêve en nouveau Sankara
Lassané Sawadogo, vice-président de la Fédération des Mouvements panafricains Burkina Faso fait partie de ceux qui applaudissent le retrait des forces françaises et décrit le capitaine Traoré comme le “nouveau Sankara”.
“C’est le chemin de Sankara que le président Ibrahim Traoré a pris et en ajoutant c’est-à-dire, en dépassant même ce qu’il avait prévu. C’est un jeune engagé, il a compris la volonté de la jeunesse burkinabè, il a décidé lui-même de vendre sa vie pour sa Nation. De vendre sa vie pour la jeunesse actuelle, pour libérer la Nation. Donc moi je pourrais dire qu’il a pris le chemin de Thomas Sankara”, s’exclame-t-il.
Un avis partagé par Yéli Monique Kam, une autre figure de proue des campagnes de manifestations anti-France dans le pays : “Aujourd’hui, nous n’acceptons plus d’être dictés par la France, nous n’acceptons plus les ordres de la France. C’est justement un affront contre la France qui nous amène aujourd’hui à choisir Wagner comme solution de souveraineté. Et d’ailleurs nos VDP (ndlr: Volontaires pour la Défense de la Partie) sont des Wagner. Nos VDP s’appellent les Wagner Burkina Faso”, explique la coordonnatrice du Mouvement M30 Naaba Wobgo, créé il y a quelques mois pour mobiliser l’opinion publique contre la présence française dans le pays.
“Cette décision de rupture des Burkinabè a pu être motivée par des ressentiments récents, mais elle a sans doute aussi de nombreuses causes plus lointaines. Les autorités de Ouagadougou s’empressent, certes, d’annoncer que cela ne remet pas en cause les relations diplomatiques. Mais, si elles le précisent, c’est justement parce qu’elles savent que ces tensions peuvent évoluer vers une rupture plus profonde. Dès lors qu’ils sont prêts à en payer le prix, les Burkinabè ont parfaitement le droit de vouloir assumer leur souveraineté. Pour qu’ils osent, à l’endroit de l’ancienne puissance colonisatrice, ce que d’aucuns perçoivent comme une humiliation, peut-être même sont-ils prêts à se passer de toute aide venant de Paris”, analyse pour sa part le journaliste togolais Jean-baptiste Placca dans une chronique sur RFI le 28 janvier 2023 et intitulé : “D’abord aimer son peuple”.
L’éditorialiste poursuit : “Nombre de peuples du continent estiment avoir subi trop de vexations de la part des dirigeants successifs de la France, depuis les indépendances : ils leur en veulent, notamment, d’avoir régulièrement jeté tout leur poids dans la survie de régimes vomis, acquis à Paris, envers et contre leurs peuples. Ces griefs expliquent pourquoi certains semblent heureux de voir tel dirigeant non-élu toiser le Blanc. Sauf que défier la France n’est qu’un pur défoulement, sans incidence sur les problèmes fondamentaux du continent. L’Afrique s’est suffisamment abreuvée de joies futiles et éphémères, pour comprendre que la seule perte d’influence de la France ne suffira pas à la propulser dans un état de bonheur permanent”.
Cela dit, le journaliste appelle à dépassionner le débat sur les relations franco-africaines quand son confrère lui demande : Que peut, alors, tirer l’Afrique de l’affaiblissement apparent de la France aujourd’hui sur le continent ?
L’éditorialiste répond : “Aux dirigeants avisés, l’intelligence politique commanderait d’en profiter pour redéfinir, de manière plus avantageuse, leurs relations bilatérales, plutôt que de vouloir une rupture sèche et stérile avec un partenaire qui, bon an mal an, les inscrit dans ses lignes budgétaires, pour quelques centaines, sinon des milliers de milliards. Les apports des nouveaux amis ne seront jamais de trop. Et négocier en position de force est toujours payant. À moins que votre dignité ait été irrémédiablement bafouée, appelant un crime d’honneur, ou l’humiliation de la deuxième puissance européenne… Demain, à l’Élysée, un dirigeant mieux disposé pourrait, malgré tout, se montrer moins arrangeant avec tel pays qui aura humilié le sien. Et d’ailleurs, pourquoi les Africains doivent-ils toujours attendre des dirigeants français qu’ils aiment davantage l’Afrique que la France ? Après tout, même avec une France féroce, ils ne s’en sortent pas si mal, les pays africains dont les dirigeants aiment leur peuple du type d’amour que nourrissent les Français pour leur propre patrie.”