Le nom est lui tout seul, tout un mystère. Comment se prononce t-il ? Sur le continent africain, certains l’appellent WAG – NER . Et D’autres : VAG – NER. Mais peu importe la prononciation adoptée, l’on devine facilement que ceux qui invoquent le mystérieux nom font bien référence à la société militaire privée fondée par Evgueni Prigojine, un proche du président russe Vladimir Poutine. Ces dernières années, l’Afrique est devenue l’un des marchés les plus importants et les plus stratégiques pour le groupe paramilitaire. L’une des dernières actualités de la société sur le continent : elle aurait été approchée par des rebelles tchadiens pour les aider à renverser – voire assassiner, le président de la transition au Tchad, Mahamat Deby Itno. L’occasion pour Tama Média de revenir sur la présence de Wagner sur le continent africain à travers une série d’articles pour aider nos lecteurs à mieux comprendre son fonctionnement et les endroits où il agit en Afrique.
Épisode 1 : Wagner, la 5ème colonne africaine ?
La Centrafrique. Un contrat en or. Fin 2017, le président Faustin Archange Touadéra et la Russie signent un accord visant à fournir armement et protection au pouvoir centrafricain. En échange, le président Touadera accepte d’accorder à Moscou des concessions minières dans un pays qui regorge d’or et de diamants. Confronté à une crise sécuritaire dans un pays sous embargo de l’ONU, le président centrafricain se tourne vers la Russie pour armer les soldats des forces armées centrafricaines (FACA) et mater les groupes politiques dissidents ainsi que la myriade de milices locales. Cette demande du président Touadéra va permettre à la Russie et au groupe Wagner de s’installer en Centrafrique. Au début de l’année 2018, l’Etat centrafricain et des sociétés affiliées à Wagner débutent des relations commerciales et militaires: les premières livraisons d’armes et les premiers instructeurs russes atterrissent à l’aéroport de Bangui. Ces derniers seraient en réalité des mercenaires du groupe Wagner recrutés par la société Sewa Security Service (SSS). Officiellement, cette entreprise propose diverses prestations allant de la protection rapprochée du chef de l’État à l’encadrement et la formation des FACA. Un accord de paix signé en février 2019 entre le gouvernement centrafricain et une dizaine de groupes armés, sous l’égide de la Russie, permet de rétablir un calme précaire.
La même année, des associations de défense des droits de l’Homme et l’ONU pointent les exactions commises par les mercenaires de Wagner. Des faits de violences contre des populations civiles qui se multiplient à partir de décembre 2020 lorsque des partisans de l’ex-président François Bozizé tentent de renverser le gouvernement centrafricain. Les alertes et les enquêtes de la communauté internationale se multiplient au fil des années. Un rapport de l’ONG ACLED (Armed Conflict Location&Event Data Project) publié le 30 août dernier détaille minutieusement les activités de Wagner en Centrafrique et dresse un constat accablant: les populations civiles délibérément prises pour cibles, sont les premières victimes de ces mercenaires russes. “Depuis décembre 2020, ACLED comptabilise 180 événements au cours desquels des mercenaires Wagner ont pris pour cible des civils, ce qui correspond à 52% du total des faits de violence politiques organisées dans lesquels le groupe Wagner a été impliqué en RCA (…) en agissant indépendamment des forces étatiques, les actions ciblant des civils ont représenté 70% des événements comportant des faits de violence politique commis par les mercenaires du groupe Wagner depuis décembre 2020.” Le contexte sécuritaire reste précaire aujourd’hui encore en Centrafrique. Pour autant, les hommes déployés par le groupe Wagner n’entendent pas quitter Bangui où ils continuent à exploiter l’or et les diamants du pays.
De Bangui à Bamako
Après la Centrafrique, c’est le Mali qui fait appel à la Russie. L’instabilité politique provoquée par le coup d’État contre le président Ibrahim Boubacar Keïta à l’été 2020 va offrir une porte d’entrée à Moscou. Le colonel Assimi Goïta, auteur du putsch contre l’ex-président malien ne cache pas ses envies de rompre avec la France et se tourne naturellement vers la Russie (pays avec lequel le Mali entretient des relations historiques. Plusieurs cadres maliens ont été formés dans l’ex-URSS). Après des échanges entre Bamako et Moscou, un accord militaro-financier est acté entre les ministres de la
Défense des deux pays. En décembre 2021, les hommes de Wagner débarquent dans la capitale malienne sur invitation des autorités de transition. Comme en Centrafrique, un millier de soldats russes seraient déployés sur les bases militaires maliennes, jadis occupées par l’armée française. Épaulées par les hommes de Wagner, les Forces armées maliennes (FAMA) patrouillent ensemble dans l’objectif de rétablir la sécurité face aux groupes djihadistes qui tentent de prendre le contrôle du nord du Mali. Le colonel Assimi Goïta devenu président de la transition malienne en a fait son cheval de bataille. Si les autorités de transition maliennes affirment obtenir des résultats probants en matière sécuritaire, les Etats-Unis dénoncent une hausse de 30% des actes terroristes au Mali en six mois.
Des accusations d’exactions
Le collectif AllEyeOnWagner, qui regroupe des enquêteurs indépendants, dresse également un constat d’échec. Dans un rapport rendu public le 20 novembre dernier, ce collectif dénonce des meurtres à l’encontre de civils depuis l’arrivée du groupe paramilitaire russe au Mali. Même constat accablant de la part des associations de défense des droits de l’Homme au Mali qui dénoncent les exactions commises par les forces maliennes et russes. L’une des plus médiatisées et des plus sanglantes est celle commise dans le village de Moura où plus de 450 civils auraient été tués. Pour l’ONG ACLED qui a également étudié la présence du groupe Wagner au Mali, les mercenaires russes ont instauré un “climat de peur”. “À l’instar des actions contre la communauté peule en Centrafrique, le ciblage des communautés peules par le groupe Wagner et les forces étatiques au Mali est motivé par les liens supposés de celles-ci avec des groupes armés locaux. Plus particulièrement, les Peuls ont été stigmatisés pour leurs liens supposés avec le militantisme islamiste tel qu’exercé par le GSIM (Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans) et ses alliés” détaille l’ONG dans son rapport. Des accusations niées par les autorités maliennes qui refusent de reconnaître officiellement la présence de ces mercenaires russes aux côtés des FAMA. Pas plus qu’elles ne reconnaissent payer 10 millions de dollars par mois au groupe Wagner pour s’assurer de ses services, comme l’affirment certaines sources.
Le Mali et la Centrafrique font figure de cas d’école. Ces deux anciennes colonies françaises, ont longtemps figuré dans le pré-carré postcolonial français. Aujourd’hui, un fort ressentiment à l’égard de la France s’y est développé et cette dernière a militairement quitté ces deux terrains. Un départ qui a permis à la Russie de s’enraciner dans ces pays, d’imposer ses hommes et son influence. En ligne de mire pour la Russie, les diamants centrafricains, l’or du Mali et un pied de nez aux politiques occidentales. Le Burkina Faso semble emprunter le même chemin que son voisin malien. Le pays est en proie aux attaques de groupes djihadistes et à une instabilité politique liée à un double putsch militaire (en janvier et septembre dernier). Le second a été mené par le capitaine Ibrahim Traoré qui dirige aujourd’hui le Faso.
Le Burkina Faso dément la présence de Wagner
En novembre, son premier ministre a affirmé vouloir “diversifier ses relations de partenariat”. Il n’a pas manqué non plus de dénoncer le manque de loyauté de certains partenaires. Des affirmations qui ressemblent à un appel du pied à la Russie et à une mise en garde contre la France. Sa visite récente à Moscou avait pourtant déjà semé le trouble d’autant plus que ce déplacement avait été effectué avec beaucoup de discrétion. Mi-décembre, le président ghanéen, Nana Akufo-Addo a mis les pieds dans le plat en affirmant avec certitude mais sans en fournir les preuves que son pays voisin, le Burkina avait déjà fait appel aux hommes de Wagner: “Aujourd’hui des mercenaires russes sont à notre frontière nord. Le Burkina Faso a conclu un arrangement pour employer des forces de Wagner et faire comme le Mali.” Des déclarations du président ghanéen immédiatement démenties par les autorités burkinabè. Il faudra attendre le 3 février pour que le président de transition du Burkina prenne publiquement la parole au sujet du groupe Wagner et torde le cou aux rumeurs lors d’une interview télévisée. “On a entendu partout que Wagner est à Ouagadougou, j’ai même demandé à certains : “Ah bon, ils sont où?”(…) “Nous avons nos Wagner, ce sont les VDP [Volontaires pour la défense de la patrie, supplétifs civils de l’armée] que nous recrutons. Ce sont eux nos Wagner”. La présence du capitaine Ibrahim Traoré au sommet Russie-Afrique prévu courant 2023 devrait permettre d’apporter des éléments de réponse sur l’étendue des relations entre Ouagadougou et Moscou.
La crainte d’une dépendance de certaines armées africaines aux mercenaires de Wagner
En dehors de la Centrafrique et du Mali, la présence de Wagner est également signalée au Soudan, en Libye, au Mozambique (une présence passagère). Le groupe qui n’a pas dit son dernier mot lorgne sur de nouveaux territoires alors que son efficacité réelle sur le terrain fait débat.
Aujourd’hui difficile de dire avec précision le nombre de mercenaires du groupe Wagner déployés en Afrique. Plusieurs sources évoquent des milliers d’hommes. Les effectifs ont fondu ces derniers mois car plusieurs unités qui étaient en Afrique ont dû être déployées en Ukraine où Wagner est engagé aux côtés de l’armée régulière russe. Si le groupe est applaudi par certains africains d’autres craignent que les pays qui l’emploient ne deviennent dépendants à cette armée privée au détriment de la constitution d’armées régulières nationales efficaces capables de défendre par elles-mêmes leurs propres Nations.