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Tchad : quel bilan pour le Premier ministre Saleh Kebzabo ?

30 mai 2023
7 min

Le gouvernement de transition dirigé par l’opposant Saleh Kebzabo est à sept mois d’exercice. Nommé pour conduire la 2e phase de la transition, le gouvernement peine à rassurer les Tchadiens. Que peut-on retenir de ces sept mois de gestion de ce vieux briscard de la politique tchadienne, très critique de la mauvaise gouvernance sous le règne du défunt président Idriss Déby Itno ? 

Tchad : quel bilan pour le Premier ministre Saleh Kebzabo ?
Tchad : quel bilan pour le Premier ministre Saleh Kebzabo ?

Hôtel Mercure, Rue du Colonel Moll 396 au quartier Djambal Barh dans le 2e arrondissement de N’Djamena. Cet ancien bâtiment hôtelier sert, depuis la mise en place d’un régime de transition, de bureau au Premier ministre et son cabinet. L’ancien Premier ministre de transition Pahimi Padacké Albert est le premier à l’occuper. Le 14 octobre 2022, c’est au tour de Saleh Kebzabo, ancien opposant, de prendre ses quartiers généraux dans ce même local, en tant que Premier ministre. 

Aux premières heures de la transition, l’homme de 73 ans a accepté d’accompagner la transition politique enclenchée par la mort du président Idriss Déby Itno le 20 avril 2021.  Très vite, ses proches collaborateurs, de son parti Union nationale pour le Développement et le Renouveau (UNDR), sont nommés à des postes de responsabilité. Lui-même a été fait numéro deux du comité d’organisation du dialogue national inclusif et souverain (CODNIS). Au sortir de ces grandes assises, le briscard politique a été nommé Premier ministre de transition. 

Sept mois déjà que le natif de Léré à l’Ouest du Tchad est en poste. Avec son équipe de 44 membres, Saleh Kebzabo a la lourde responsabilité de conduire la 2e phase de la transition devant aboutir à  un retour à l’ordre constitutionnel. 

Un bilan “piètre” ?

Tchad : quel bilan pour le Premier ministre Saleh Kebzabo ?

Théoriquement, le gouvernement de Saleh Kebzabo est conçu et mis en place pour mettre en œuvre les résolutions et recommandations du dialogue national inclusif et souverain. Parmi celles-ci figurent l’organisation des élections référendaires, présidentielles et législatives ; le maintien de la sécurité et la paix ; et la réconciliation des fils du Tchad.  En sept mois de gestion, le gouvernement de Saleh Kebzabo n’a pu mettre en œuvre qu’une seule recommandation : la création de la Commission nationale chargée de l’organisation du référendum constitutionnel (CONOREC). 

Selon Dr Yamingué Betindaye, analyste politique, plusieurs facteurs font qu’il est difficile à ce gouvernement d’assumer les responsabilités qui lui sont confiées. 

Le premier facteur est le caractère « impopulaire » de certaines résolutions du DNIS notamment l’éligibilité des dirigeants de la transition et la prolongation de 24 mois de la transition. Cela rend déjà difficile le travail que le gouvernement devrait faire. « Et ça a été observé à travers les manifestations du 20 octobre qui ont dégénéré et qui ont fini par noyauter l’ensemble des initiatives portées par ce gouvernement », explique Dr Yamingué Betindaye. 

Le deuxième facteur est la non-inclusivité de ce gouvernement qui est censé être celui d’union nationale. Saleh Kebzabo n’a pas pu rallier les partis politiques et les organisations de la société civile qui ont boycotté le dialogue.  « Parmi les absents du dialogue, figurent les acteurs clés qui auraient pu, peut-être, avec le dialogue, rattraper le tir en intégrant ce gouvernement. Mais Kebzabo n’a pas réussi à faire de son équipe gouvernementale une équipe de large ouverture », constate l’analyste politique.  

Le troisième facteur est la donne sécuritaire et la crise sociale qui ont réussi à prendre le pas sur l’ensemble des éléments d’actualité qui ont prévalu ces sept mois. Il était peut-être attendu que le gouvernement de Kebzabo puisse avoir des conditions normales dans lesquelles il aurait pu travailler. Mais pendant les sept mois, le contexte national a été pour le moins trouble. D’abord par les violences pendant et après les manifestations de l’opposition, fin 2022. Ensuite une exacerbation et une amplification démesurée des conflits intercommunautaires et des attaques meurtrières au centre et au sud du Tchad. Plusieurs centaines de morts sont dénombrées.  « Le fait que ces attaques et ces conflits n’ont pas pu être contenus est considéré à tort ou à raison comme une incapacité du gouvernement de transition à assurer et à garantir la sécurité sur le territoire national », fait observer l’analyste. 

La grave crise énergétique et sociale qu’a connue le Tchad de mars à mai 2023 a mis à nu le gouvernement du vieil opposant. La révision triennale de la raffinerie a plongé le pays dans une pénurie sans précédent. Le litre de carburant a atteint 1 500F CFA, un record. Conséquence, les prix de transport et des denrées de première nécessité ont flambé. 

Tchad : quel bilan pour le Premier ministre Saleh Kebzabo ?

Dans sa parution du 9 au 16 mai 2023, l’hebdomadaire Abba Garde s’est intéressé à la gouvernance du Premier ministre Saleh Kebzabo. « Le tonton de la médiocrité », a-t-il titré à sa Une. Pour l’auteur de l’article, l’actuel PM est “le plus médiocre” de tous les PM que le Tchad ait connu. Grave crise énergétique, crise sociale aiguë, le tout couronné par un excès et abus de pouvoir. « S’il est admis que gouverner c’est prévoir, il y a lieu de trancher que le gouvernement de Saleh Kebzabo a brillamment échoué », a écrit l’auteur de l’article. Pendant le règne du défunt président Idriss Déby Itno, Saleh Kebzabo, opposant d’alors, avait suggéré à Déby père de lui céder le pouvoir juste pour six mois et qu’il allait voir le changement. « A ce jour, sa gestion du gouvernement dépasse les mois. Quels changements a-t-on observé ? », interroge l’auteur de l’article.

Techniquement, le gouvernement a déjà consommé presque le tiers de la durée de la seconde phase de la transition. Et pendant ce tiers de temps, il n’y a pas eu de réalisations majeures. « On a l’impression que tout est à refaire. Peut-être qu’il va falloir, pour être cohérent, réajuster les structures, les organes et les institutions », suggère le directeur du Centre de recherche en Anthropologie et Sciences humaines (CRASH). Tout compte fait, les sept mois de Saleh Kebzabo à la tête du gouvernement de transition ne sont pas aussi reluisants. S’il arrive à se maintenir jusqu’à la fin des 24 mois accordés pour la 2e phase de la transition, Saleh Kebzabo doit s’efforcer de sauver son image. Le défi de taille qui l’attend est celui de réussir à organiser des élections transparentes devant amener à un retour à l’ordre constitutionnel.  Mais également de garantir la sécurité dans les coins et recoins du Tchad. Et pour cela, les Tchadiens l’attendent de pied ferme. 

Par Christian Allahadjim

Correspondant à N'Djamena au Tchad