La Russie accueillera le 26 juillet prochain les chefs d’État du continent africain à Saint-Pétersbourg pour le 2e Forum économique et humanitaire Russie-Afrique. Une bonne occasion pour faire le point sur la coopération russe, quelques jours seulement après le coup de force de Wagner contre le Kremlin.
Sotchi n’aura pas servi qu’aux Jeux olympiques d’hiver de 2014. Le président russe y accueille très souvent les délégations étrangères, à 1600km au sud de Moscou. Sur les rives de la mer Noire, l’ambiance y est toujours plus détendue, et plus propice aux négociations. En 2019, Vladimir Poutine avait déjà reçu ses homologues africains dans cette station balnéaire pour une première édition du forum Russie-Afrique.
Les promesses du sommet Russie-Afrique de 2019
En se replaçant alors sur l’échiquier africain, Poutine poursuivait officiellement un objectif : développer et consolider les liens entre la Russie – auréolée du passé soviétique et du soutien aux jeunes républiques postcoloniales –, les pays africains et les grandes organisations d’intégration régionale. Cette volonté se déclinait évidemment dans plusieurs domaines, politique, économique ou sécuritaire. En 2019, la première édition du forum avait surtout réuni, pendant plusieurs jours, quelque 1100 chefs d’entreprises africains et 1400 chefs d’entreprises russes. Le principal objectif pour la diplomatie russe était le développement du business, sur un continent partagé entre des pays alliés aux anciennes puissances coloniales, des pays majeurs comme l’Égypte – toujours soucieuse d’être en bons termes avec l’Est et l’Ouest – et de nombreux pays qui s’étaient laissé griser par les promesses de la puissance chinoise, dont la présence ne cesse de croitre sur le continent.
Dans cette perspective, la Russie a indéniablement obtenu des résultats conformes à ses intentions, comme le suggérait déjà en 2021 une analyse du Monde Diplomatique, mettant en évidence les succès sur le continent de l’ingénierie spatiale russe, de l’énergéticien Rosatom, ou encore du « fournisseur de solutions de sécurité informatique Kaspersky Lab [qui] a inauguré en mai 2019 un bureau de représentation à Kigali ». Mais c’est surtout en termes de « soft power » que Moscou a progressé en déployant en Afrique, toujours selon le Monde Diplomatique, « des instruments d’influence de long terme en direction des sociétés locales. Certains médias d’État (RT, Sputnik) en langues française, anglaise, mais également portugaise, s’imposent comme des sources à l’audience significative dans de nombreux pays. » Des performances russes qui mettent en évidence un grand dynamisme au plan géopolitique, satisfaisant l’objectif du Kremlin de redonner au pays une place prépondérante dans les relations internationales.
Un bilan africain plus mitigé
Quatre ans plus tard donc, les intérêts russes ont été satisfaits, mais les promesses de développement en faveur des pays africains l’ont été un peu moins. La Russie reste un investisseur direct extrêmement discret en Afrique : selon l’Africa Center for Strategic Studies, puisqu’elle ne contribue qu’à hauteur de 1% aux investissements directs étrangers sur le continent. « Lors du sommet de Sotchi en 2019, le président russe Vladimir Poutine s’est engagé à doubler le niveau du commerce russe avec l’Afrique en cinq ans. Au lieu de cela, il a diminué chaque année depuis 2018, chutant de 30% au total. En comparaison, le commerce russe dans le monde était revenu à ses niveaux d’avant la pandémie en 2021. Cela illustre un modèle russe de promesses excessives et de sous-livraison en ce qui concerne ses engagements économiques en Afrique. » Dans ce tableau, un pays, l’Afrique du Sud, membre des BRICS, fait figure d’exception puisqu’elle reçoit la grande majorité des investissements russes.
Moins d’un mois avant le forum de Sotchi, on ignore encore quel sera le détail des échanges entre les différents partenaires, entre discussions officielles et rencontres officieuses. Les éléments évoqués ci-dessus devraient évidemment inciter les dirigeants africains à la prudence, même si de nouvelles voix en Afrique ne jurent que par la coopération avec la Russie. Mais cette coopération, celle qui change le quotidien des peuples, tarde manifestement à se concrétiser. Des pays en difficulté comme le Burkina Faso, le Mali, le Sierra Leone ou la République Centrafricaine ont tout autant besoin de développer leur agriculture que leurs forces armées pour rechercher une stabilité durable.
L’avenir de Wagner en question
Si la Russie a toujours vendu des armes à ses clients africains – comme ses concurrents français, anglais ou autres –, elle a aussi vendu les services de sa milice paramilitaire Wagner. Le 23 et 24 juin derniers, le coup de force avorté d’Evgueni Prigojine a brouillé les cartes dans le jeu russe : l’autorité de Vladimir Poutine s’en est trouvée écornée, tandis que l’avenir de Wagner est plus incertain que jamais. Cette crise a toutefois permis de clarifier une chose : le groupe Wagner qui n’avait officiellement aucun lien avec le pouvoir russe, devrait rester le bras armé officieux de la Russie en Afrique, au Mali et en Centrafrique en particulier. C’est le ministre russe des Affaires étrangères Sergei Lavrov qui l’a dit lui-même : « Cette situation ne peut pas changer la relation stratégique entre la Russie et ses partenaires africains. Les membres de Wagner travaillent là-bas en tant qu’instructeurs. Ce travail, bien évidemment, va continuer. » Au moins, le diplomate russe – qui utilise systématiquement le terme « instructeurs » pour parler des mercenaires – a clarifié les choses en officialisant des relations que certains exécutifs régionaux souhaitaient garder discrètes.
Mais malgré la conférence de presse de Lavrov, les rumeurs vont bon train sur l’avenir de Wagner en Afrique : le 28 juin dernier, le site web Mondafrique.com notait que, « au vu de leur bilan et de leur coût, les hommes de la société militaire privée russe Wagner pourraient ne pas s’éterniser sur les rives du Djoliba. Leur prix est trop lourd pour les autorités de Bamako. Elles verseraient chaque mois entre 7 et 9 milliards de Francs CFA, soit entre 7 et 9 millions d’euros. Au départ, comme en Centrafrique, Wagner devait se payer sur les ressources du pays et des mines devaient leur être attribuées, mais les négociations n’ont pas abouti. Autant de raisons qui permettent de penser que les jours de Wagner sont comptés au Mali, ce qui ne changerait pas, pour autant, la coopération entre Bamako et Moscou ».
Évidemment, pendant le forum de Sotchi fin juillet, Moscou cherchera probablement à conforter ses nouveaux bastions militaires comme Bamako, Bangui ou Ouagadougou. Mais les attentes du continent africain sont ailleurs : dans le développement de l’agriculture, dans celui des infrastructures de première nécessité comme l’eau et l’électricité. Et là, la Russie reste malheureusement atone. Les dirigeants africains seraient sans doute fondés à demander au Kremlin comment il entend concrétiser ses intentions en la matière.