Donald Trump a réussi mercredi son pari de revenir à la Maison Blanche, grâce à une victoire sans appel qui provoque une onde de choc et plonge dans l'incertitude les Etats-Unis et le monde. Le comeback du républicain est d'autant plus extraordinaire que sa troisième campagne a été marquée par deux tentatives d'assassinat, quatre inculpations et une condamnation au pénal. La tendance à l’hyper-présidentialisation, observée lors de son précédent mandat devrait se renforcer davantage lors de ce nouveau mandat qui commencera officiellement le 20 janvier 2025.

Par Blandine Chelini-Pont, Professeur des Universités en histoire contemporaine, Aix-Marseille Université (AMU)
La démocratie américaine connaît une crise au long cours, liée à la dérive de son fonctionnement fédéral vers l’hyper-présidentialisation, au grave détriment de l’intention constitutionnelle des Pères fondateurs, à savoir une séparation sereine et équilibrée des pouvoirs (checks and balances), où la présidence est encadrée et une partie de ses fonctions partagée.
À la place de la séparation entre des pouvoirs à la fois autonomes et interdépendants (bulks and encroachments), s’est constituée progressivement une culture de la prise de guerre partisane visant à monopoliser les trois pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire). Chaque clan favorise l’emprise décisionnelle, administrative, sécuritaire mais aussi législative et judiciaire du président quand celui-ci est le champion de sa faction. A contrario, quand le président est du mauvais bord, l’esprit de clan pousse au retrait ou au blocage systématique de toute initiative législative ou de toute politique internationale, fiscale ou budgétaire émanant de lui ou des élus de son parti.
La pente glissante du dysfonctionnement présidentiel a été accentuée pendant la première mandature de Donald Trump, qui a capté l’esprit clanique des élus républicains au service de sa propre « marque », malgré les dénégations initiales des leaders républicains comme Paul Ryan ou Mitch McConnell. Il a également manifesté la plus parfaite désinvolture à l’égard des équilibres institutionnels, outrepassant régulièrement sa fonction et affaiblissant les courroies de protection démocratique, avec la complicité d’un Congrès dominé par les Républicains, majoritaires au Sénat tout au long de son mandat, et à la Chambre durant les deux premières années.
Même si le phénomène s’est apaisé lors du mandat de Joe Biden, le risque est aujourd’hui réel, selon de nombreux analystes, que la pente en question conduise finalement à une « démocrature » à la russe. Si l’ex-président était élu une deuxième fois et si un Congrès majoritairement à sa botte se reconstituait, la démocratie américaine pourrait-elle s’en trouver encore plus altérée ?
Désinvolture institutionnelle
Il y a huit ans, lors de la convention nationale du Parti républicain à Cleveland (Ohio), le candidat Donald Trump avait esquissé une vision largement dystopique de l’Amérique, la dépeignant comme un pays accablé par la criminalité, croulant sous la dette publique et humilié dans le monde entier par la faiblesse de la politique étrangère de Barack Obama.
Il exprimait alors clairement l’idée que seul un homme fort qui voit les processus gouvernementaux, lents et délibératifs, comme une faiblesse et une perte de temps avait sa place à la Maison Blanche. De fait, sa première mandature a sapé l’ordre constitutionnel à un degré remarquable.
Donald Trump a subverti l’état de droit en s’immisçant de manière inédite dans les délibérations et les enquêtes du ministère de la Justice. Il a nettement politisé la juridiction fédérale, en nommant 200 juges, dont 3 à la Cour suprême, soit plus que tous ses prédécesseurs en 20 ans. Il a aussi publiquement démenti les analyses de ses propres agences de renseignement quand celles-ci ont apporté la preuve d’une ingérence étrangère massive en sa faveur pendant la campagne présidentielle de 2016 – parvenant, comble du comble, à sidérer et faire rire son homologue russe en affirmant, bravache, qu’il lui faisait davantage confiance à lui qu’à ses agences.
Par ailleurs, le président Trump a exercé des représailles contre plusieurs responsables du renseignement – comme John Brennan, directeur de la CIA de 2013 à début 2017, et James Comey, directeur du FBI durant la même période, auxquels il reprochait de l’avoir mis en cause pour sa proximité avec Moscou. Il a également renvoyé les inspecteurs généraux de tout le gouvernement, dont la mission était justement de mettre au jour des actes répréhensibles.
En outre, la présidence Trump a été traversée par la double tentative de politiser l’institution militaire et de militariser la politique étrangère en nommant des militaires à des postes clés. Et pourtant, ce président a dénigré le courage et le sacrifice des hommes et des femmes de ses forces armées ; son empressement à utiliser les troupes à l’intérieur du pays (pour faire face aux « tarés d’extrême gauche ») a incité les chefs militaires à rappeler, comme jamais auparavant, que les hommes et les femmes en uniforme devaient leur ultime allégeance à la Constitution et non au président.
L’indifférence, voire le mépris de Trump envers le système de lois et de coutumes qui établissent les conditions nécessaires au débat, à la prise de décision et à la responsabilité publique ont été inégalés. Pendant son mandat, il a bafoué les normes constitutionnelles en matière d’interdépendance des pouvoirs, notamment l’obligation de confirmation par le Sénat des membres de son cabinet et d’autres responsables de l’exécutif, et en accordant des pouvoirs à des chefs de département « intérimaires » pendant des mois, affirmant que cela lui offrait « une plus grande flexibilité ». De même, il n’a pas nommé en temps et heure les ambassadeurs et diplomates.
Enfin, sa présidence s’est conclue par une série d’évènements tragiques : après sa défaite face à Joe Biden, il n’a cessé, sans aucune preuve convaincante, de mettre en doute l’intégrité du processus électoral et a refusé de reconnaître sa défaite. S’en sont suivis la prise du Capitole – palais des Chambres fédérales –, censée arrêter la certification des résultats, puis son départ précipité de la Maison Blanche et son absence remarquée lors de la prestation de serment de son successeur.
Ce comportement présidentiel est unique dans l’histoire américaine. L’homme qui a bâti sa carrière sur la promesse de « rendre à l’Amérique sa grandeur » n’accorde en réalité guère de valeur à ce qui a fait la grandeur de l’Amérique : l’état de droit, la séparation des pouvoirs, le caractère sacré des élections, un pouvoir judiciaire indépendant, une presse libre et d’autres libertés constitutionnelles.
Qui plus est, dans toutes ces dérives, Trump n’a été ni rappelé à l’ordre ni sanctionné par les autres pouvoirs qui devraient servir de contrepoids aux risques d’abus présidentiels. Ni le Congrès pendant sa mandature (par la destitution pour abus de pouvoir et pour entrave aux travaux du Congrès), ni après elle (par la destitution pour incitation à l’insurrection), ni la
Commentaires (0)
Veuillez vous connecter pour laisser un commentaire.
Soyez le premier à commenter !