Le groupe jihadiste a profité de la campagne d’allégeance à son nouveau chef pour remobiliser les troupes dans les pays du Sahel central. Atteinte au cœur de son commandement il y a quelques années, la filiale de l’État islamique a su faire le dos rond avant de redonner sinistrement de ses nouvelles récemment malgré l’arrivée au pouvoir en cascade de militaires putschistes dans la région.
Le 3 août, l’État islamique a annoncé la mort de son « calife », Abou al Hussein al Husseini, remplacé immédiatement par Abou Hafs al Hachimi al Qouraychi. Abou al Hussein a été tué en avril dernier au cours d’affrontements entre l’EI et les rebelles de Hayat Tahrir al Cham (HTS) qui contrôlent la province d’Idlib, dans le nord-ouest de la Syrie.
Comme à son habitude, le groupe jihadiste a transformé ce moment de deuil en opportunité, mettant en avant sa « force de frappe » dans les différents coins du globe. Il l’a, notamment fait, par une campagne d’allégeance au nouveau leader sur qui peu d’informations ont pourtant filtré.
La « province » irakienne a ouvert le bal le 5 août suivie de la filiale de l’État islamique en Afrique occidentale dont les activités sont concentrées dans le nord-est du Nigeria et dans le bassin du lac Tchad.
La présence dans le Sahel central actée
L’État islamique au Sahel (EIS), anciennement connu sous le nom de l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS), fait son entrée en scène le 7 août. Dans une vidéo, vraisemblablement préparée avec minutie, près de deux cents jihadistes « situés dans la zone des trois frontières », précisément dans le Gourma malien, promettent allégeance à Abou Hafs.
Le même scénario s’est répété vingt-quatre heures plus tard, mais cette fois-ci, un peu plus à l’est. Plus de deux cents personnes armées de fusils d’assaut de type kalachnikovs et d’armes collectives paradent dans le sud de la région de Ménaka, à Anderamboukane. Le groupe a fait de cette localité de l’est malien un de ses sanctuaires depuis plusieurs années selon certains experts sécuritaires.
Le 9 août, les canaux de propagande de l’État islamique ont diffusé de nouvelles photos de jihadistes de l’EIS avec comme légende « le serment d’allégeance de la région de l’Azawagh » au commandeur des croyants, Cheikh Abu Hafs al Hashemi al Qurashi ». La mention Azawagh, différent de l’Azawad, renvoie selon plusieurs experts au Niger. Sur les images, dont certaines ont été prises à partir de drones, on peut compter au moins 300 combattants djihadistes sur des motos et quelques véhicules pris aux armées régulières.
Toujours dans le cadre de cette campagne d’allégeance, le groupe jihadiste publie un « reportage » qu’il prétend avoir fait au Burkina Faso, un autre pays du Sahel touché par le terrorisme depuis 2014. Montrés sous plusieurs angles, des hommes armés dont les visages sont dissimulés sous un turban, formulent à l’unisson le vœu de se soumettre au nouveau « calife ».
Allégeance difficile
Cette mobilisation exceptionnelle de jihadistes entre le Mali, le Niger et le Burkina, représentant le Sahel central a donné des sueurs froides aux analystes. Jamais, depuis sa création en 2015 sous le nom de l’« EIGS » à la faveur de la sécession d’Al Mourabitoune, dont une frange dirigée par le défunt jihadiste algérien Mokhtar Belmokhtar est resté dans le giron d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), la succursale sahélienne de l’État islamique ne s’était montrée aussi forte.
À ses débuts, le groupe organisé avec difficultés par Adnan Abou Walid al-Sahraoui, un jihadiste originaire du Sahara occidental qui a fait ses armes au Front Polisario avant d’atterrir dans le nord du mali où il fit partie des cadres du défunt Mouvement pour l’Unicité et le Jihad (MUJAO), avait du mal à se faire accepter par le commandement de l’État islamique depuis le Levant.
La priorité de Paris
Les jihadistes sahéliens n’ont commencé à intéresser les dirigeants syriens et irakiens de l’organisation jihadiste qu’à partir d’octobre 2017, suite à une embuscade contre des bérets verts américains et des soldats nigériens dans le village de Tongo-Tongo. L’attaque a eu un effet retentissant en raison des cibles, mais surtout parce que les soldats américains n’étaient pas censés se trouver dans cette zone.
Dopés par la « reconnaissance » du commandement syro-irakien et l’impact de l’attaque contre des cibles privilégiées que sont les soldats américains, les insurgés ont enchaîné, fin 2019 et début 2020, des assauts contre les armées du Niger, du Burkina et du Mali, dans la zone des trois frontières. Plusieurs dizaines de soldats sahéliens ont été tués entre Inates, Chinegodar, Markoye et Boulkessi.
Le rythme des incidents sécuritaires et leurs lots de morts avait décidé Paris à faire de l’ « EIGS » une priorité, « oubliant » un peu le Groupe de soutien à l’Islam et aux Musulmans (GSIM) né de la fusion entre Al Mourabitoun, Ansar Dine, la Katiba du Macina et l’Emirat du Sahara d’AQMI. Les présidents des pays du G5 Sahel avaient été conviés à un mini-sommet à Pau, dans le sud de la France, par le président Emmanuel Macron. À l’issue de cette rencontre, une stratégie est ficelée pour freiner l’hémorragie. Une stratégie qui a été payante puisqu’en 2021, les principaux chefs de l’EIGS sont, soit tués, soit arrêtés par les forces françaises de Barkhane. C’est ainsi qu’en août 2021, Adnan Abou Walid al Sahraoui, émir du groupe depuis 6 ans, a été neutralisé dans la région de Ménaka.
La Renaissance
Cette grosse perte était censée fragiliser l’EIGS qui était encore sous l’autorité de la « province de l’État islamique en Afrique occidentale ». Mais dès mars 2022, profitant du repli français et du manque de coordination des armées nationales dans la zone des trois frontières, les jihadistes sahéliens liés à l’EI reviennent sur le devant de la scène, en laissant l’extérieur polémiquer sur son nouveau « Wali » (gouverneur).
Le groupe change de stratégie. Maintenant, ses cibles privilégiées sont les civils. Plus d’une centaine d’individus seront massacrés dans des attaques visant systématiquement les Daoussahak, une tribu touarègue, à Ménaka.
Coïncidence ou pas, c’est le contexte dans lequel l’EIGS est devenu « province » à part entière, détaché de sa sœur aînée du Nigeria. Entretemps, le pouvoir de Bamako est tombé entre les mains de colonels qui se sont rapprochés de la Russie et auraient fait venir des mercenaires du groupe paramilitaire Wagner.
Malgré ce changement de cap constaté à Bamako et à Ouagadougou et récemment à Niamey, la situation sécuritaire ne s’est pas améliorée dans le Sahel. Les coups d’État orchestrés en cascade dans la région, avec comme principale promesse : l’anéantissement des djihadistes et le retour de la sécurité, n’ont guère changé drastiquement la donne sur le terrain, jugent de nombreux observateurs. Seul le Niger semblait bien résister jusqu’au putsch du 26 juillet dernier.
Aujourd’hui, les djihadistes semblent s’implanter durablement. La dernière campagne d’allégeance au cinquième « calife » de l’Etat islamique en est une preuve palpable.